Accusé depuis un certain temps d’être à couteaux tirés avec l’opposition démocratique et républicaine, Modibo Sidibé rompt le silence et réaffirme son appartenance à celle-ci. L’ancien Premier ministre, qui a annoncé en grande pompe sa candidature à l’élection présidentielle du 29 juillet 2018, le 13 mai dernier, croit en ses chances pour tirer le Mali de la boue… Lisez l’entretien exclusif qu’il nous a accordé.
Pourquoi vous battez-vous autant pour l’alternance politique au Mali ? Quel regard portez-vous sur la gouvernance de ces cinq dernières années ?
Notre pays depuis 5 ans est sous une gouvernance inacceptable, à tous les égards. Au point de vue financier, politique, sécuritaire, social et économique. Par conséquent, le pays aujourd’hui, ce n’est pas exagérer de le dire, est au bord de la ruine. La majorité gouvernante a affiché toutes ses limites, elle n’a plus aucune crédibilité pour conduire un vrai processus de sortie de crise. Nous ne pouvons pas continuer avec cela. Si nous avons choisi d’être dans l’opposition c’est pour proposer un projet crédible, alternatif au régime actuel. L’alternance est une exigence pour que le Mali puisse se choisir un autre destin. Nous avons besoin d’une légitimité pour affronter l’ensemble des problèmes auxquels le Mali se trouve confronté. Nous avons perdu du fait de leur gouvernance une partie du pays. L’insécurité s’est développée dans le centre du pays. Les populations qui ont vécu des millénaires ensemble sont aujourd’hui en situation de conflit. Il faut stopper cela. Il faut stopper le délitement communautaire, il faut stopper le délitement sécuritaire. Il faut rétablir la République qui fait de toutes les communautés des citoyens égaux.
Quelle lecture faites-vous du processus électoral ?
Nous sommes préoccupés. Si ce n’est les insuffisances de cette gouvernance, il n’y a aucune fatalité que le Mali n’ait pas d’échéances électorales républicaines et démocratiques respectées, d’alternance paisible. Nous avions exigé qu’il y ait un agenda et cet agenda constamment doit faire l’objet d’observation et de suivi. Ce ne sont pas les capacités techniques et logistiques qui font défaut. Nous suivons très attentivement ce processus qui devrait être sous-tendu par un large plan de sécurisation. Il faut un plan qui intègre les populations et tous les dispositifs sur au moins 6 mois. Le temps que les élections se fassent, le temps qu’une nouvelle autorité soit en mesure de lancer un vrai processus de sortie de crise. Le processus de sortie de crise le plus solide et durable doit être malien.
Si vous êtes élu au soir du scrutin du 29 juillet 2018, comment allez-vous gérer le dossier Kidal ?
Je crois qu’il y a des choses à clarifier. Kidal fait partie du Mali. La souveraineté, l’intégrité du territoire du Mali, les caractères de ses institutions sont reconnus par différents accords. Il y a des responsabilités à partager dans le cadre des difficultés de mise en œuvre de l’accord pour la paix. La première est celle du président de la République qui n’a pas su insuffler un leadership stratégique et de coordination stratégique de la mise en œuvre de l’accord. Donc aujourd’hui nous sommes dans une situation difficile où les principaux éléments d’ordre sécuritaire n’ont pas été mis en œuvre à plus forte raison les éléments institutionnels. Dans le cadre de la refondation que nous prônons, les Maliens auront le libre arbitre, et ils décideront souverainement de ce qu’ils veulent faire de leur territoire.
Au-delà des FARE, vous avez vu la nécessité d’être porté par le Nouveau Pôle Politique (NPP). Pourquoi cette option ?
Les FARE parlent et moi-même je parle depuis des années du Nouveau Pôle politique (NPP). De cette polarisation de notre paysage politique. Pour que sans décréter la mort ou la disparition de quelque parti que ce soit, que cette dynamique nous conduise sur le moyen terme à deux ou trois grands pôles politiques. C’est pourquoi le NPP se réclame de la gauche républicaine qui a sa propre compréhension de notre situation, qui a sa compréhension de ce qui devrait être le rôle de l’Etat. L’envergure du NPP c’est la restructuration du paysage politique pour l’option d’un véritable programme partagé à la fois pour aller à la conquête du pouvoir et aussi et surtout pour l’exercice de celui-ci au profit des Maliens.
Vous avez beaucoup côtoyé les jeunes dans les «grin». Quels sont les maux de la jeunesse malienne ?
Notre jeunesse a comme préoccupations son avenir qui se traduit au quotidien par des problèmes d’emploi, d’école, de formation, d’identité culturelle… Ces questions sont d’ordre fondamental. La jeunesse n’est pas une bombe à retardement, bien au contraire. Je dis parfois que la jeunesse est une bombe de développement, c’est une capacité inouïe à condition qu’on s’en occupe, qu’on parle avec les jeunes et qu’on leur fasse confiance. C’est pourquoi je disais depuis 2012 que le mandat qui vient est un mandat de transition et notamment dans cette transition-là, qu’il y ait une transition générationnelle. Des milliers de jeunes c’est autant d’opportunités, c’est autant de vitalité. Et nous devons en profiter. Je le dis, nous serons là pour qu’ils occupent les places qu’il faut suivant leurs compétences. La question de la formation et l’adéquation emploi sera nettement revue.
On vous dit en froid avec l’opposition et avec son chef de file. Quels sont vos rapports avec celui-ci ?
Je n’ai aucun problème concernant ma position vis-à-vis de l’opposition républicaine et démocratique. Je ne suis pas en dehors, nous sommes nous aussi membres de l’opposition républicaine et démocratique. Le NPP est membre de l’opposition. Nous n’avons aucun problème avec l’URD ni avec le chef de file de l’opposition. Mais je dis, qu’il soit clair pour tout le monde. Chaque fois qu’il y a des différences d’approches politiques, ou des différences sur ce que nous pensons être l’intérêt, nous n’hésiterons pas à prendre une position, à affirmer cette position et à la défendre. Je crois qu’il faut que les uns et les autres comprennent que dans le jeu politique et les prises de position, il faut cesser de croire que tout est ego. Je dis non ! Il y a aujourd’hui des politiques d’approche sur des questions d’intérêt majeur.
Je ne suis pas sûr que nous ayons la même compréhension de ce que doit être l’Etat stratège, son rôle majeur. Je ne suis pas sûr que nous soyons d’accord sur la question de la refondation et toute la démarche à conduire derrière cela. Ce sont des questions politiques. Qu’on les affirme cela ne veut pas dire qu’on a des problèmes avec qui que ce soit. Je n’ai pas de problème avec qui que ce soit.
On se rencontre, on discute, on parle. Mais concernant les questions nationales on peut avoir des différences des points de vue, les affirmer. Et dans le cadre électoral, les Maliens décideront du choix qu’ils auront à faire.
Le NPP et les FARE sont fortement engagés pour la reconstruction du Mali, nous sommes fortement engagés de sortir de cette espèce de croissance qui est inhumaine où on nous parle de 5% de croissance et il y a autant de désespoirs, autant d’absence de perspective, autant de pauvres, autant de jeunes sans emplois qui sont confrontés au drame de la méditerranée. Non, nous devons sortir de ce type de croissance-là.
Les débauchages et autres démissions au sein de votre parti, ne semblent pas vous ébranler. Pourquoi autant de sérénité ?
Pas que c’est moi qui suis inébranlable. C’est les FARE qui le sont. Nous sommes apaisés. Nous sommes constitués par des gens libres. Le moment venu, de la même manière, des gens librement peuvent penser qu’ils peuvent sortir des FARE pour aller continuer leur vie ailleurs. Il n’y a aucun problème à cela. Tout comme d’autres nous rejoignent. Heureusement d’ailleurs. Les gens nous rejoignent soit via les FARE soit via les mouvements associatifs qui soutiennent ma candidature. Et ça c’est le plus important.
Soyez en sûr ! Nous allons proposer, nous allons construire avec les Maliens une sortie de crise durable qui nous mènera vers une véritable stabilité structurelle et qui ouvrira tous les espoirs pour notre pays.
Propos recueillis par David DEMBELE