Excellence,
Monsieur Le Président en Exercice de l’Union Africaine,
Dans le cadre de vos hautes fonctions, vous êtes appelé au chevet du Mali, en difficulté, de par la faute de ses dirigeants politiques. Leurs parodies de démocratie et de bonne gouvernance sont aujourd’hui mises à nu. Ils ont été incapables, en cinquante ans, de construire une nation plurielle.
Dans l’état actuel de déliquescence de l’Etat malien, ses dirigeants sont enclins à utiliser l’Azawad comme exutoire. Vous prenant à témoin, je voudrais leur faire observer que le défi n’est pas de « reconquérir une partie du territoire national occupé par des bandits armés » ou de veiller jalousement sur le résultat du dépeçage colonial, mais de renouveler le vouloir vivre ensemble, sur des bases saines. Cette volonté de vivre ensemble est l’essence de la nation ; elle est reconnaissance des différences, en vue de les transcender.
Nous avons toujours réclamé un tel dialogue : incapables de sagesse parce que dans le registre de la ruse, les personnes en charge du dossier n’ont répondu que par des manœuvres de division, l’envoi de forces militaires, les pogroms et les exactions de toutes sortes.
Nous sommes encore habités par une double conviction :
- le peuple de l’Azawad a droit à une vie digne, responsable et paisible ; il ne fera l’économie d’aucun sacrifice pour y parvenir.
- seul un dialogue sincère et respectueux, fondé sur une conscience collective de la nécessité de la paix et de la justice, permettra d’épargner à nos peuples les affres d’une guerre de faibles. Un tel dialogue requiert humilité et lucidité.
Le peuple malien a connu d’autres difficultés très graves (coups d’Etats, révoltes autres que celles des Touaregs, etc.). A ces occasions, nous n’avons pas assisté à un rejet des revendications, mais plutôt, la prudence, le dialogue et l’écoute ont été mis en avant pour les résoudre, car le sentiment qu’il s’agit d’une partie de la nation meurtrie et déchirée a prévalu. Je suis fortement convaincue que si le problème du Nord était considéré de la même manière, sa résolution n’en sera que plus rapide.
Je voudrais rappeler ici que des groupes armés d’intégristes et de narcotrafiquants écument la bande saharo-sahélienne depuis plus d’une décennie, sous le regard impuissant, indifférent, indulgent ou complice des Etats de cette région. Ils constituent une menace gravissime pour l’Azawad. Les Touaregs ne sont ni intégristes ni trafiquants : nous lutterons de toutes nos forces contre ce double péril.
Je vous adresse cette lettre alors que votre pays reçoit la conférence des Ministres des Affaires Étrangères Afrique-Pays Scandinaves. Connaissant l’attachement de ces Européens à la paix, vous nous permettrez, Excellence, de les associer pleinement, eux et toute la communauté internationale, à notre appel aux dirigeants maliens : les voiles sont tombés et plus rien n’empêche, dans le cadre d’un dialogue construit, de reconnaître le calvaire que le peuple de l’Azawad endure depuis plus de trois générations, de reconnaître son aspiration à la liberté et la dignité, de croire en sa capacité d’être responsable de son destin, de vivre en paix avec tous ses voisins.
Excellence, Monsieur Le Président,
L’Afrique, c’est aussi les peuples, la finalité, d’où les États tirent leur légitimité. Ils doivent être écoutés, au-delà de leurs États. Plus de 300,000 Touaregs sont réfugiés dans les pays voisins, fuyant les exactions de l’armée et des milices maliennes qui n’ont jamais cessé et qui ont déjà emporté des milliers de femmes, d’hommes, de vieillards, d’enfants, qui n’ont eu le tort que vouloir vivre en paix sur leurs terres. Appeler à une intervention militaire sur leur sol d’un peuple, sans l’avoir consulté n’est pas porteur de paix durable.
Veuillez agréer, Excellence Monsieur Le Président En Exercice de l’Union Africaine, l’expression de ma plus haute considération.
Nouakchott, le 4 juin 2012
Zakiyatou Oualett Halatine, Refugiée en Mauritanie