Engagées, écoutées, respectées, mieux représentées au niveau local, les Maliennes occupent une plus grande place dans le paysage politique et dans l’état-major des partis. Pourtant, au sein de l’exécutif comme au Parlement, on est encore très loin de la parité.
Qu’elles soient présidentes de parti, responsables de comité ou simples militantes, les Maliennes comptent faire entendre leur voix pour peser dans la présidentielle de juillet-août prochain. Lors de la révolution de 1991, où elles ont joué un rôle capital, ce sont elles qui, par milliers, sont descendues dans les rues de Bamako pour soutenir leurs enfants pris sous le feu des militaires, un 26 mars de triste mémoire. Beaucoup y ont perdu la vie. « Nous allions chercher les blessés sous les balles pour les conduire à l’hôpital, où ils étaient parfois soignés à même le sol », se souvient Ramata Dia, promotrice de Radio Guintan, « la voix des femmes au Mali ».
Actives dans tous les espaces d’expression, notamment au sein de la coopérative culturelle Jamana et du journal Les Échos, elles ont pris part, une fois Moussa Traoré renversé et le multipartisme reconnu, à la phase de transition, puis au premier gouvernement démocratiquement élu depuis celui de Modibo Keïta, y occupant même des postes clés, comme ç’a été le cas pour Sy Kadiatou Sow.
Un quart de siècle plus tard, le poids politique des Maliennes a peu évolué. Elles constituent 50 % de la population, mais ne comptent que 14 femmes parmi les 147 députés et 9 parmi les 36 ministres du gouvernement de Soumeylou Boubèye Maïga.
SI DEUX CANDIDATURES DU MÊME SEXE SONT INSCRITES, LA TROISIÈME DOIT ÊTRE DE L’AUTRE SEXE », PRÉCISE LA LOI
En revanche, au niveau local, le nombre de femmes conseillères municipales a bondi lors du scrutin de novembre 2016, passant à 2 863, contre 704 en 2009. La loi, promulguée par Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), instituant des mesures pour promouvoir le genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives précise, dans son article 3, que « les listes de candidatures aux élections locales doivent respecter l’alternance des sexes de la manière suivante : si deux candidatures du même sexe sont inscrites, la troisième doit être de l’autre sexe ».
Bien plus que de simples figurantes
Ce texte est perçu comme une victoire pour les organisations de lutte pour les droits des femmes. « Cela a été l’occasion pour les partis d’utiliser les capacités de mobilisation des femmes pour leur propre compte, analyse Ramata Dia. Elles sont membres d’associations de quartier, de groupements villageois et de tontines. Ce sont elles qui font le porte-à-porte pour mobiliser lors des campagnes. Au moment des meetings, pourtant, elles restent en retrait pour ne prendre la parole qu’en dernière position. »
Dans un pays où le pouvoir est traditionnellement une affaire d’hommes, peu de femmes osent s’exprimer en public. Elles sont aussi freinées par la pauvreté et par l’analphabétisme (seulement 22 % des femmes de plus de 15 ans étaient alphabétisées en 2015, contre 41 % des hommes, selon l’Institut national de la statistique).
Même si, contrairement aux deux précédentes présidentielles, aucune candidature féminine n’a encore été enregistrée pour la prochaine, les femmes s’organisent pour peser au sein des partis. « Elles sont bien plus que de simples figurantes au Parti pour la renaissance nationale [Parena]. Notre présidente d’honneur, Bintou Maïga, a été de tous les combats depuis 1970 ; elle est écoutée et respectée de tous, explique Tiébilé Dramé, président de la formation. Ce sont elles qui bousculent les partis et les poussent à s’unir, au nom d’une alternance en 2018. »
NOUS ENVISAGEONS LA PRÉSIDENTIELLE COMME DES POLITIQUES », LANCE LA PATRONNE DU PRD
Alliance stratégique
D’autres ont décidé de se battre d’égal à égal avec les hommes. Assetou Sangaré, présidente-fondatrice du Parti pour le renouveau et le développement (PRD), est l’une des deux seules femmes aujourd’hui présidentes de parti, avec Sidibé Aminata Diallo, à la tête du Rassemblement pour l’éducation à l’environnement et au développement durable (Redd).
« Nous envisageons la présidentielle comme des politiques », lance la patronne du PRD, qui a longtemps été secrétaire générale du parti Yéléma, de Moussa Mara. À l’issue d’une consultation interne, ce jeune parti, qui a obtenu son récépissé en février 2018, a décidé de soutenir la candidature d’IBK. Une alliance stratégique pour celle qui « espère un jour gouverner, tant sur le plan local que national ».
Aïcha Belco Maïga, la Malienne
« Lorsque je me suis lancée en politique, mon oncle m’a conseillé de porter une ceinture en peau d’hippopotame. Une manière de me dire de m’armer de courage », ironise Aïcha Belco Maïga, élue à Kidal, une région où le poids de la culture et de la religion constitue un frein à l’émancipation des femmes.
Première présidente du Conseil du cercle de Tessalit en 2009, première vice-présidente de l’assemblée régionale de Kidal et députée RPM depuis 2014, cette ambitieuse de 56 ans veut briser le plafond de verre. « Mon intérêt, c’est d’avoir un poste de décision, dans lequel je peux faire bouger les lignes », lance-t-elle.
Toujours coiffée d’un voile traditionnel et connue pour son franc-parler, elle se bat pour que les femmes ne soient pas « uniquement du bétail électoral ». « Dans ma région, elles s’intéressent à la politique. Elles sont aussi très actives dans les comités de gestion scolaire, de la santé et de l’eau, essentiels pour les communautés », explique la députée.
LA PAIX N’EST PAS POSSIBLE SANS LES FEMMES
En 2012, alors que Kidal était occupée par les mouvements indépendantistes, Aïcha Belco Maïga prêchait l’unité nationale. Ce qui lui a valu le surnom d’« Aïcha la Malienne ». Pour l’élue du Nord-Mali, les femmes ont évidemment leur rôle à jouer dans la réconciliation. « Elles doivent être associées à toutes les initiatives, car elles sont les premières victimes de la crise. La paix n’est pas possible sans les femmes. »
Sy Kadiatou Sow, la pionnière
Nicolas Réméné pour JA
Sy Kadiatou Sow a été l’une des figures de l’opposition à la révision constitutionnelle voulue par IBK, en 2017. Le collectif An tè a banna ! (« Touche pas à ma Constitution ! »), dont elle est désormais présidente d’honneur et qui regroupe des organisations de la société civile et des partis politiques de l’opposition, avait réussi à convaincre le président de « surseoir » à son projet de référendum.
À 63 ans, cette femme charismatique connaît la scène politique malienne sur le bout des doigts, pour être aussi bien passée par le gouvernement, l’opposition et la société civile. Première femme gouverneure (district de Bamako) après la chute de Moussa Traoré, elle est ensuite ministre des Affaires étrangères, puis de l’Urbanisme et de l’Habitat.
JE SUIS RESTÉE PEU DE TEMPS DANS MES FONCTIONS MINISTÉRIELLES, CAR LES SOMMETS, CE N’ÉTAIT PAS MA TASSE DE THÉ
Des portefeuilles moins palpitants que les manifestations de rue, auxquelles elle est habituée. « Je suis restée peu de temps dans mes fonctions ministérielles, car les sommets, ce n’était pas ma tasse de thé », confie Sy Kadiatou Sow dans un éclat de rire.
Depuis 2009, elle a relancé l’association Adema, fondée en 1991, qui regroupe des personnalités de tous bords politiques. « Cette association est la mère de tous les partis politiques actuels du Mali, souligne-t-elle. Elle compte veiller à la sauvegarde des idéaux du 26 mars et à la consolidation du processus démocratique. » Pour ce faire, elle organise régulièrement des tables rondes pour débattre du processus électoral, à la veille de la présidentielle.