Il n’est un secret pour personne que la capitale grouille de jeunes gens qui survivent grâce à l’ingéniosité, dont ils font preuve. Ils tirent leur épingle du jeu, sans être en marge de la société, ni de la loi. Ces jeunes filles et garçons forment le plus gros contingent de cette population urbaine, fruit de l’exode rural ou de l’immigration sous régionale. Les voies de la débrouillardise s’ouvrent presque automatiquement pour ces vulnérables. Les sans emplois ne peuvent compter que sur leurs propres capacités à se sortir du cercle vicieux de la pauvreté même s’ils n’ont pas bénéficié de formation classique. Si certains sont déscolarisés, d’autres n’ont jamais mis le pied à l’école.
Ainsi, les portes de petits métiers s’offrent comme une bouffée d’oxygène pour eux. Notre interlocuteur Karamoko Keïta affiche la trentaine. Marié à deux femmes, il s’est rapidement tourné vers le métier de cambiste après son licenciement de la défunte Compagnie aérienne nationale «Air Mali SA». Le peu de temps qu’il a exercé dans cette société lui a permis d’avoir un pied dans l’univers du change des devises. Sans difficulté, Karamoko se lance dans cette activité en investissant ses modiques indemnités de licenciement. La solidarité, valeur cardinale de toutes les ethnies maliennes, est aussi la trame de tous les corps de métier de ce pays. Les plus vieux cambistes n’hésiteront pas à épauler le novice Karamoko. L’aventure lui a réussi. Tous les jours, il arrive à subvenir à ses besoins tant bien que mal. Mais, aujourd’hui, reconnaît-il, le métier est de plus en plus envahi par les jeunes désœuvrés qui sont venus grossir les rangs.
L’arrivée de la nouvelle vague sur le marché informel des changes de devises a réduit les revenus de l’entreprenant Karamoko.
Ce jeune dynamique vient d’une famille nombreuse. Avec son boulot, il s’occupe de sa maman, handicapée visuelle, de ses deux demi-frères et sœurs depuis le décès du père. Le digne héritier de l’esprit de la grande famille malienne subvient tant bien que mal aux besoins de toutes ces personnes. Un beau jour, il décidera de faire sien l’adage qui dit :«ne pas mettre tous ses œufs dans un même panier». Il avait pris conscience que les revenus tirés de ses activités de cambiste ne permettaient plus de subvenir convenablement aux charges du ménage. Conscient de cette réalité, le jeune Keïta va accrocher une seconde corde à son arc pour épauler la famille. Il devient ainsi agriculteur pour tester l’adage qui assure que «la terre ne ment pas». Un ami jardinier lui a offert l’occasion d’apprendre les rudiments du nouveau métier qu’il a envisagé d’embrasser. Karamoko fréquentait assidûment le jardin potager de son copain qui lui a enseigné quelques méthodes et pratiques agricoles. Muni de ces connaissances rudimentaires apprises sur le tas, Karamoko Keïta se lancera dans l’aventure. Nous l’avons rencontré le samedi dernier sur sa parcelle et nous avons passé un bon moment avec lui. Après avoir répondu à quelques unes de nos questions, il a enfourché sa moto Djakarta pour aller acheter 4 litres d’essence. Ce carburant sera déversé dans le petit réservoir de la motopompe de 3 KVA. Le plein est fait. Son jeune frère puisera un seau d’eau dans la fosse qui fait office de source d’approvisionnement du jardin potager. La parcelle de Karamoko est située à quelques mètres des concessions de la bourgade de Madougou. Elle est adossée au mur d’enceinte à l’ouest de l’aéroport international Président Modibo Kéita Senou.
L’eau puisée est déversée dans le tuyau de réception de la motopompe pour permettre la mise en marche optimale de la machine. Le jeune frère raccorde les tuyaux d’arrosage à partir de celui de refoulement branché sur la petite motopompe. Bientôt le bruit de la machine attire du monde. Les deux frères sont rapidement rejoints par les autres membres de la famille pour poursuivre le désherbage de la parcelle. Le premier jeune frère surveille l’arrosage en déplaçant le tuyau d’une planche à l’autre. Karamoko Kéita se fait aider dans l’exploitation de sa parcelle par les membres de sa famille et par d’autres bonnes volontés. Karamoko a besoin de ce précieux coup de main puisque ses planches d’oignon sont envahies en ce moment par les herbes sauvages.
La semence d’oignon d’un cycle de 75 jours présente déjà des gousses qui arriveront à maturité dans une vingtaine de jours. Karamoko a relégué au second plan sa première activité de cambiste sans pour autant l’abandonner complètement. Il est fier de son choix de retourner au travail de la terre. Les propos suivants en sont la preuve :
«Désormais, je suis rassuré de pouvoir subvenir convenablement aux besoins de ma famille sans être tenté par l’aventure de l’émigration. Je suis l’aîné de ma vieille maman aveugle, âgée de 80 ans. Je ne peux l’abandonner pour tenter une aventure incertaine. Je vais continuer à trimer sur cette parcelle pour avoir ma subsistance», a dit le jeune paysan.
À l’évidence, Karamoko a besoin d’encadrement agricole pour mieux tirer un plus grand profit de sa parcelle. Certes, la volonté seule ne suffit pas pour gagner plus. Karamoko a besoin d’un meilleur encadrement agricole prodigué par les professionnels. Il garantira alors de meilleurs jours à sa famille en brisant le cercle vicieux de la pauvreté. Chaque combat gagné contre la pauvreté est une chance de développement assuré pour la communauté familiale.
Ne dit-on pas dans notre milieu que «le bébé qui tend les deux bras vers l’adulte, a toutes les chances d’être hissé à bonne hauteur». Karamoko Keïta a déjà fait les premiers pas sans bénéficier d’aucune assistance. Il mérite que les services spécialisés lui viennent en aide pour le conforter davantage dans son choix d’avoir refusé le chemin périlleux et hypothétique de l’aventure.
Les périls et drames relayés par les médias internationaux sur l’émigration sont dissuasifs. Les images de nos compatriotes refoulés d’Algérie et accueillis la semaine dernière par le gouverneur de Gao sont frustrantes pour la jeunesse malienne. Il y a exigence de prendre des mesures audacieuses. Quel plan de développement national va mettre ces jeunes à l’abri de la tentation périlleuse de s’expatrier dans un eldorado qui s’évapore comme un mirage dans le désert ? Que Karamoko et tous les jeunes en âge de se servir de leurs deux mains travaillent et prennent de la peine.
A. M.K