PolitiqueDécret d’application de l’Etat d’urgence en cours au Mali : Une loi datant de sous Moussa Traoré, en déphasage avec la Constitution et les réalités du moment
La répression des différentes marches pacifiques, surtout celles organisées par l’opposition, tend à devenir une règle générale au Mali. Si dans les premières heures du régime du président IBK en 2013, les marches étaient systématiquement autorisées et encadrées par les autorités, désormais cette donne a changé. Ce durcissement du régime est surtout intervenu après la nomination de Soumeylou Boubèye Maïga au poste de Premier ministre, en décembre 2017. Pour interdire les marches, les autorités se réfèrent à une vieille loi votée sous le régime dictatorial du Général Moussa Traoré et qui ne prend pas en compte les évolutions du moment ni même la Constitution de 1992.
A chaque interdiction de marche, les autorités évoquent la Loi n°87-49/AN-RM du 10 août 1987 relative à l’état de siège et à l’état d’urgence. Une loi adoptée par l’Assemblée Nationale de la 2ème République le 4 Juillet 1987 et promulguée par un décret signé par Moussa Traoré, le 28 septembre 1987. Les articles 15, 16 et 17 permettent aux autorités d’écouter les conversations téléphoniques, de lire les emails et autres courriers.
Elles peuvent également emprisonner tout citoyen pendant 2 mois, ou encore muter n’importe quel fonctionnaire ou que ce soit. Des méthodes qui s’apparentent clairement à celles en vigueur sous le régime du Général Moussa Traoré.
Par ailleurs, les dispositions de l’article 7 de cette loi prévoient aussi : ” de réglementer ou interdire la circulation des personnes, des véhicules, ou des biens dans certains lieux et à certaines heures; d’instituer des zones de sécurité où le séjour des personnes est règlementé ou interdit ; d’interdire le séjour dans tout ou partie d’une ou plusieurs circonscriptions visées à l’article 6, à toute personne cherchant à entraver, de quelle que manière que ce soit, l’action des pouvoirs publics ; d’interdire, à titre général ou particulier, tous cortèges, défilés, rassemblements et manifestations sur la voie publique. “
Malgré les évolutions du moment et certaines dispositions de la Constitution de 1992 qui garantissent les libertés individuelles et collectives, le décret d’application de cette loi de 1987 n’a jamais été abrogé. Pire, il est évoqué dans tous les décrets instituant l’Etat d’urgence depuis 2013. Comme le prouve la répression violente qui s’est abattue sur la marche pacifique organisée par l’opposition, le samedi 2 juin dernier.
Pour de nombreux observateurs avertis, cette situation démontre que la démocratie, chèrement acquise au Mali, est en danger et la forme républicaine de l’Etat menacée. Il convient de préciser que la Constitution de 1992 n’évoque que les conditions et méthodes de la mise en place de ” l’Etat d’exception “. Elle n’impose pas de contours pour la loi d’application, sauf que celle-ci ne doit “en aucun cas compromettre la souveraineté nationale ni l’intégrité “ tel que stipulé dans les articles 49 et 50 de la Loi fondamentale.
Même s’il est vrai que dans ce cas de figure, la loi de 1987 que le gouvernement évoque dans l’instauration de l’état d’urgence lui donne le droit d’interdire la marche, on pouvait aussi se référer à la Constitution qui garantit plusieurs libertés aux citoyens, dont le droit de rassemblement, mais également le droit de désobéir à l’autorité pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat.
Pour ce faire, l’article 5 de la Constitution dispose que ” L’Etat reconnaît et garantit, dans les conditions fixées par la loi, la liberté d’aller et venir, le libre choix de la résidence, la liberté d’association, de réunion, de cortège et de manifestation “.
De son côté, l’article 121 de la Constitution renchérit : ” Le fondement de tout pouvoir en République du Mali réside dans la Constitution. La forme républicaine de l’Etat ne peut être remise en cause. Le peuple a le droit à la désobéissance civile pour la préservation de la forme républicaine de l’Etat. Tout coup d’Etat ou putsch est un crime imprescriptible contre le peuple malien “.
A la lumière de ce qui suit, on peut affirmer sans risque de se tromper que la loi de 1987 aurait dû être réactualisée et adaptée à la Constitution de 1992. Sans compter le fait qu’elle évoque des institutions qui n’existent plus telles que la Cour Spéciale de Sureté de l’Etat. De même qu’elle fait référence à la composition par décret d’une Commission de contrôle permettant aux citoyens de protester contre des mesures privatives. Or cette commission n’existe plus aujourd’hui.
Aussi, certaines dispositions de cette loi violent de manière flagrante la Constitution de 1992. C’est ainsi que dans son article 19, cette loi stipule que ” Lorsque l’état de siège et l’état d’urgence sont déclarés, les membres du personnel de la police en uniforme et les personnels des forces armées chargés de mission de police et de maintien de l’ordre, sans préjudice des dispositions du code pénal, sont habilitées, en l’absence de l’autorité judiciaire ou administrative, à faire usage de leurs armes “.
Alors que certains articles de la Constitution de 1992 rejettent clairement cette idée. Ainsi, l’article 1 stipule que ” la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité et à l’intégrité de sa personne “. Et l’article 3 de renchérir que ” Nul ne sera soumis à la torture, ni à des sévices ou traitements inhumains, cruels, dégradants ou humiliants. Tout individu, tout agent de l’Etat qui se rendrait coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi “.
Donc, un agent de l’Etat ne peut se cacher derrière loi ou ordre venant de la hiérarchie pour non-respect du droit des citoyens, notamment les traitements inhumains. De plus, le gouverneur du District n’a aucune prérogative d’interdire une marche ou de l’autoriser. Il doit en revanche se prononcer sur l’itinéraire et sur l’horaire pour encadrer la marche afin d’éviter les débordements. D’autant que des marches ont été organisées de façon simultanée alors que les autorités compétentes n’ont même pas été informées.