Rébellions au Nord du Mali des origines à nos jours n’est pas un traité d’histoire. Il s’agit d’une réflexion éclairée par les données de l’histoire menée par deux responsables du MPR, Choguel Kokalla Maïga et Issiaka Ahmadou Singaré. Sa source d’inspiration se situe dans les processus ayant conduit à l’effondrement de l’Etat dans le courant du premier semestre de 2012 qui a mené l’Etat malien à signer un « Accord de paix et de réconciliation » avec des rebelles sous l’égide d’une médiation internationale. Le processus fut marqué par la production d’une série de textes. La comparaison entre le contenu de ces documents et ceux produits antérieurement, de 1960 à 1990, sur les rébellions au Nord du Mali, les a convaincus que la voie adoptée pour aboutir à la paix et à la réconciliation peut déboucher sur le contraire de l’effet escompté. Si l’on ne fait pas un bon diagnostic des causes des rebellions récurrentes.
Ils ont donc choisi de revisiter l’histoire pour cerner les différents contours d’une sédition récurrente. Le texte comporte au total dix-sept chapitres susceptibles d’être répartis entre quatre subdivisions : les données de l’histoire du VIIè au XIXè siècle, le tournant de la décennie 1950, la gestion des rébellions de 1960 à 2014, l’internationalisation de la question du Nord du Mali.
Les données de l’histoire du VIIè au XIXè siècle
A travers les trois premiers chapitres du livre, les auteurs situent le lecteur dans l’espace et dans le temps. Remontrent aux sources de l’histoire, au VIIè siècle, ils mettent en exergue trois réalités occultées de nos jours : la rencontre et le métissage entre les Sonrhaïs venus du Dendi et des Berbères originaires du Yémen ; la rencontre entre les Oasiens, les Bellahs, premiers occupants de la terre, et les Touaregs ; la coexistence entre Arabo-Berbères et Négro-Africains au sein des empires du Ghana, du Mali et du Songhoï sous l’autorité des souverains noirs.
Au XVIè siècle, une invasion marocaine met fin à l’existence de l’empire songhoï. Elle est suivie de trois siècles d’anarchie. Les Touaregs, les Arabes et les Maures se rendent maîtres du Fleuve. Cependant, leur domination est plus de prélèvement que d’administration. Leur hégémonie est contestée, d’abord, par les Peuls de la Dina d’Hamdallaye avec Cheikhou Ahmadou et son fils Ahmadou Cheikhou ; ensuite, par les Toucouleurs sous les ordres d’El Hadj Omar.
A partir de 1893, les Français arrivent aux portes de Tombouctou et entament la conquête de la Boucle du Niger. Celle-ci est réalisée en trois étapes avec, successivement, la prise de Tombouctou, la soumission des Touaregs du Fleuve, la marche vers Gao et la confrontation avec les Oulliminden Kel Attaram. Comme dans le Sud, contre Mamadou Lamine Dramé, Ahmadou Cheikhou Tall, Samory Touré, Babamba Traoré, El Hadj Bougouni Ba, au Nord, les colonialistes se heurtent à une forte résistance, subissent de cuisantes défaites comme celle de Taquinbawt (Tacoubao).
La résistance est, d’abord, celle des seuls Touaregs, Arabes et Maures avec des chefs comme Cheibboun Ag Fondagomo, Mohamed Ahmed Ansari (Ingonna ou N’Gouna), Abidine-al-Kounti. Elle sera, par la suite, celle des Touaregs appuyés par les Sonrhaïs dont bon nombre connaîtront des exécutions sommaires, des massacres de masses à la mitraillette, des déportations. La dernière figure de la résistance touarègue est celle de Firhoun Ag Allinser. Fidèle à sa politique du « diviser pour régner », le colonialiste arme et monte les fils du pays, les uns contre les autres : Ingonna et Firhoun sont trahis avant d’être assassinés, Abidine-al-Kounti est contraint à l’exil et à l’errance.
La France met sa présence à profit pour semer les germes de la marginalisation des Arabo-Berbères et de la discorde entre eux et les populations négro-africaines. Les premiers sont soumis au régime de l’administration indirecte, incités à ne pas inscrire leurs enfants à l’école, dispensés du service militaire. Pire, il leur est enseigné, par le colonisateur, qu’ils sont supérieurs aux populations noires.
Poussant plus loin, la France, avec la Convention de Bourem du 15 septembre 1907, affranchit les Kel Adagh de la vassalité vis-à-vis des Oulliminden et des Kountas, les autorise à se constituer en confédération et leur reconnaît un statut particulier sur l’Adrar des Ifoghas qu’elle leur octroie pour les récompenser des services rendus à la colonisation. Les causes des rébellions récurrentes venaient d’être créées.
Le tournant des années 1950
Ces causes seront amplifiées par la suite. Dans le chapitre quatre, les auteurs centrent la réflexion sur trois événements majeurs de la seconde décennie des années 1950. En effet, le 23 juin 1956, le 10 janvier 1957 et le 24 novembre 1958 peuvent être considérées comme des dates charnières dans l’évolution du Soudan Français vers l’émancipation et l’indépendance.
La première est celle de la promulgation de la Loi Cadre grâce à laquelle la colonie acquiert une semi-autonome. La seconde est celle de l’adoption de la loi portant création de l’Organisation des Régions Sahariennes (OCRS) elle se voit confrontée à une tentative d’amputation de son territoire. La troisième est celle de l’accession du Soudan Français à l’indépendance dans le cadre de la Communauté Franco-Africaine.
La Loi-Cadre dote le Soudan Français d’une Assemblée Territoire et d’un conseil de gouvernement. Tout en restant citoyens de la République Française, une et indivisible, les Soudans sont appelés à gérer leurs affaires domestiques avec la possibilité d’interpréter les lois votées par l’Assemblée Nationale. Dans le même temps, la France a le souci de rester une grande puissance grâce à l’apport de son outre-mer. Or, elle vient de découvrir dans ces territoires sahariens qui s’acheminent vers l’indépendance, d’énormes ressources énergétiques et minières. Aussi conçoit-elle l’idée de regrouper en une entité politique ce qu’elle nomme, déjà, « le Sahara des derricks » par allusion aux champs de pétrole.
Les responsables soudanais, toutes tendances politiques confondues, du PSP comme de l’US- RDA, se mobilisent contre le projet. Ils se déclarent en faveur d’une OCRS économique ; unanimement, ils rejettent l’idée de la création d’une nouvelle entité étatique. Les responsables de l’US-RDA, à l’époque détenteurs du pouvoir parce que majoritaires à l’Assemblée Territoriale, ne ménageront aucun effort pour maintenir l’unité et l’intégrité du Territoire soudanais. Sur ce point, ils ne se heurtent pas seulement au projet français, ils se heurtent également aux velléités séparatistes de certaines personnalités, des Touaregs, des Maures et des Arabes avec, comme instigateurs, le Kounta Badi Ould Hamoadi, le Bérabiche Mohamed Mahmoud Ould Cheikh, le Kel Antassar Mohamed Aly Ag Attaher Insar. Ces derniers prônent la séparation d’avec le reste du Soudan et le rattachement du Nord du Mali, soit à la Mauritanie, soit au Maroc ou à une entité étatique qui resterait française. Leur influence se fait surtout sentir sur les bords du Fleuve. Et elle est très loin d’être forte car, consultés, neuf chefs de tribu dont ceux de Gao, de Tombouctou et de Kidal, tout comme les chefs de tribu de Ménaka se disent favorables à l’indépendance dans un cadre unitaire.
Le projet français de partition du Soudan Français échoue ainsi. Dès la première session de l’Assemblée Territoire en 1957, il est rejeté par les Conseillers territoriaux. L’accession à l’’indépendance est immédiatement suivie du départ des Français remplacés par des cadres soudanais dont Bakara Diallo, nommé commandant du cercle de Gao, Mohamed Ould Najim, chef de la subdivision de Kidal, Mohamed Mahmoud, chef du poste de Tessalit.
Gestion des rébellions au Nord du Mali de 1963 à 2015
Les chapitres cinq à douze traitent des rébellions sous les différents chefs d’Etat qui se sont succédé au pouvoir de 1960 à 2018.
Modibo Keïta n’a pas eu affaire à une rébellion proprement dite, mais à ce qui, dans l’Adrar des Ifoghas était connu sous le nom de « banditisme d’honneur ». Des moyens appropriés sont utilisés pour le circonscrire. Mais la répression laissera des séquelles encore vécues dans la douleur par des originaires de l’Adagh. Avec l’appui du Maroc et de l’Algérie, les instigateurs du soulèvement, Zeyd Ag Attaher et Mohamed Aly Ag Attaher Insar sont arrêtés. Déclenché dans le courant du mois de mai 1963, la « rébellion » prend fin en septembre 1964.
Sous Moussa Traoré, de jeunes Touaregs exilés en Libye s’organisent en un mouvement politico-militaire, le Mouvement Populaire de Libération de l’Azawad (MPLA) et déclenchent, le 29 juin 1990, ce qui est passé dans l’histoire sous la dénomination « deuxième rébellion touarègue ». En moins de trois mois, l’Armée nationale arrive à bout des rebelles. Le pouvoir accepte de les écouter pour connaître les motivations de leur acte envers la patrie. Il s’ensuit les négociations de Tamanrasset avec la signature d’un « accord de cessez-le-feu », le rejet de l’indépendance et de la fédération, la reconnaissance d’un « statut particulier défini par la loi ».
Sous la Transition, après la chute de la IIè République, Amadou Toumani Touré passe outre les dispositions de l’Accord de Tamanrasset et confie la gestion du problème posé par la rébellion à des étrangers. Profitant de la déliquescence de l’Etat, les rebelles reprennent les armes. Après une série de pourparlers, tantôt sur le territoire national, tantôt hors du territoire national, un document est signé : le Pacte National. Il consacre le statut particulier du Nord du Mali, mais ne parvient pas à restaurer la paix. Les engagements souscrits se révèlent impossibles à satisfaire et le MPLA, devenu entre temps MPA, éclate en plusieurs fractions antagonistes.
Aussi, lorsqu’Alpha Oumar Konaré accède au pouvoir, le Nord du Mali est-il livré au banditisme et à un début de guerre civile, les communautés noires ayant choisi de s’organiser en milices d’auto-défense pour remédier à la carence de l’Etat. Des rencontres intercommunautaires ramènent la paix. Le pouvoir récupère le mouvement et organise la cérémonie de la Flamme de la Paix.
De nouveau, la situation se dégrade en 2006, avec une mutinerie qu’Amadou Toumani Touré n’arrive pas à circonscrire. Il signe avec les rebelles l’Accord d’Alger et se désengage, pratiquement, du Nord du Mali. La région est alors livrée aux trafics de toutes sortes. Des Salafistes chassés d’Algérie en profitent pour s’y installer et e jeunes Touaregs pour créer le MNA. De nouveau, des mercenaires ayant combattu en Libye retournent au Mali. Leur jonction avec le MNA donne naissance au MNLA. La rébellion reprend et, avec l’appui des Salafistes d’AQMI, du MUJAO et d’Ansar Eddine, finira par triompher. Amadou Toumani Touré est renversé. L’unité du peuple malien et l’intégrité de son territoire sont remises en gauche.
A Bamako, avec la caution de la CEDEAO, une Transition est instaurée, un pouvoir militaro-civil se met en place avec Amadou Aya Sanogo, Dioncounda Traoré et Cheick Modibo Diarra. Dans le Nord, rebelles et salafistes se taillent des fiefs. Le MNLA exerce son autorité sur Tombouctou et Gao où il cohabite avec le MUJAO. Ansar Edddine se rend maître de Kidal. La situation ainsi créée n’est pas pour déplaire à certains milieux français qui, enfin, saisissent l’occasion de provoquer la partition du Mali.
La CEDEAO se substitue à l’Etat malien et parvient à faire signer, avec les rebelles, un « Accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix. » Grâce à cette signature, la présidentielle et les législatives sont organisées sur l’ensemble du territoire national.
L’internationalisation de la question du Nord du Mali
Les cinq derniers chapitres sont consacrés au glissement du dossier des mains de la CEDEAO et de l’UA à celles de la communauté internationale.
S’étend placé hors de la dynamique de réconciliation nationale, Ansar Eddine suspend sa participation aux négociations de Ouagadougou et reprend les hostilités. Avec l’appui des groupes salafistes, elle projette, depuis Konna, une percée vers le Sud. L’existence du Mali en tant que nation, comme les intérêts français, tant au Mali qu’en Afrique Occidentale, se trouvent menacés. A la demande du président de la Transition, avec un mandat du Conseil e sécurité, la France intervient en déclenchant l’opération Serval. Tombouctou et Gao sont libérées, mais les troupes françaises interdisent l’accès de Kidal à l’armée malienne.
Avec cette interdiction, la rébellion au Nord Du Mali devient « la guerre de la France au Mali ». La CEDEAO est écartée de la gestion du conflit, tout comme l’Union Africaine. Le mandat du Conseil de Sécurité est outrepassé. La France débarque des troupes au sol, se fait appuyer par des contingents venus du Tchad, réinstalle les rebelles à Kidal et les réorganise en les regroupant au sein de la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et du Haut Conseil Islamique de l’Azawad (HCUA).
Elu président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta commet de la faute de ranger aux oubliettes l’ « Accord préliminaire de Ouagadougou… » pour gérer la crise selon ses humeurs. La conséquence est catastrophique : les avancées obtenues grâce à la CEDEAO sont toutes perdues, le Mali, dessaisi du dossier, est, de facto, placé sous la tutelle de la Communauté internationale.
Le processus d’Alger, avec comme intention, la restauration de la paix, est enclenché. Il débouche sur un « Accord de paix et de réconciliation… » sous l’égide d’une médiation internationale. La mise en œuvre de l’Accord conduit l’Etat à engager une série d’actions. Toutes, se révéleront inopérantes. De leur côté, les rebelles, renforcés dans leur volonté séparatiste, se sont abstenus de toute concession. Aujourd’hui, trois ans après sa signature, le constat est celui de l’échec.
Le blocage est tel est que les auteurs, à juste titre, se posent les deux questions suivantes : une complicité française n’est-elle pas à la base de l’enlisement ? par-delà la rébellion, un complot international n’est-il pas ourdi contre le Mali ? Le dernier chapitre expose les différentes causes des rebellions au Nord du Mali en distinguant les prétextes des causes, les causes lointaines et les causes récentes des causes immédiates.
Conclusion
Au terme de leur étude, les auteurs en arrivent à une série constats.
Premier constat : la thèse selon laquelle un pays touareg aurait existé pour être, par la suite, au gré de la colonisation et de manière arbitraire, incorporé au Soudan Français ne résiste pas à l’analyse. L’harmonieuse cohabitation des communautés arabo-berbères et négro-africaines au sein des grands empires du Soudan nigérien la conteste. Le Soudan français n’est pas une construction arbitraire mais la reconstitution, très partielle du reste, d’un espace politique unifié avant la conquête marocaine.
Deuxième constat : l’expression « rébellions touarègues » est une expression inappropriée. Il n’y pas eu, de l’indépendance à ce jour, de rébellions touarègues, mais, plutôt, de rébellions d’une infime partie des populations touarègues farouchement attachées à des privilèges féodaux. LA France leur a reconnu un statut particulier. Ils veulent le préserver en se mettant en marge de la République ; ce qu’aucun Etat ne saurait admettre.
Troisième constat : les régimes de parti unique ont saisi les causes profondes des rébellions et se sont donné les moyens de les circonscrire. Les présidents démocratiquement élus, dans leur combat contre la Dictature, en sont arrivés à confondre rébellions et quête de la démocratie. Ils ont poussé la méprise au point de les légitimer. Du coup, ils se sont privés des moyens de les circonscrire, aussi bien matériellement qu’intellectuellement.
Dernier constat : la récurrence des dissidences, depuis 2007, ont eu, comme conséquence, l’effondrement de l’Etat, la partition de fait du Mali, la perte de la souveraineté nationale.