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Oussouby Sacko, un Africain devenu Malien au Japon
Publié le mercredi 13 juin 2018  |  liberation.fr
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A 52 ans, il vient d'être élu président de l'université Seika à Kyoto. Une grande première dans un archipel où les étrangers représentent moins de 2% de la population.
A ses côtés, les Japonais font figure de gringalets. Dans le petit café de Kyoto, Oussouby Sacko impose sa tête de plus et sa corpulence généreuse avec une étonnante fluidité. Sous la casquette en tweed et devant la double ration de tartines, le verbe est haut, la parole franche et le regard direct. L’homme d’origine malienne n’est pas japonais pour un sou en dépit de sa naturalisation et de vingt-sept années passées dans l’archipel. Il brosse même à rebours les habituels attributs nippons puisqu’il est bon vivant, infatigable fêtard et voyageur, polyglotte surdoué.

En cette rentrée qui vient de débuter au Japon, il s’érige en modèle d’intégration à la présidence de la Kyoto Seika University. Jamais un Africain n’avait encore été élu à un tel poste. Une première remarquée dans une société loin de briller par sa diversité.

«Le Japon ne reconnaît pas les talents directement, ne pratique pas l’élitisme, modère l’intéressé. Pour réussir, il faut en maîtriser la langue et les codes, ce qui n’est guère aisé, même pour certains Japonais, puis grimper les marches pas à pas et apprendre la patience, car on ne peut sauter d’étape. Si on respecte cela, il est facile d’accéder à des postes à responsabilités.» Reste que les étrangers représentent moins de 2% des 127 millions d’habitants. Et parmi eux, les ressortissants africains ne seraient pas plus de 15 000. La facilité présumée du parcours d’Oussouby Sacko, 52 ans, est donc toute relative.

Tollé auprès des collègues
Le professeur d’architecture a été élu par les professeurs et l’administration de son université, avec une participation de l’ordre de 95%, signe de l’intérêt porté à ce scrutin. «J’ai gagné à une voix près ! souligne celui qui se présentait pour la première fois. Au début c’était trop lourd. Si on gagne, il vaut mieux bien gagner. Alors une seule voix de différence… Puis je me suis dit que plus de la moitié de mes collègues m’acceptaient et valorisaient ce que j’avais fait jusque-là.» Il évite d’emblée la division en faisant de son rival un des deux vice-présidents.

Le second est une mère célibataire, de quoi susciter un tollé auprès de ses collègues. «Je voulais une femme mais je ne connaissais pas sa situation familiale quand je l’ai choisie. Elle m’a avoué qu’elle vivait seule avec un fils de 10 ans; j’ai dit que nous allions essayer de nous adapter à cela et qu’elle ferait de même. Mais les Japonais étaient vraiment contre sa nomination, car c’est un poste où il faut toujours être en alerte.» Oussouby Sacko n’a rien cédé. Dans un pays où le consensus est de mise, comment parvient-il à changer les choses sans esclandre ? «Il paraît que j’ai une manière très polie d’affirmer en japonais», glisse-t-il dans un sourire.

Né à Bamako, Oussouby Sacko étudie d’abord la littérature française sur les bancs de l’école. «Nous lisions des poèmes évoquant la neige que nous n’avions jamais vue chez nous.» Après le bac, il décroche une bourse pour faire des études d’architecture à l’étranger. Le gouvernement choisit la destination, la Chine. Il se plaint – «Qu’est-ce que j’ai fait pour être envoyé là-bas?» – puis se ravise: «J’ai finalement estimé que c’était une chance de voir un autre monde.»

Il part en 1985 et reste six ans, à Pékin puis Nankin, sans enthousiasme. «Les Chinois ne voulaient construire que des gratte-ciel alors nous apprenions à faire du Manhattan.» Le temps d’un voyage, il découvre avec délice le Japon voisin. «J’ai retrouvé des valeurs que nous avions au Mali : l’importance de la relation humaine, le respect d’autrui et de l’âge…» Il s’installe dans l’archipel en 1991 et ne le quitte plus, sans trop l’avoir prémédité - «Tous les ans, je dis que je vais rentrer au Mali l’année prochaine !»

Malheureux au début
Marié avec une Japonaise, père de deux fils, Oussouby Sacko affirme avec justesse que c’est au Japon qu’il est devenu Malien. «En Asie, j’ai eu la chance de me rencontrer moi-même, dit-il. Nous, les Maliens, nous pouvons très facilement embrasser la culture que nous allons rencontrer en France ou en Europe, car c’est l’idéalisation de ce qu’on apprend à l’école, c’est ce qu’on nous dessine dans la tête. Au Japon en revanche, on nous rappelle toujours que nous sommes des gaijin, des étrangers. Ce n’est pas un rejet, mais une manière de montrer notre différence. Je devais souvent présenter mon pays et cela m’a permis d’en apprendre davantage à son sujet.»

Au début, trop pressé d’apprendre le japonais et les manières locales, Oussouby Sacko est malheureux. «J’ai finalement compris que je n’y arriverai jamais et qu’il valait mieux que je reste moi-même, que j’essaye d’avoir un échange avec eux et non pas d’être comme eux. C’est un peu ce que je fais à l’université, j’ai ma propre manière de faire, je donne à voir quelque chose de différent.»

Iconoclaste assumé, le professeur faisait cours à ses étudiants dans divers cafés de la ville, parlait avec eux autant d’architecture que de vie privée: «Une classe c’est une famille.» Il parle aujourd’hui de diversité et de globalisation, d’ouverture des facs aux étrangers et aux minorités. Mais qui sait vraiment ce qu’Oussouby Sacko fera à l’échelle d’une université.

Rafaële BRILLAUD Correspondante à Kyoto (Japon)
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