Après cinq ans de gestion du pays par un régime élu, ni la justice malienne, ni la Commission justice vérité et réconciliation, encore moins une commission internationale d’enquêtes, n’ont pu faire avancer les dossiers liés aux infractions de crimes de guerre et tortures, crimes contre l’humanité, qu’ils soient du sud, du centre ou du nord, vers une sanction des auteurs, et la réparation des fautes. Même s’il n’ya pas de doute qu’il y a eu des crimes de guerre, des crimes contre les femmes et les enfants, des crimes contre l’humanité. Pendant ce temps, le président de la République Ibrahim Boubacar Kéita et son gouvernement ont tablé sur la loi d’entente nationale, présentée comme la solution à tous les conflits passés et actuels au Mali, une potion magique qui fera réconcilier les Maliens. Malis la loi d’entente décrétée et votée va-t-elle contribuer à apaiser ou attiser durablement le feu de la vengeance entre les Maliens, incitant des parties indignées à tenter de se faire justice? Est-il si facile pour les veuves de renoncer à poursuivre les bourreaux de leurs maris, pour les orphelins et les ayant droits de pardonner aux assassins de leurs parents, et de voir les bourreaux et les assassins, bénéficier de tous les honneurs ?
La Conférence d’Entente Nationale tenue du 27 mars au 02 avril 2017, au Palais de la Culture Amadou Hampaté BA a conduit vers la rédaction d’une Charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale. Elaborée en juin 2017, cette charte a eu un écho dans le discours du nouvel an 2018, du président de la République Ibrahim Boubacar Kéita : « la Charte propose des mesures spéciales de cessation de poursuite ou d’amnistie en faveur de certains acteurs de la rébellion armée de 2012. Suivant ces recommandations, je ferai initier dans les semaines qui viennent un projet de loi sur l’Entente nationale. Ce texte proposera notamment : – l’exonération de poursuites de tous ceux impliqués dans une rébellion armée, mais qui n’ont pas de sang sur les mains ;- des mesures d’apaisement après l’accélération des procédures en cours et les réparations accordées aux victimes reconnues ;- un programme de réinsertion pour tous ceux qui déposeront les armes et s’engageront publiquement à renoncer à la violence». Cette proposition du Président IBK ressemble comme deux gouttes de lait au schéma algérien, adopté en 2006 pour recoller les morceaux après le passage des islamistes. Qui, mieux que son cinquième Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga, pour mettre en œuvre au Mali, la réplique de la Charte algérienne pour la paix et la réconciliation nationale, votée en 2006 ? A travers cette loi d’amnistie, le Président IBK va- t-il amnistier des criminels de guerre ?
Ainsi, probablement dans la logique de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, un accord secret a été scellé entre Alger, Bamako et Paris. Un confrère algérien, Middle East Eye (MEE), – middleeasteye.net’’ du 23 avril 2018 – en décrit les effets: « En seulement quelques mois, près de 40 islamistes armés se sont rendus à l’armée algérienne aux frontières avec le Mali. Une opération délicate facilitée par un accord secret entre Alger, Bamako et Paris ». Notre confrère algérien ajoute, « L’armée algérienne a annoncé vendredi 20 avril, la « reddition » à Tamanrasset, près des frontières avec le Mali, de Larbi Khelifa, alias Abou Ayoub, recherché depuis 2010. Ce dernier, selon nos sources, serait l’émir de la cellule al-Forqane d’al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), groupuscule responsable d’une attaque à la roquette contre un site gazier dans le Sahara algérien en mars 2016 », précise le site middleeasteye.net. Cette reddition, qui ouvre la voie, selon le communiqué de l’armée, à « bénéficier des dispositions réglementaires en vigueur », en d’autres termes l’extinction des poursuites contre le dépôt des armes, porte à un peu plus de 40 le cas de « repentis » depuis la fin 2017, rien que dans la zone frontalière de Tamanrasset (à 2 000 km au sud d’Alger), poursuit le site algérien. « Les différents groupes de terroristes dans le nord du Mali subissent une grosse pression avec toutes ces opérations de ratissages des troupes africaines, maliennes et françaises », explique à Middle East Eye une source sécuritaire algérienne.
Toujours ce vendredi 20 avril, outre la « reddition » à Tamanrasset, près des frontières avec le Mali, de Larbi Khelifa, alias Abou Ayoub, quinze islamistes armés ont été tués par l’armée malienne dans la région de Mopti, selon un communiqué officiel. La reddition de la quarantaine d’islamistes armés algériens dans la zone frontalière avec le Mali « a été rendue possible grâce à un accord secret signé en juillet 2017 entre Alger, Bamako et Paris », selon Middle East Eye (MEE).
« Trois conditions importantes sont fixées dans cet accord : permettre aux enquêteurs algériens de communiquer directement avec les fugitifs dans le nord du Mali, ouvrir des passages sécurisés dans cette zone pour les ”repentis” afin d’éviter qu’ils se fassent tuer par les forces françaises, maliennes ou africaines, et enfin établir une véritable coordination pour pousser à la reddition les chefs des islamistes armés, à l’image de Yahia Abou al-Hammam [numéro 2 du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et ex-émir du Sahara d’AQMI] ou de Abderrahmane al-Sanhadji [remplaçant de Mokhtar Belmokhtar depuis sa blessure]… », souligne à MEE, une source sécuritaire. Ainsi, grâce aux renseignements fournis par les « repentis », plusieurs saisies d’armes importantes ont été effectuées par l’armée malienne dans les confins frontaliers, comme ce 20 avril, où a été découverte « près de la bande frontalière au nord-est d’In Amenas, dans la zone de Tarat/Illizi, une cache contenant une quantité d’armes et un lot de munitions », selon l’armée, souligne MEE. Ou encore le 23 mars, avec la saisie de 24 pièces d’armes et d’un considérable lot de munitions à la frontière malienne près de la localité de Bordj Badji Mokhtar. Selon MEE, le revers de la médaille est que les trafiquants et les contrebandiers algériens en fuite dans le nord du Mali, environ 300 à 500 recherchés, suite aux grandes opérations de traque de l’armée les ayant ciblés, veulent aussi profiter des dispositions d’amnistie de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, votée en 2006, et ainsi éviter des peines de prison pour trafics en tout genre. La reddition fin 2016, selon les termes de cette loi, du narcotrafiquant Abdellah Belakahal, auteur d’un rapt d’Européens dans le Sud algérien, « a convaincu un grand nombre de trafiquants de tous bords de se déclarer ”terroristes recherchés” et de fournir des renseignements sur les groupes armés pour bénéficier des dispositions de la Charte et effacer leurs anciens crimes », relève pour MEE une source judiciaire algérienne. « Mais nous avons deux méthodes pour clairement classer ces fugitifs », précise un officier algérien. « D’abord, nos enquêteurs ont une longue expérience dans le traitement des dossiers de l’antiterrorisme, ensuite, les éléments qui se sont rendus nous fournissent aussi beaucoup de renseignements sur le profil et le passif des uns et des autres », précise la source judiciaire algérienne.
L’arme du droit
La loi d’entente nationale dont le projet est sur le bureau de l’Assemblée nationale pour être adoptée lors de cette même session parlementaire d’avril, peut elle faire l’affaire des Maliens, favoriser la paix et la réconciliation nationale, sans des enquêtes judiciaires préalables, un jugement équitable, des sanctions et une juste réparation ? La loi d’entente décrétée et votée va-t-elle contribuer à apaiser ou attiser durablement le feu de la vengeance entre les Maliens, incitant des parties indignées à tenter de se faire justice?
Un ensemble de 32 organisations de défense des droits de l’homme, dans une lettre ouverte adressée au président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita, lui demandait en mars dernier de surseoir à la rédaction de la loi d’entente nationale : « Suspendre le processus de rédaction du draft jusqu’à ce que des enquêtes impartiales soient véritablement menées par la justice malienne, par la Commission d’enquête internationale ainsi que par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation dont les rapports pourraient servir de base pour réellement et justement permettre de cibler et distinguer ceux qui ont le sang sur les mains de ceux qui n’en ont pas ».
Pour ces acteurs, « il ne peut y avoir de réelle réconciliation nationale ni de paix sans justice ». Selon eux, il serait plutôt urgent d’adopter « une loi élargissant la compétence du pôle judiciaire spécialisé aux infractions de crimes de guerre et tortures, crimes contre l’humanité, et génocide ».
Amnisties pour des criminels ?
Les 32 organisations de défense des droits de l’homme ont lancé un vibrant appel au président de la République, « contre des amnisties pour des auteurs des violations graves des droits humains et les crimes sexuels ». Ainsi s’élèvent les défenseurs des droits de l’homme : « Votre Excellence, Nous avons l’honneur de venir par la présente attirer votre attention sur le double risque d’impunité et d’arbitraire d’une loi d’entente nationale telle que vous l’avez annoncée à la veille du nouvel an à l’occasion de votre message à la nation ».
Les auteurs de la lettre ouverte adressée au Président IBK, à savoir, les 32 organisations représentées par Me Moctar MARIKO, Président de l’AMDH ; Mme BOUARE Bintou Founè SAMAKE, Président de WILDAF/Mali ; et Mme GUISSE Ramata, Directrice Exécutive AI-Mali, ont fait leur, le souci du Président de reconstruire l’unité et la réconciliation nationale et réaffirmé leur soutien au processus de paix, notamment l’application de l’article 461 de l’Accord pour la paix, en particulier les dispositions relatives à « l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité ainsi que la non amnistie pour les auteurs de violations graves des droits humains, de violences sur les femmes, les filles et les enfants liées au conflit ».
Les victimes liées au conflit attendent impatiemment le jugement des auteurs, qui peut être une forme de garantie vers la réconciliation.
En référence à la Charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale, le projet de loi d’entente nationale a été rédigé par un comité composé du Ministère de la Justice, du Ministère de la Réconciliation nationale, du Ministère de la solidarité et de l’action humanitaire, du Médiateur de la République et de la CVJR. Les défenseurs des droits de l’homme ont déclaré ne pas se reconnaître dans certaines dispositions de ladite Charte, en particulier celles relatives aux amnisties, en ce qu’elle a été élaborée sans consultation de nos organisations et dont l’interprétation permettrait des amnisties pour des auteurs de graves violations de droits humains. Pour eux, les enquêtes sont un préalable nécessaire afin de se préserver de l’arbitraire que constituerait la délivrance d’une amnistie sans fondement. « Nous exprimons ainsi notre vive inquiétude à ce que des auteurs des crimes graves bénéficient d’une telle mesure », indiquent-ils.
Les organisations de défense de droits humains ont exhorté le Président IBK à diligenter toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l’impunité des auteurs des graves violations des droits humains et du droit humanitaire international, et garantir l’accès des victimes à la vérité, à la justice et aux réparations. Elles se disent convaincues que « le retour d’une paix durable et de l’unité nationale passe par une bonne distribution de la justice ».