Pour conduire sa compagne présidentielle, le candidat SoumaÏla Cissé s’est offert les services du plus hargneux des adversaires du président IBK : Tiébilé Dramé, président du Parti pour la renaissance nationale (Parena), lequel qui a été le premier des leaders d’opposition à plaider pour une candidature unique de l’Opposition. Alliance donc de logique ou manœuvre opportuniste pour les besoins de la circonstance ?
L’opinion de l’ancien Premier ministre Moussa Mara est tranchée : Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé, qui « ne représentent pas le changement auquel » aspirent les Maliens, n’ont d’autre stratégie que celle « qui consiste uniquement à avoir le président en ligne de mire ». Ce sont « des agités qui prônent les manifestations de rue » dont le discours se résume « par « ôte toi de là que je m’y mette », mais ce qu’ils vont y faire, ils ne le disent à personne. Ils n’ont pas d’autre projet que de remplacer IBK ». Mara a-t-il tort ?
Rien en effet, dans le parcours, l’idéologie et les positions sur les grandes questions de la nation n’unit Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé. A part, bien évidemment, leur volonté commune « de remplacer IBK ».
Parcours et idéologies politiques
La trajectoire des deux hommes ne s’est croisée que sous Alpha en 1995, lorsque l’un (Soumaïla Cissé), dans le gouvernement de la majorité en tant que ministre des Finances devrait aider l’autre (Tiébilé Dramé) qui était dans l’opposition à créer un parti de gestion gouvernementale. Mais avant ils n’ont rien partagé ni dans le mouvement estudiantin, ni dans la clandestinité. Par dessus tout, Soumaïla Cissé et Tiébilé ne partagent rien au plan de l’idéologie politique.
1-Soumaïla Cissé
Fils d’un enseignant sorti de William-Ponty, Soumaïla Cissé mène une scolarité brillante et se distingue très tôt dans les sciences. Après son diplôme universitaire d’études scientifiques de l’Université de Dakar en 1972, il s’inscrit à l’Université de Montpellier où il obtient, quatre ans plus tard, sa maîtrise en Méthode informatiques appliquées à la gestion (MIAGE). En 1977, il est ingénieur en informatique et en gestion et major de sa promotion de l’Institut des Sciences Informatiques de Montpellier. Sa carrière universitaire est couronnée au troisième cycle par un certificat d’aptitude d’administration des entreprises obtenu en 1981 à l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.
Les chasseurs de têtes l’ont déjà repéré et le font entrer successivement chez IBM-France, au Groupe Pechiney-France et au Groupe Thomson-France, avant de finir sa carrière française comme analyste et chef de projet informatique chez AIR INTER-France en 1984. De son expérience de gestion de sociétés françaises, Soumaïla Cissé acquiert la conviction que le développement de l’Afrique repose sur des élites décomplexées qui utilisent les méthodes universelles de gestion des organisations en les adaptant dans un contexte africain où les valeurs socioculturelles sont placées au-dessus des critères de profitabilité et d’efficacité. Conséquent avec lui-même, il fait le pari de retourner travailler au Mali, montrer, par l’exemple, que les fils du continent sont suffisamment outillés pour relever les défis du développement. Il est aussitôt embauché (1984) par la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) où il travaille jusqu’à la chute de Moussa Traoré.
Enrôlé par le Clan-CMDT, Soumaïla Cissé est signataire de la « Lettre ouverte du 7 août 1990 » demandant le pluralisme politique. Membre fondateur de l’Alliance pour la démocratie au Mali-Parti africain pour la solidarité et la justice (ADEMA/PASJ), il est nommé après la victoire d’Alpha en 1992 secrétaire général de la présidence de la République, ministre des Finances en 1993, ministre des Finances et du Commerce en 1994, de nouveau ministre des Finances en 1997 et ministre de l’Équipement, de l’Aménagement du territoire, de l’Environnement et de l’Urbanisme en 2000.
Après la victoire du Clan-CMDT, rebaptisé pour la circonstance, clan des rénovateurs sur IBK, et le départ de la Ruche de ce dernier en Octobre 2000, Soumaïla Cissé est élu, en novembre 2000, 3è vice-président de l’Adema à l’occasion d’un congrès extraordinaire.
En janvier 2002, il démissionne du gouvernement pour se consacrer à la préparation de l’élection présidentielle. Le 28 avril 2002, Soumaïla est choisi au terme des primaires pour défendre les couleurs de l’Adema à l’élection présidentielle. Il est en effet investi par l’ADEMA/PASJ comme candidat pour la succession d’Alpha Oumar Konaré. Il est battu par le Général ATT au second tour. Dénonçant la trahison de son parti, qui a œuvré à son échec, Soumaïla Cissé démissionne de l’ADEMA/PASJ pour fonder le 1er juin 2003 l’Union pour la république et la démocratie (URD)…, parti membre de l’Internationale libérale (une fédération mondiale des partis politiques libéraux et radicaux (sociaux-libéraux) du monde entier, fondée en 1947).
2-Tiébilé Dramé
Leader estudiantin de première heure, le parcours politique de Tiébilé Dramé est un best-seller d’engagement et de combat frontal qui commence dans les geôles de la dictature militaire de triste réputation de Kidal, Bougheïssa, Talataye et Ménaka où, en tant que secrétaire général de l’UNEEM, il purge trois ans de prison ferme pour « opposition à autorité légitime ». Exfiltré par Amnesty International, après l’assassinat de Cabral, il atterri à Paris le 10 juin 1981 avec le statut de prisonnier d’opinion, un mois après la victoire de François Mitterrand.
En sureté au bord de Seine, le Sahélien se forme et milite activement dans les milieux de l’immigration malienne et dans la diaspora afro-antillaise… Un temps directeur de la radio Diaspora 2000 devenue Tropic FM, aux cotés d’autres camarades, Tiébilé Dramé mène le combat pour l’avènement de la démocratie et du multipartisme au Mali à travers le groupe politique clandestin Union de lutte Tiémoko Garan Kouyaté (ULTGK).
Recruté en 1988 comme chercheur en charge de l’Afrique de l’Ouest (Bénin, Niger, Mauritanie, Sénégal) pour le compte de Amnesty international, Tiébilé Dramé n’est pas aux premières loges du front lorsque les partis clandestins font jonction, devoir de réserve impose. Mais pour n’avoir pas déserté du combat, après la chute de Moussa Traoré, de Londres où il officie dans la défense des droits de l’homme, il est rappelé et nommé, en 1991, ministre des Affaires étrangères de la Transition en charge des Maliens de l’extérieur.
Sous Alpha, il occupera ensuite, de 1996 à 1997, les fonctions de ministre des zones arides et semi-arides)…
Membre fondateur du Comité national d’initiative démocratique (CNID-FYT), Tiébilé Dramé prend ses distances avec Me Mountaga Tall en 1995 pour créer le Parti de la renaissance nationale (Parena). Parti d’obédience socialiste qui aspire à être membre de l’Internationale Socialiste. En tout cas c’est à ce titre que les jeunes de l’ADEMA, du RPM et du Parena ont accueilli, main dans la main à Bamako du 14 au 16 août 2008 l’Union internationale de la jeunesse socialiste qui est l’organisation politique la plus forte du monde.
Marché de dupes
Quid des grandes questions de la nation ?
Comme on le voit, si tout oppose Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé dans leur parcours et leur idéologie politiques, les deux alliés de circonstances ont des positions diamétralement opposées sur des questions essentielles comme la lutte contre le terrorisme.
Contrairement à Tiébilé, qui estime que « Le Mali est devenu un pays exportateur d’instabilité, ce n’est pas tenable », Soumaïla Cissé, lui, se garde de vilipender son pays préférant accuser le président IBK : « Depuis que le Président est là, la situation s’est empirée. Quand les Français sont intervenus, la situation s’est améliorée. On pouvait aller à Tombouctou et Gao sans problème. Aujourd’hui, on ne peut pas. On ne peut faire aucune route sans être attaqué. Cela veut dire qu’au lieu que ça s’améliore, ça s’est complétement dégradé. Non seulement, ça s’est dégradé au nord, mais aussi au centre qui n’était pas du tout concerné. Il y a des bagarres intercommunautaires : Peulhs contre Dogons, Peulhs contre Bambaras. On a des situations comme ça qui sont là, existent et s’empirent. Donc, la situation s’est dégradée de façon continue depuis que IBK est au pouvoir. Ça c’est une réalité qu’on ne peut pas nier. Donc du coup, l’Administration est absente dans le nord et le centre. »
Quelle solution préconise-t-ils ?
Pour Tiébilé Dramé, la négociation avec les terroristes est « une piste légitime et envisageable » : « Disons les choses comme elles sont : l’armée malienne s’est effondrée en 2012. Elle a besoin de répit pour se reconstruire. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on peut y arriver, malgré les milliards de francs CFA déversés dans la formation et l’équipement de nos soldats. Face au harcèlement permanent, il faut trouver une porte de sortie, y compris en prenant langue avec l’ennemi… Il ne sert à rien de nous cacher derrière notre petit doigt, regardons plutôt la vérité en face. Nous avons aujourd’hui des Coulibaly, des Mamadou, des Tounkara, des Konaté dans les groupes djihadistes : ce sont nos frères maliens. Nous devons parler avec eux…Des chefs djihadistes comme Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeid ou Abderrazak El Para n’avaient pas vocation à se retrouver au Mali. Ils s’y sont installés à l’époque par la faute des dirigeants de notre pays. En revanche, Iyad Ag Ghali, Amadou Kouffa et les autres sont nos frères. C’est avec eux que nous devons discuter dans le cadre des assises nationales qui aborderont tous les problèmes du Mali. »
Soumaïla Cissé partage-t-il la thèse de son Directeur de campagne qui jusqu’ici ne s’est pas repenti sur le sujet ?
Interrogé par notre confrère Jeune Afrique, s’il était « favorable au dialogue avec les djihadistes maliens, à commencer par Iyad Ag Ghaly », la réponse du Chef de file de l’Opposition est aucune nuance : c’est non ! En effet, répond-t-il « qu’y a-t-il à discuter avec lui ? Iyad Ag Ghaly et ses hommes sont allés trop loin dans la radicalisation. Il faut leur faire face de façon déterminée ». Autrement dit, il faut les combattre.
Il ne s’agit pas là de divergence mineure. Mais un choix sans équivoque qui déterminera l’avenir d’un Mali démocratique, laïque et indivisible. Dès lors la question se pose : comment les deux hommes vont-ils gérer cette divergence frontale si Soumi devenait président ? La rupture ? A moins que l’un ne se renie, pardon fasse une dérobade pour se ranger sur l’autre pour le partage du gâteau conquis à coup de reniement. Ce qui est peu probable pour ce qui est de Soumi. Il faudrait donc envisager que Tiébilé Dramé, habitué au retournement de veste, se retourne demain contre Soumaïla Cissé après 2018, comme il l’a fait avec IBK après 2007.
Comme le disent les Ton-Djon : Diè ko Nyuman, fara ko Djougou.
Attendons voir.