La marche non autorisée de la coalition pour l’alternance et le changement et ses alliés, a été réprimée le 2 juin dernier par les forces de sécurité qui avaient en face des jeunes déterminés et engagés.
Tôt dans la matinée du 2 juin 2018, les forces de sécurité (police, garde, gendarmerie) ont pris d’assaut la place de la liberté, le monument de l’indépendance, la devanture de la Bourse du travail et du cinéma Babemba pour empêcher la marche de la coalition pour l’alternance et le changement et ses alliés. A 6h 45 mn, on observait déjà des policiers et des gardes en tenue de maintien d’ordre au bord des routes. Dans la cour du commissariat du 1er arrondissement, trois ou quatre véhicules d’intervention de la protection civile sont stationnés avec ceux de la police et de la garde. On y aperçoit également quelques éléments d’une unité spéciale de la gendarmerie avec Kalachnikov. Dans la ville, les citoyens vaguent normalement à leurs occupations. A la Place de l’Indépendance, des gendarmes sont présents en grand nombre, des gardes sont postés devant l’institut français. Quelques mètres plus loin, la Bourse du travail est assiégée. La tribune installée par les organisateurs est démontée sans ménagement. Les agents des forces de sécurité postés invitent les passants à ne pas s’agrouper. Ceux qui refusent sont copieusement brutalisés.
Petit à petit, les marcheurs commencent à converger vers le siège de l’ADP Maliba où les attendent de nombreux leaders comme Tiébilé Dramé, Alou Boubacar Diallo, Amadou Thiam, Habib Dembélé dit Guimba national, Me Mohamed Ali Bathily, Mamadou Igor Diarra, Mamadou Sidibé.
Tiébilé Dramé taquine l’ex-ministre Bathily en ces termes : « Monsieur le ministre Bathily, tu es en tenue de combat !». « Je suis toujours en tenue de combat », répond l’ancien ministre d’IBK avec un éclat de rire. Des chasseurs d’information sont là. Au niveau du monument de l’indépendance, des caméramans sont appelés à filmer un jeune garçon tabassé par les forces de l’ordre. Le Président du Parena, Tiébilé Dramé, accorde sa première interview à la presse. « Le gouvernement a décidé de créer le trouble. C’est une provocation….Nous sommes une opposition responsable…Nous avons conscience de l’état de notre pays… C’est un gouvernement irresponsable qui veut créer du désordre pour ne pas aller aux élections…C’est un gouvernement qui porte atteinte aux acquis démocratiques…Ils ont peur du peuple. Ils ont peur de la mobilisation du peuple. Il est important de libérer l’ORTM de la colonisation…Le président IBK ne peut pas gagner au 1er tour. C’est impossible », a-t-il confié avant de rappeler l’objectif de la marche à savoir l’organisation d’élections libres et transparentes et la libération de l’ORTM.
Il y a du monde devant le siège de l’ADP Maliba. Une colonne de policiers avance en direction des manifestants avec en tête un commissaire de police. Tiébilé, Alou Boubacar Diallo et autres entourés des militants partent à la rencontre du Compol et de ses hommes. « Il faut intégrer la salle », lance l’officier de police. Le leader du Parena essaie de le convaincre à replier avec ses hommes. Entre temps un incident survient. Un jeune manifestant tombe et les gaz lacrymogènes pleuvent. Chacun cherche à se mettre à l’abri. Certains trouvent refuge dans leur véhicule. Le service de sécurité de la marche évacue les leaders. D’autres cherchent à escalader le mur protégé par des barbelés. Ils cherchent par-ci et par-là de l’eau. La grande porte du siège est prise d’assaut par les manifestants. Le véhicule de Soumaïla Cissé fait son arrivée. Il sort la tête par le toit pour saluer les manifestants qui l’acclament, mais pas pour longtemps car, les forces de sécurité postées au niveau de l’ancien ministère des finances commencent à arroser les manifestants par une rafale de gaz lacrymogène. La foule recule en direction de l’agence EDM-SA mais revient pour répliquer avec des pierres. Sous la pression, le groupe de policiers recule en courant vers le siège d’ECOBANK.
Pendant plus d’une heure, les manifestants bravent les gaz des forces de sécurité. On aperçoit un jeune avec un bouclier anti-émeute d’un policier. C’est la confusion totale dans ce secteur. Des véhicules sont déroutés de leur chemin. Les policiers pourchassaient certains manifestants dans les rues de Bamako-coura. Certains jeunes ont tenu tête aux agents de force de l’ordre en leur lançant des cailloux.
L’opposition opte pour un meeting d’information. Les agents des forces de l’ordre ont quadrillé le siège du parti d’Alou Boubacar Diallo. Malgré cela, les manifestants ont tenu à venir écouter leurs leaders. Des gaz lacrymogènes tombent toujours. Certains manifestants s’écroulent sous l’effet des gaz. Au même moment, d’autres ont décidé de repousser les agents des forces de l’ordre. Dans la cour de l’ADP Maliba, on pouvait voir les vitres des véhicules brisées et des personnes couchées à terre. En dépit de cette situation, les leaders politiques ont tenu leur meeting en faisant des déclarations. « IBK s’est calfeutré chez lui. Ce sont les autres qui travaillent pour lui. Il peut sortir avec tant de violence, nous serons toujours là car, le pays nous appartient. S’il y a eu un cas de mort, il s’assumera », a dit Me Mohamed Aly Bathily. « Il y a des blessés qui sont admis à l’hôpital. Il y a des tirs à balle réelle. Il y a des blessés graves », a déclaré Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition. « J’ai été agressé dans le siège de mon parti et ils vont répondre à cet acte. Ceux qui sont en train de préparer la mascarade électorale ne passeront pas », a déclaré Alou Boubacar Diallo, président d’honneur du parti ADP MALIBA. Quant à Tiébilé Dramé, il a déclaré que le fait de matraquer et de gazer les manifestants relève de la responsabilité entière du Président de la République.
Modibo L. Fofana
Coulisses : Mamadou Igor Diarra et Etienne Fakaba parmi les blessés
Plusieurs personnes ont été blessées au cours de cette marche non autorisée. Le service des urgences du Centre Hospitalier Universitaire Gabriel Touré a enregistré plus de 16 blessés dont un policier. Dans le rang des leaders de l’opposition et de la société civile, le jeune Etienne Fakaba Sissoko a été copieusement tabassé par les policiers. Sur sa page facebook, il a affirmé que les policiers avaient reçu l’ordre de lui battre à mort. L’ancien ministre Mamadou Igor Diarra figure également parmi les blessés. Plus de peur que mal. 12 manifestants ont été libérés et 4 restaient encore pour des contrôles samedi après-midi.
Soumi brave les gaz lacrymogènes
L’arrivée du véhicule du chef de file de l’opposition, l’honorable Soumaïla Cissé, accompagné de son épouse, Astan Traoré, a coïncidé avec les premiers tirs de gaz du côté de l’ancien ministère de l’économie et des finances. Le Président de l’URD n’a pas fini de saluer la foule quand une pluie de gaz commence à pleuvoir. Comme il s’attendait à ça, il sort un protège-nez pour braver le gaz.
La résidence du Premier ministre échappe de justesse, des infiltrations
La foule furieuse voulait s’attaquer à la résidence du Premier ministre, sise quartier du fleuve. Certaines personnes surexcités qui bravaient les forces de sécurité avaient pris le chemin avant d’être dispersé. La résidence du chef du gouvernement a échappé de justesse. Selon de nombreux jeunes présents au siège de l’ADP Maliba, la marche a été infiltrée par les autorités.
Alou Boubacar Diallo avec une sécurité très renforcée
Le président d’honneur de l’ADP Maliba, candidat à l’élection présidentielle, Alou Boubacar Diallo, était sans nul doute le leader politique le plus protégé lors de cette manifestation. L’homme d’affaires dispose d’un service de protection rapprochée qui lui surveille dans tous ses mouvements. Le chef de ce service, un blanc, communique régulièrement avec ses éléments à travers leur radio.
De l’eau du robinet pour minimiser l’effet des gaz lacrymogènes
Retranchés dans la cour du siège de l’ADP Maliba, les jeunes manifestants ont été sérieusement gazés par les éléments des forces de l’ordre. Pendant plus de deux heures d’horloge, des gaz atterrissaient dans la cour de l’ADP Maliba. Pour atténuer les effets des gaz, les jeunes ont utilisé l’eau du robinet. Et à chaque fois que les agents de sécurité tiraient des rafales de gaz, ils prenaient des raccords pour asperger l’intérieur de la cour.
Des leaders de l’opposition applaudis à Gabriel Touré
Les leaders de l’opposition Soumaïla Cissé, Modibo Sidibé, Tiébilé Dramé, Amadou Thiam, se sont rendus au chevet des blessés à Gabriel Touré. Selon une source hospitalière, ils ont été applaudis par une foule présente sur place.
Les leaders de l’opposition face à la Presse : « Nous ne nous laisserons pas faire »
Après la répression de la marche du samedi dernier, les leaders de l’opposition envisagent d’organiser une nouvelle marche le vendredi 08 juin 2018. L’information a été donnée hier dimanche 3 juin à la Maison de la Presse de Bamako au cours d’une conférence de presse.
L’un des orateurs du jour, Tièbilé Dramé, condamne ce qui s’est produit samedi. Il s’est dit dégouté de voir des hommes qui ont participé au combat pour l’avènement de la démocratie se transformer en acteurs d’un fascisme rampant au Mali. « Notre démocratie a été conquise par des hautes luttes de sang. Nous ne nous laisserons pas faire, nous les obligerons à le respecter. La dictature ne passera pas dans ce pays, il faudrait qu’ils passent sur notre corps », a déclaré Tiébilé Dramé.
Selon Me Mohamed Ali Bathily, la démocratie malienne a pris un coup fatalle 2 juin dernier. Selon lui, le gouvernement veut enterrer la démocratie.
Tour à tour, Soumaïla Cissé, Aliou Boubacar Diallo, Mamadou Igor Diarra ont tous condamné la répression de la marche avant de qualifier le chef de l’Etat de dictateur. Ils ont appelé les manifestants à sortir massivement le vendredi pour exiger une élection libre et transparente et l’accès équitable à l’ORTM.
Les préoccupations de l’opposition sont relatives à la nouvelle loi électorale qui donne au ministre de l’administration territoriale et de la décentralisation le pouvoir d’ériger arbitrairement la circonscription électorale en zones de non droit, où des élections ne pourront pas se tenir pour des cas de force majeures.