Même si le mot «enlisement» reste tabou à Paris, la position de la France au Sahel, où se multiplient les attaques jihadistes contre son contingent et les forces internationales, n’incite pas à l’optimisme, estiment des experts.
Alors que le président Emmanuel Macron rencontre, lundi à Nouakchott en marge d’un sommet de l’Union africaine (UA), ses homologues du G5 Sahel, organisation régionale regroupant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, les résultats de l’opération Barkhane, qui a succédé à l’opération Serval au Mali en 2013, ne laissent pas entrevoir la possibilité d’un désengagement à court ou moyen terme, face à des groupes jihadistes qui se renforcent et étendent leur rayon d’action.
«Je ne pense pas qu’il soit possible de régler le problème au Mali en moins de dix à quinze ans, si tant est que nous le puissions», avait admis fin février le général François Lecointre, chef d’état-major des armées françaises. «L’évolution de la situation au Mali n’est guère satisfaisante et nous n’en partirons pas demain, sans qu’il s’agisse pour autant d’un enlisement, avait-il ajouté.
Enfermés dans des bases régulièrement attaquées, victimes de mines cachées sur leurs itinéraires (deux spahis ont été tués en février, quatre soldats ont été blessés à Gao dimanche) les militaires français mènent régulièrement des opérations au Mali, à grand renfort de colonnes blindées, d’avions et d’hélicoptères, «neutralisent des groupes armés terroristes», mais ne parviennent pas à faire reculer durablement la menace jihadiste.
- «Pas du tout satisfaits» -
«Mali : la guerre sans fin» titrait en avril le quotidien Libération.
«Les Américains ont tenté cette approche tout sécuritaire en Afghanistan: résultat, les talibans y sont plus forts que jamais» confie à l’AFP Bakary Sambe, directeur du groupe de réflexion Timbuktu Institute à Dakar. «Les Français font de même dans le nord du Mali: non seulement les jihadistes n’ont pas disparu mais ils se sont multipliés. Comble du comble, le jihadisme a contaminé le Burkina-Faso, le Niger et la Mauritanie».
«Barkhane est désormais enlisée», estime-t-il. «La force G5 Sahel a été vue par certains comme une possibilité de désengagement de la France dans la région, mais je n’y crois pas. Cette force est nécessaire pour combattre le terrorisme dans la région, mais elle a du mal à devenir opérationnelle».
La «Lettre du continent», publication spécialisée sur l’Afrique, a indiqué la semaine dernière que «la force de lutte antiterroriste G5 Sahel, censée être opérationnelle depuis mars, est au point mort».
Sur les plus de 400 millions d’euros promis pour financer cette force régionale, seulement 500.000 euros versés par le Rwanda ont été réceptionnés, assure la Lettre. «Le fonds fiduciaire devant gérer les contributions au G5 Sahel reste une coquille vide».
«Nous ne sommes pas du tout satisfaits de la compréhension et de l’aide que nous recevons» a déclaré à ce sujet le président mauritanien Ould Abdel Aziz. «Nous pensons aussi qu’au niveau des Nations unies des portes nous sont fermées».
Le quartier général de la Force du G5 Sahel, à Sévaré (Mali) a été pris pour cible le 29 juin par un kamikaze à bord d’une voiture piégée, faisant trois morts dont deux militaires.
Censée «gagner la confiance des populations», selon les termes de son secrétaire général, la force a été dénoncée par des associations de défense des droits de l’Homme pour la participation de ses soldats à des exactions ou des massacres.
Ainsi la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) a conclu que le 19 mai des éléments du bataillon malien de la force avaient exécuté sommairement douze civils dans un marché au bétail d’un village du centre du pays, après qu’un des leurs y eut été tué.
En un an la force conjointe a mené, avec l’appui direct et logistique de la France, trois opérations, dont la dernière s’est achevée début juin, sans résultat plus tangible que les précédentes.