L’Algérie, qui a écrasé la guerre civile des années 1990, considère être le champion du combat le plus résolu contre les groupes, à la fois mafieux, islamistes et terroristes. Toutefois, les Etats sahéliens trouvent que la solution militaire, prônée par Alger, néglige les considérations économiques, sociales et politiques qu’ils perçoivent comme essentielles au maintien de la stabilité de la région.
Comment cet Etat qui n’a pas réussi à éradiquer le terrorisme sur son territoire peut-il dénoncer la mollesse de certains de ses voisins ? Une des réponses à cette interrogation se trouve dans la nature hybride d’AQMI dans la région sahélo- saharienne, ce qui complique encore la situation.
En plus des cellules actives en Kabylie, dans la région d’Alger et au Sahel, d’autres cellules voient le jour et sont impliquées dans les enlèvements et le crime organisé (octobre 2014). Ces réseaux, territorialement dispersés, agissent tantôt de façon autonome, tantôt en concurrence (soit pour brouiller les pistes), mais évoluent tous sous le label AQMI qui justifierait l’appellation de nébuleuse.
Face à l’insécurité née des activités des terroristes, chaque Etat réagit en fonction de sa propre perception du danger (salafiste ou terroriste) et de ses intérêts. Ainsi, depuis quelques années, les autorités algériennes n’ont eu de cesse de vouloir centraliser la lutte contre le banditisme et le terrorisme dans la création, en avril 2010, d’un Comité d’Etat-major opérationnel conjoint (CEMOC) entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger.
Installé à Tamanraset, le CEMOC, qui envisageait de mobiliser, en 2011, plus de 25000 combattants, dont 5000 Touaregs, n’a jamais été mis sur pied. Pour certains experts militaires que nous avons pu joindre au Mali, l’échec de CEMOC relève de l’insuffisance de la coopération sécuritaire (échanges de renseignements, patrouille commune etc.). De même, «l’opération Serval» au Mali au printemps 2013, a été perçue par Alger (qui instrumentalise la menace française) comme une ingérence dans son pré-carré.
Enfin, l’Algérie refuse tout rapprochement ou de coopération sécuritaire avec le Maroc comme le souhaitent les Etats sahéliens. A titre d’exemple, lors de la rencontre des experts anti- terroristes, le 13 octobre 2010, au Mali, les Algériens ont refusé d’y participer, justifiant la présence marocaine et celle des Occidentaux.
Au-delà de ces refus, en juin 2011, trois (03) Etats frontaliers (l’Algérie, le Mali et le Niger) ont pour la première fois, mené des exercices communs dans les parties frontalières entre les trois Etats pour anticiper les risques terroristes.
Dans la même période, des opérations conjointes des troupes mauritaniennes et maliennes ont neutralisé une minuscule groupe de terroristes dans la foret de Wagadou (frontière mauritanienne).
Par ailleurs, si la coopération militaire s’est accentuée entre Algériens et Maliens, en 2011, elle n’a pas dissipé les différences d’approche sur les moyens anti-terroristes. S’agit-il d’une méfiance d’Alger à l’encontre de ses voisins ?
La Crise de confiance entre l’Algérie et ses voisins
Depuis plusieurs années, les dirigeants algériens ne cessent de considérer le Mali comme «le maillon faible» dans la lutte contre Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Ils n’ont pas forcément tort. Alger dénonce le faible engagement du gouvernement malien contre la menace terroriste, d’où ses réticences à partager les informations indispensables à la coopération régionale.
La relation complexe de l’Algérie avec le Mali tient aussi à ce qu’elle est réputée avoir offert son soutien à certains groupes armés touaregs. Pour s’opposer à l’influence grandissante de la Libye au Sahara, Alger a toujours imposé sa médiation dans la conclusion des accords de paix des années 1990-2006.
Pour autant, en 2008, le président malien Amadou Toumani Touré soupçonnait les services de renseignements algériens de «mener leur propre jeu au Sahel en soutenant également certains islamistes».
Fin décembre 2010, le pouvoir central malien, par crainte d’un coup d’État, avait décidé de remplacer un certain nombre de responsables militaires du Nord soupçonnés d’être sous l’influence algérienne.
De manière générale, les gouvernements sahéliens soupçonnaient l’Algérie de vouloir dominer ses voisins, en exerçant son contrôle sur les opérations de contre-terrorisme, les routes des trafics et les régions qui pourraient recéler du gaz naturel ou des minerais. Ainsi, le rôle de l’Algérie est loin d’être clair : elle semble jouer un double jeu, car elle combat les terroristes, mais refuse toute intervention extérieure de ses forces de sécurité hors de ses frontières.
Du coup, elle a accru son importance stratégique tout en tirant profit de la surestimation de la menace islamiste, qui, en particulier, ne présentait pas de danger immédiat pour le régime algérien. Aussi, personne n’imagine les terroristes accéder au pouvoir à Alger.
Malheureusement, les Etats sahéliens n’ont su être efficaces et n’ont pu construire des alliances viables, capables de contrer la menace terroriste au Mali. Une politique de long terme «gagnant-gagnant» passe par un investissement dans les projets de développement local au Sahel comme le faisait la Libye sous Kadhafi. Ce qui pourrait aider les populations locales à sortir de la misère et les éloigner des activités criminelles.
Les Etats de la région doivent approfondir davantage l’intégration économique entre partenaires maghrébins, sahéliens et subsahariens, à travers des projets d’infrastructures conjoints (routes, chemins de fer ou oléoducs) qui désenclaveront les régions marginalisées.
Pour autant, le développement ne règle pas tous les problèmes politiques, car il y a la question de gouvernance dont les autorités tenir compte. Somme toute, jusqu’au 9 janvier 2013, avant l’offensive des djihadistes vers le Sud du Mali et le début de l’opération Serval, Alger, médiateur des conflits entre le pouvoir malien et les rebelles touaregs, depuis plus de vingt (20) ans, a toujours privilégié la «solution politique» en tentant de négocier avec les acteurs du conflit y compris le groupe touareg islamiste Ansar Dine.
Bien qu’allié aux djihadistes, Iyad Ag Ghali, qui a été reçu plusieurs fois à Alger, y est bien connu pour avoir vécu à Tamanrasset. Il est arrivé à Tamanrasset à l’âge de sept (07) ans avec ses parents, poussés vers le Nord par la sécheresse des années 1970 au Mali. Après avoir obtenu sa nationalité algérienne, il y travailla en tant que mécanicien dans une entreprise du bâtiment.
Il quitte la ville à la fin des années 1980. Puis y retourne à plusieurs reprises, notamment, en 2006, (il portait une longue barbe), lors des funérailles de l’ancien Amenokal du Hoggar. Mais, cette stratégie algérienne a tourné court avec Ansar Dine, lorsque celui-ci a engagé les combats contre l’armée malienne au centre du pays ce qui provoqua l’intervention française.
Et la France ?
Cependant, l’annonce du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, à l’époque des faits (pendant la visite du Président François Hollande, en 2013, en Algérie), de l’autorisation du survol du territoire algérien par les avions de chasse français a provoqué de vives réactions dans la presse algérienne.
Le Quotidien d’Oran, dans son édition du 15 janvier 2013, évoque un reflexe quasi- automatique (entretenu par les autorités) qu’ont de nombreux Algériens à l’idée d’un retour, même passager dans les airs, de l’armée française.
En réalité, si cette ouverture du ciel algérien aux avions français a été critiqué par ce journal, c’est parce que les Algériens ont appris l’information à travers la presse française, dénonçant ainsi le manque de transparence de leurs dirigeants.
Selon les informations de la presse algérienne, les autorités algériennes avaient auparavant refusé une telle autorisation lors du conflit Tchad /Libye, dans les années 1980
Pour autant, les informations recueillies lors d’un point de presse (15 janvier 2013) du ministre de la Défense, Jean Yves Le Drian au siège du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA) à Paris, montrent que les Rafales ont choisi d’éviter délibérément le survol du territoire algérien en passant par le Maroc.
Sur un écran, on remarque que les chasseurs-bombardiers ont mis plus de 9 heures entre St-Dizier et N’Djamena pour ravitailler quatre Rafales. Ensuite, on voit les Rafales détruisant simultanément trois cibles militaires autour de Gao, puis ils reviennent pour rn frapper une quatrième.
Ce qu’il faut retenir
Autrement dit, l’itinéraire présenté à la presse contourne clairement l’Algérie par le Maroc. Pourquoi Laurent Fabius n’a-t-il pas révélé toute la vérité ? Déjà tétanisée par la guerre en Libye, en 2011, la population algérienne pense avoir le sentiment d’être entrainée, malgré elle dans un conflit dont elle redoute les conséquences sur son territoire.
En effet, l’Algérie s’attend à ce que des djihadistes dissimulés se glissent, le cas échéant, parmi les réfugiés qui ne manqueront pas d’affluer, et qu’elle avait, en partie, repoussé à l’extérieur de ses frontières après la guerre civiles des années 1990.
L’attaque contre le site gazier d’In-Amenas dans le sud-est algérien, le 16 janvier 2013, par le groupe de Moktar Belmocktar prouve que les terroristes peuvent à tout moment attaquer une cible stratégique.
Cette situation pourrait davantage pousser les Algériens à sortir de leurs hésitations et à mener une coopération sous-régionale, notamment avec les pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui sont déjà engagés dans la lutte contre le terrorisme.
Extrait de «Le conflit touareg et ses enjeux géopolitiques au Mali» (Abdoulaye Tamboura)