Dans l’après-midi du mardi 19 juin 2018, l’Institut français du Mali a abrité une importante conférence débat sur l’”albinisme au Mali”. C’était en présence de Pr. Ousmane Faye, chef du service dermatologie de la Cnam et vice-doyen de la FMOS, Jean-Marie Milleliri de l’ambassade de la France, la présidente de l’ONG SIAM, Mme Lalla Aicha Diakité, et Amaury Bertaud de la Fondation Pierre Fabre.
Le spécialiste en dermatologie Ousmane Faye est parti d’une démarche simple qui a permis à son assistance de mieux cerner les contours de l’albinisme, surtout le contexte malien. Il expliquera que l’albinisme se caractérise par un déficit de la pigmentation de la peau, des cheveux, des poils et des yeux, et qu’il est responsable d’une sensibilité extrême au soleil.
“Les risques de développer un cancer de la peau et des affections cutanées sont extrêmement élevés et les études estiment que la plupart des personnes atteintes d’albinisme meurent d’un cancer de la peau entre 30 à 40 ans”, a-t-il mentionné.
Selon lui, en Afrique subsaharienne, cette affection génétique est 4 à 5 fois supérieure à ce que l’on observe dans le reste du monde, avec une prévalence qui atteint jusqu’à 1 personne sur 1500 dans certaines régions. Aux dires du praticien, malgré une prise de conscience internationale des conséquences sociales de l’albinisme en Afrique, les conséquences sur la santé comme les brûlures dues au soleil et les cancers cutanés sont moins médiatisées alors qu’elles font davantage de victimes.
Ces explications ont permis à l’assistance de connaitre certaines conséquences de l’albinisme sur la famille. Il s’agit notamment d’un choc psychologique et d’un sentiment de culpabilité chez la mère. De la surprotection et d’amour renforcé. Sans oublier la stigmatisation et le rejet par certains. Pour finir, il prodiguera des conseils pratiques pouvant permettre une meilleure insertion des albinos.
“Nous devons sensibiliser les enseignants pour qu’il accordent des traitements de faveur aux albinos dans nos écoles. Ils devraient notamment écrire plus gros, accorder au moins une heure de plus aux albinos lors des examens…”, a-t-il suggérer. Et d’ajouter que les populations devraient être sensibilisées pour mieux connaître l’albinisme et cesser la barbarie. Il a cité la collaboration de sa structure d’avec la Fondation Pierre Fabre, comme étant un bel exemple de réussite en faveur des albinos maliens.
Aux dires de M. Bertaud, la Fondation Pierre Fabre développe avec des partenaires des programmes visant l’amélioration de l’information, du dépistage précoce et de la prise en charge médicale des personnes atteintes d’albinisme. “Le projet télé-dermatologie qui va permettre aux Maliens de pouvoir se faire soigner à distance rentre dans ce cadre”, a-t-il laissé entendre. Et de procéder à la projection d’un film très émouvant de 8 mn sur l’albinisme qui avait pour thème : “Survivre au soleil”.
Après les mots de remerciements de Mme Lalla Aicha Diakité, présidente de l’association Solidarité pour l’insertion des albinos du Mali (Siam) en faveur de la Fondation Pierre Fabre et les autres partenaires, la parole fut donnée à Ousmane Wélé Diallo et Joseph Traoré, deux albinos pour témoigner sur leur vécu quotidien.
Drissa Kantao
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Albinisme : scènes de crimes
A la fois repoussés, convoités et protégés, nos frères et sœurs frappés par l’albinisme sont particulièrement au centre de l’attention de l’opinion surtout en périodes électorales.
Ils ne diffèrent de nous que par une anomalie génétique et héréditaire qui affecte la pigmentation et se caractérise par un déficit de production de mélanine, mais ils sont victimes d’exclusion, de persécutions et même de crimes rituels à cause de cela.
Le cas de la petite fille de cinq ans récemment assassinée à Fana, dont la dépouille fut mutilée a jeté l’émoi sur la République et fait peser de forts soupçons sur les hommes politiques à l’orée des élections générales, dont la présidentielle du 29 juillet 2018. L’auteur du crime arrêté, les enquêtes ouvertes devraient permettre de situer les responsabilités et peut-être disculper les hommes politiques, boucs émissaires idéaux en l’occurrence.
En attendant, des croyances populaires attribuent des pouvoirs guérisseurs aux organes des albinos. Selon Wikipédia, certaines indiquent que “les albinos ne meurent pas mais disparaissent”, qu'”ils voient dans la nuit”, qu'”ils ont les yeux rouges”, “une intelligence médiocre” et un “développement anormal”.
Les mentalités, note toutefois le site, auraient tendance à évoluer dans certains pays. En 2009, par exemple, sept hommes furent condamnés à mort par pendaison en Tanzanie pour meurtre d’albinos dans deux affaires différentes. En revanche, aucun sorcier qui se livrait à la préparation de breuvages “magiques” à partir des membres des victimes pour en faire commerce n’a encore été poursuivi.
Quelle est la réalité au Mali ? Comment les albinos vivent parmi nous ? Que font les associations des droits de l’Homme et les organisations dédiées pour promouvoir ces personnes à la santé et à la psychologie fragiles souvent mises à rude épreuve ? Quelle est la perception des religions révélées sur l’albinisme ?
A toutes ces questions, nous tentons de répondre dans l’enquête ci-contre. A travers nos reportages, portraits, interviewes et commentaires, nous faisons le tour de l’albinisme dans notre pays pour essayer de mieux vous éclairer sur un grand malentendu qui n’a pas sa raison d’être parce que les albinos ont fait la preuve de leur grande intelligence, de leur amabilité, de leur amour de l’autre, du travail bien fait et de la patrie.
Ministres, stars de la musique internationale, sportifs, artisans, commerçants, cadres dans des sociétés et entreprises, ils participent pleinement au développement économique, sans crier gare.
Notons que l’Assemblée générale des Nations unies, consciente des difficultés rencontrées par ces “handicapés” a proclamé le 13 juin de chaque année “Journée internationale de sensibilisation à l’albinisme”, pour faire connaître et améliorer le sort des personnes atteintes dans le monde, victimes de préjugés, brimades et agressions.
Nous sommes tous albinos…
Abdoul Majid Thiam
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DORO DEMBA, ALBINOS : “Si nos organes procuraient la richesse, nous serions déjà riches”
L’assassinat d’une petite fille albinos de 5 ans à Fana (cercle de Dioïla) a suscité l’indignation de tout notre peuple, singulièrement des associations de défense des droits humains. Doro Demba, albinos, au-delà de la condamnation unanime, envoie un autre message aux détracteurs des albinos : “C’est une bêtise de croire que certaines parties du corps d’un albinos procurent soit le pouvoir soit de l’argent”.
La Fédération des associations des personnes atteintes d’albinisme en Afrique de l’Ouest (Fapao) et l’Association pour la promotion, la protection et l’insertion sociale de l’enfant atteint d’albinisme (SOS-Albinos) évoquent “un crime rituel” après à l’assassinat de Ramata Diarra, une fillette albinos de 5 ans à Fana dans la région de Koulikoro. Le corps éventré et décapité de la fillette a été découvert par les autorités locales. Le choc continue de marquer les esprits.
Selon Mamadou Diabaté, secrétaire permanent de SOS-Albinos, les mobiles rituels de l’assassinat de la petite Ramata Diarra sont évidents, car elle était albinos, sa tête a été tranchée et emportée. D’autres organes ont aussi été enlevés par son bourreau.
“Ces actes odieux se multiplient surtout à l’approche d’échéances électorales. Une croyance bien ancrée dans les esprits des plus faibles”, se désole M. Diabaté, rappelant que ceux-ci “estiment que le sacrifice d’un albinos peut leur assurer le pouvoir ou renforcer leur ascension politique ou sociale”.
Sa sentence est sans appel : “Notre association condamne ce crime odieux et indigne que rien ne saurait justifier. Nous souhaitons que les autorités compétentes prennent des dispositions utiles pour traquer toutes les personnes impliquées dans l’assassinat de Ramata Diarra et traduire les responsables de ce crime crapuleux devant la justice”, déclare-t-il, espérant que la justice mènera à bien son enquête.
Doro Demba, albinos, peint en noir le tableau de ses semblables au Mali. “Ils disent qu’on peut devenir riche avec notre sang ou se faire beaucoup d’argent avec nos cheveux. Et nous même, est-ce que sommes-nous devenus riches ?” s’interroge-t-il. “C’est clair que c’est un manque d’information ! Ils nous prennent pour des êtres surréalistes comme si on avait des pouvoirs spéciaux ou magiques. C’est pour cela, quand les gens veulent être riches, ils cherchent les albinos. Quand on veut avoir le pouvoir, on cherche des albinos”, regrette M. Doro.
Abondant dans le même sens, le secrétaire général de la Fapao, Mamadou Sissoko, explique que la jeune-fille a été enlevée dans la nuit d’un samedi à dimanche par des inconnus à Fana, récemment l’un des assassins a été retrouvé du nom de Madou Kanouté, dans la région de Ségou.
“J’invite le gouvernement malien à assumer ses responsabilités pour rendre justice dans les plus brefs délais et faire en sorte que les drames de ce genre ne se reproduisent plus”. Il ajoute que les albinos sont victimes de discriminations au Mali et dans nombreux pays d’Afrique comme le Zimbabwe, le Mozambique et la Tanzanie. Chaque année, en Afrique, plusieurs dizaines d’albinos sont tués et certains de leurs organes disparaissent.
En début 2018, beaucoup d’appels ont été lancés par des personnalités de la société civile malienne, dont la Fondation SOS Albinos du musicien Salif Kéita qui lutte aussi pour la protection des albinos. Créée le 17 juillet 1992, SOS-Albinos a pour but de faire la promotion, la protection et l’insertion socio-économique et professionnelle des personnes atteintes d’albinisme au Mali.
Dans ce cadre, elle intervient particulièrement dans le domaine de la protection comme la sensibilisation des parents ayant des enfants albinos afin qu’ils les acceptent au lieu de les marginaliser. En plus, elle intervient dans beaucoup d’autres domaines comme la protection des albinos contre le soleil, la santé et leur éducation, etc.
L’association compte 254 membres avec des antennes régionales. Elle fonctionne grâce aux cotisations mensuelles du comité exécutif (CE) et bénéficie de l’appui de l’Etat malien et d’autres partenaires comme la Femaph, la Minusma, etc.
Hamissa Konaté
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Dr. BREMA ELY DICKO, SOCIOLOGUE : “Il faut une loi sur la protection des albinos”
Dr. Bréma Ely Dicko, chef de département sociologie, anthropologie à l’Université des lettres et des sciences humaines de Bamako, souligne que l’Etat devrait songer à légiférer contre les crimes perpétrés sur les albinos. Il estime que l’événement tragique de Fana pourrait même en être l’élément déclencheur.
L’albinisme est une anomalie génétique caractérisée par une absence de pigmentation de la peau, des poils, des cheveux et des yeux. Si aux Etats-Unis ou en Europe, une personne sur 20 000 est albinos, ce taux baisse à un individu sur 4000 en Afrique, où l’on tente jusqu’ici de lutter contre les crimes visant les albinos.
Au Mali, il n’existe pas de statistiques fiables en la matière. Les albinos sont parfois victimes de meurtres et d’enlèvements mystérieux liés à des croyances ancestrales. Une fois tués, certaines parties entières de leurs corps sont enlevées ou découpées en morceaux pour servir d’offrandes à des sorciers ou à de prétendus djinns. D’autres parties sont utilisées pour préparer des médicaments vendus à des hommes d’affaires ou hommes politiques.
Selon Dr. Bréma Ely Dicko, chef de département sociologie, anthropologie à l’Université de Bamako, tout crime est un délit comme son nom l’indique. “Il faudra condamner de tels actes avec la dernière rigueur. Pour les albinos, c’est un cas particulier, qui n’est pas récent. Lorsqu’on remonte dans l’Histoire des sociétés africaines, on retrouve ces crimes partout en Afrique et au Mali. Souvent, on retrouve les cas dans les zones aurifères et diamantifères. On assiste à ces cas de barbarie où on décapite les personnes. En plus, ces gens-là, pensent que les têtes des albinos peuvent leur permettre d’être au pouvoir”, rappelle-t-il.
Pour le sociologue, “ce qui est arrivé à Fana est déplorable. C’est une mère qui a été privée de sa fille. C’est un gâchis pour tout un pays. Mais, au-delà de ça, ils ont violé le droit de l’enfant. C’est un enfant qui aurait dû aller à l’école, vivre comme m’importe quelle autre personne au Mali”, s’insurge Dr. Dicko.
L’injustice en cause
Dr. Dicko estime également qu’une mobilisation collective est nécessaire. “Les acteurs politiques et la justice ont montré leurs limites dans ce pays. Dans bien des cas, c’est l’impunité. Pourquoi, ces genres de barbaries continuent d’exister dans le pays ? Malheureusement, le cas de Fana n’est pas un cas singulier. La même chose est arrivée dans d’autres régions du Mali. C’est fait aux yeux de tout le monde. On commence les enquêtes dans certains cas les suspects sont arrêtés. Même si, certains sont sanctionnés, disons que la sanction n’est pas forcément à hauteur de souhait parce que c’est les mêmes acteurs qui vont répéter ces genres des crimes”, déplore-t-il, ajoutant que pour le cas de Fana le bourreau est un radié de la protection civile et de la gendarmerie nationale.
“Normalement, si on était dans un pays où les textes étaient appliqués avec rigueur, il serait puni. Dès la première fois, il a été viré d’un corps et ensuite il a intégré un autre corps, ça veut dire qu’il a dû utiliser de stratagèmes et ceux qui l’ont embauché sont responsables de cette situation. C’est toujours les parents, les amis, les proches qui interviennent pour qu’on l’intègre dans un corps”, croit savoir Dr. Bréma Ely.
Comment protéger les albinos en cette période électorale ?
De l’avis de l’expert, la justice devrait d’abord s’atteler à punir les bourreaux reconnus coupables de crimes contre les albinos. En période électorale (présidentielle, législatives ou locales), il conseille aux parents de veiller sur leurs enfants atteints d’albinisme.
“La communauté doit aussi veiller quotidiennement sur ces personnes. Après la période électorale, il faudrait que l’Assemblée nationale légifère complètement sur cette situation. Qu’il y ait une loi particulière pour les albinos”, propose Dr. Dicko, car, précise-t-il, cette loi devrait faire en sorte que les albinos trouvent leur place dans la société malienne.
“Il faut multiplier les campagnes de sensibilisation pour montrer qu’être albinos n’est pas un choix, mais plutôt une maladie et que les albinos sont comme les autres individus. Il faut changer de regard sur eux, qu’ils n’ont pas besoin de notre pitié ou de notre compassion. Qu’ils ont juste besoin qu’on les considère comme des personnes normales. Que l’Etat fasse cette loi, qu’il y ait des mesures discriminatoires positives pour les albinos tout comme les femmes. Qu’ils bénéficient des appuis comme des bourses de formation. En tout cas, qu’il y ait des dispositifs qui feront que les albinos seront bien traités”, suggère Dr. Dicko.
Sur un autre plan, il propose aux autorités de répertorier les marabouts et féticheurs qui sont, selon lui, les couches les mieux placées pour faciliter le combat contre le phénomène. “Quels sont les types d’activités qu’ils mènent ? Faire le listing de tous les marabouts parce qu’ils sont comme des guérisseurs traditionnels. En cas de problèmes, l’enquête serait facile à mener”, conclut-il.