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Disparition du Professeur Ogobara Doumbo: accident ou assassinat ?
Publié le mardi 19 juin 2018  |  Info Matin
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Je crie ma colère… juste colère, devant le fait accompli de la disparition prématurée du Professeur Doumbo, ce valeureux fils du Mali ; un excellent, un Titan, un céleste, néanmoins hors du champ visuel de certains farfelus qui les cherchent et ne les trouvent nulle part.
Je n’ai cure d’un quelconque outrage à ceux qui se sentiraient visés. Tant pis. Dans cette république des médiocres, tout jeune, en 1985, j’ai écrit, publié et dénoncé dans le quotidien l’Essor, l’affligeante attitude de nos autorités à célébrer, même pas les morts, mais des dépouilles, qu’on s’emploie à honorer de décorations à titre posthume qu’on leur a refusées de leur vivant. « Hommages désespérés » était le titre de cette première signature, que mon aîné Gaoussou Drabo qualifia, je m’en souviens, «d’article d’humeur». Pourtant, elles organisent chaque année, ces mêmes autorités, la foire aux enchères de distribution des médailles de fidélité et d’allégeance aux contingents de légionnaires contingents, récipiendaires administratifs à tour de rôle, aux dépens des serviteurs distingués de la Nation, qui ont le malheur d’avoir une tête qui ne passe pas ; trop présomptueuse à leur goût ; traités de prétentieux, même quand les résultats de leurs œuvres, de leurs livraisons au quotidien devant fadén attestent du mérite honteusement dénié dans le goût du dénigrement propre aux petites gens. Des minables.
Aujourd’hui, les clairons sont parfaitement lustrés et embouchés lyriquement pour rabâcher les oreilles d’éloges tapageuses pour le brillant homme de science qui a tiré sa révérence, reconnu seulement après sa mort comme un savant, pourtant jamais traité comme tel. Lui, en tout cas, il n’était pas demandeur. Simple travailleur dévoué à la cause, à son pays.
Dis-moi comment tu traites tes érudits, je te dirai quel Etat tu es.
Tous les pays comptent de grandes figures intellectuelles, scientifiques ou littéraires, spirituelles également ; mais tous n’ont pas la chance d’avoir des savants de souche. Quand on les a, ils méritent d’être convenablement soignés et soigneusement protégés. On ne les ignore pas, les laissant vaquer comme ils peuvent, jusqu’à les laisser crever de maladies bénignes, pour venir ensuite se répandre en sensibleries, en discours de circonstance d’une mise en scène rituelle dérisoire qui cherche plutôt à se dédouaner, voire à récupérer.
Le Professeur Doumbo est certes un mortel ; et, chacun de nous aura tôt ou tard son «jour fatidique», qu’il arrive naturellement ou accidentellement, causé ou non par des semblables, traitreusement ou involontairement, par incapacité ou par mégarde. Dieu dispose !
Mais, à y voir clair, l’éminence grise malienne qui vient de succomber au manque d’intérêt de son Etat, n’aurait pas dû mourir de la sorte. Certes, tout bon croyant se résigne en la circonstance et s’en remet aux cieux, lorsque l’irréparable est commis. Mais, attribuer à la fatalité ce qui relève a priori d’une négligence coupable n’est imputable qu’à l’obscurantisme cultivé par l’impéritie de nos gouvernants, depuis de longues décennies de tripatouillage.
Laisser un savant se débrouiller tout seul pour se traiter (parce qu’on lui jalouse sans doute la renommée et les subsides gagnées), assigné à une péripétie clinique où aucune disposition officielle n’est prise pour l’assister de quelque façon que ce soit, évacuation problématique, tardive, rien de l’Etat malien… préoccupé ne serait-ce, jusqu’à ce que sa mort survienne ; comment qualifiez-vous un tel manquement au devoir, pareille irresponsabilité ?
Je clame haut et fort que c’est un assassinat, homicide involontaire probablement, un crime de ceux dont la responsabilité est engagée, en toute logique, car la sécurisation du patrimoine national est inhérente à leurs missions.
Encore faudrait-il que ces beaux messieurs et dames, plastronnant dans leurs fonctions respectives, aient compris qu’un savant est en soi un véritable patrimoine, et un don de Dieu. Ce n’est pas étonnant qu’au Mali l’on ne mesure plus cette absence d’éthique de la charge qui engage et oblige, dans un pays voguant à l’abandon, où trônent des parvenus qui n’ont d’autres soucis que leur seul confort et aisance, promus par effraction à des postes de dignité rarement mérités, qu’ils ramènent systématiquement à la sinécure et la jouissance, passant à côté du devoir de sacrifice, du don de soi, de la volonté résolue de réparer tant de forfaits accumulés et combien de forfaitures, je dis, d’une « gouvernance sans conscience ».
Double crime, faut-il dire, car le Professeur aurait subi une intervention banale d’abord qui s’est compliquée par la suite, intervention effectuée par un collègue qui, lui-même, décède mystérieusement avant lui, foudroyé, comme pour ne jamais avoir à témoigner de ce qu’il savait. Une seconde intervention qui n’aboutit guère. Un Etat sérieux, face à des faits aussi troublants, avant même des funérailles nationales (décidées à la volée) engage d’abord une enquête. Mais, quand on n’a pas compris la nature éminemment sensible, délicate, fondamentalement stratégique, des travaux du professeur, ses enjeux énormes, pour comprendre que des personnes, des cercles, des réseaux, mal intentionnés à travers le monde sont capables d’attenter même à sa vie, il est clair que l’on ne se doute de rien pour penser à protéger le trésor ignoré. Une thèse de complot ; c’est possible, sinon plausible. Les professeurs néerlandais qui promettaient une solution au sida ont vu leur avion bombardé. Ceux qui ont soutenu les vertus d’une plante contre la malaria au Congo ont été menacés, brimés. La recherche sur le paludisme (autre nom de ce gisement d’or des laboratoires) est aussi un lieu de lutte acharnée, vu que la firme américaine Pfizer est passée par le Mali, après des procès au Nigeria, et qu’une affaire de génome subsiste.
C’est pourquoi, des mesures diligentes doivent être initiées pour protéger tous les documents et lieux de travail du chercheur ; savoir quels ont été les échanges qu’il a pu avoir avec l’extérieur, avec qui, à quel sujet. Bref, tout le protocole d’investigation pour la consignation et sécurisation de son capital ressource contre toute tentative d’accaparement, de spoliation, ou de destruction (théorie, preuves, fichiers…). Prière à vous les collègues de vous atteler à cela rapidement, car nos politiques, combien clairvoyants, ont d’autres chats à fouetter…
Hommage au Professeur Cheick Anta Diop, passé par la même galère, plus tôt. Tous ces pharaons africains du savoir meurent avant date pour des causes qui auraient pu être évitées par des gouvernements entachés d’impéritie, d’amateurisme. Ils sont victimes d’assassinat à forte dose d’ignorance, d’incompétence, d’incurie et de légèreté, parfois complices crétins.
Le pays et ses gouvernants ne font rien pour que les Maliens se hissent au sommet, car eux-seuls méritent le sommet, pour confisquer l’histoire. Et, quand, malgré tout, nos compatriotes se construisent par eux-mêmes, ces tas de vauriens les vilipendent leur cherchant et prêtant des défauts, des vices, même imaginaires, à les ravaler en méprisables, et à défaut, on les taxe de tout pour briser le mythe de leur valeur indéniable, pour les déconsidérer aux yeux du public. S’agit-il de concurrents potentiels neutralisés, mis à la touche, ou de leurs relations ?
Cela a été et c’est encore le cas de Salif Kéita Domingo, de Mamadou Kéita Capi, pour le football ; du Professeur Bakary Kamian qui a trimé ici, de son retour au pays jusqu’à sa mort ; du Docteur Madiassa Maguiraga, physicien de renom ; du Professeur Diola Bagayoko, savant reconnu aux Etats-Unis et dans le monde ; du Professeur Harouna Kéita, paix à son âme. Même l’unique champion du monde que le Mali n’a jamais eu, Daba Modibo Kéita, en a fait les frais, la foutaise. Comment expliquer qu’un Bakary Koniba Traoré, pionnier inébranlable, ne soit pas encore sur pied, quand la science mondiale n’est pas arrivée à son bout ?
C’est vrai que certains des émérites, je ne les ai pas tous cités ici, se sont retrouvés dans le jeu politique- élus, ou ministres, comme un Issa Ndiaye, ou Cheick Modibo Diarra. Ce qui crée dans leur cas l’amalgame des raisons politiciennes. Mais, une tête bien faite est tout simplement une tête bien faite pour porter l’étendard national. Toute valeur malienne reste un patrimoine pour nous tous, et sa maltraitance gratuite, sa brimade partisane par les affairistes intrigants du moment, un acte odieux, indigne. Je ne plaide pas l’impunité, car chacun devra répondre de ses actes, s’il y a lieu, le but étant la sélection de la graine de vertu pour la Nation, en lieu et place des OGM qui nous tombent dessus, depuis 1991.
Cher aîné Ogobara,
Nous nous sommes rencontrés une seule fois chez un ami commun. J’étais fier de te connaître enfin, en chair et en os. J’ai été frappé par un océan d’humilité. C’est le seul souvenir qui me reste et que je garderai jusqu’à mon… tour. Mais, Dogon, tu auras incontestablement été Hogon de science.
Tu es entré, par la grande porte, dans l’histoire, qui, comme la mer, n’acceptes pas les intrus. Dieu ne distribue pas de médailles pour corrompre ses anges. Tu as accompli ton devoir. Grâce divine, j’implore pour ce monument. C’est aux autres de se demander ce qu’ils n’ont pas fait.
Dors donc en paix, sans reproche.

Mohamed Coulibaly

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