81 personnes originaires du cercle de Koro (38 enfants, 24 femmes et 19 hommes des communes de Youdjou et de Kopropen) sont arrivées le 2 mai à Bamako. Elles ont fui les attaques menées par des membres des communautés dogons de leur foyer d’origine. Quelques jours après leur arrivée, une solidarité s'organise autour d’eux, grâce à l'association des amis de la culture peule, Tabital pulaaku, et les directions de développement social de Bamako et Koulikoro qui ont apporté des vivres, des couvertures, des nattes. Une équipe médicale est sur place à travers le CSCOM de la commune de Dialakorobougou.
La Commune de Dialakorobougou, qui est située à environ 10 Km de Bamako, accueille les premiers déplacés du conflit intercommunautaire au centre du Mali. Les déplacés viennent de la région de Mopti, plus précieusement du cercle de Koro. Ils sont dans une maison inachevée, avec une bâche au milieu de la cour qui sert de lieu de réception pour les visiteurs.
Ici, les victimes traumatisées par les violences du week-end dernier se remettent petit à petit. Hama Barry est un jeune venu de Youdjou, il revient sur son calvaire : «Nous avons été attaqués par des dozos, ils nous ont chassés de notre village, ont pillé et brûlé nos maisons. Mon grand-père a été tué. Ils ont commencé par brûler les cases aux alentours du village. C'est pour cela que nous avons organisé notre voyage sur Bamako. Nous avons fait des étapes à pied avant d'avoir un véhicule».
Les responsables de Tabital Pulaaku sur place reconnaissent que le nombre de victimes déplacées est bien plus important, surtout dans la région de Mopti. «Nous espérons que chacun mesure l’ampleur de la tragédie. Dans l’urgence, il ne s’agit pas de combattre l’idéologie fondamentaliste islamiste armée. Il s’agit de s’interposer entre des civils et d’apporter du secours à des victimes de l’absence de l’Etat», déclare Boubacar Hamidou Bah.
Assise sur une chaise avec un seau d'oignons à éplucher, Malado Cissé se souvient de sa mésaventure : «Les hommes de notre village se sont bien défendus, mais à la fin, ils n'avaient plus de moyens, ils ont tué 3 personnes, 2 ont été blessées. C'est en ce moment qu'ils ont commencé à brûler nos villages, nos vivres. Ils sont repartis avec nos animaux. Même l’or de certaines femmes a été emporté. Au moins, 4 villages ont incendiés par les Dozos. Ils ont encerclé le village, personne ne sortait et on n’avait plus droit à rien. C'est quand ils sont repartis que certains de nos parents rescapés ont vendu leurs animaux, une chèvre à 1500 Fcfa et un bœuf à 5000 Fcfa. L'argent qu'on a eu après la vente des animaux a été mis dans le financement de notre voyage. Même en cours de route, comme on était à pied, ils nous suivaient».
Malado Cissé interpelle les autorités à sécuriser les populations et désarmer les dozos parce qu'ils sèment la terreur et tuent des civils innocents à longueur de journée. La vieille Ina Cissé de Yiidji raconte que 3 personnes de son village et leur chef de village ont été tués. «Nos greniers, nos habits, tous les hommes, même les petits enfants ont été tués. Comme on n'avait plus rien dans notre village, nous avons organisé notre voyage sur Bamako avec l'aide de nos parents et des animaux que nous avons bradés, parce qu’une tête de chèvre était vendue à 1500 Fcfa et le bœuf à 5000 Fcfa», raconte-t-elle.
À Dialakorobougou, il y a aussi une vieille dame de 70 ans qui se tord de douleurs ; elle se plaint des secousses du voyage. À côté d'elle, une jeune dame est sous sérum, son enfant souffre énormément. Ils sont tous des Peuls qui dénoncent des exactions dans le centre du Mali. Les déplacés de Dialakorobougou sont majoritairement des femmes et des enfants, ils se réjouissent d'avoir trouvé refuge dans un bâtiment inachevé de la banlieue de Bamako.
«Il y a ici 81 déplacés : 24 femmes, 38 enfants et 19 hommes. Vous voyez, ils vivent de manière précaire», nous confient Boubacar Hamidou Bah et Sambourou Diallo, membres de l’association peule Tabital Pulaaku Mali. «Le fils du chef de village a été tué et son premier garçon a été blessé, les balles l’ont atteint au cou. Mon frère jumeau a été tué aussi. Un vieux de 70 ans a été tué. Une fois qu’ils ont tué les trois personnes, on a fui et ils ont mis le feu au reste. Ils ont aussi volé notre bétail. On est parti dans le village de Coumbawouro.
Le chef de village et le maire nous ont dit d’aller à Bamako». Ces explications d’Allaye Cissé ont été soutenues par Maimouna Dicko. Selon elle, les assaillants «portaient la tenue traditionnelle des chasseurs dozos».
Selon Boubacar Hamidou Bah, les violences se multiplient depuis deux ans dans le centre du Mali entre Peuls, traditionnellement éleveurs, et les ethnies bambara et dogon, pratiquant majoritairement l’agriculture. Et leur ampleur était jusqu’ici inhabituelle.
«Lorsque les chasseurs arrivent, ils tuent les animaux, les hommes et les dépècent comme ils dépècent les animaux», avoue Koumba Cissé de Youdjou. La communauté peule accuse régulièrement les autorités de tolérer, voire d’encourager, les exactions de groupes de chasseurs traditionnels à son encontre, au nom de la lutte contre les jihadistes. Ce que démentent catégoriquement les représentants de l’Etat.
«C’est sûr que parmi les jihadistes, il y a des Peulhs, mais tous les Peulhs ne sont pas jihadistes et tous les chasseurs ne sont pas dogons», pense Sambourou Diallo. «Les actes de violences intercommunautaires ne sont pas rares dans cette région, notamment en cette période de l’année en raison des aléas climatiques qui rendent difficile l’accès à l’eau et aux pâturages. Ce qui est inhabituel, c’est l’ampleur de ces violences, le nombre de morts, de blessés et de gens qui ont fui», souligne la Croix Rouge.