Le tarissement des sources d’eau et le manque de pâturage ont provoqué des hécatombes chez les troupeaux dont on peut apercevoir les cadavres éparpillés dans la nature
Le cercle de Nara avec ses grands bois, dont la forêt de Wagadu, représente une grande ressource pastorale pour quelques 341.000 bovins, 495.350 ovins, 5.048.220 caprins, entre autres. Ses arbres et pâturages s’ouvrent presque calmement aux animaux après la période d’insécurité qui les avait rendus peu fréquentables. Mais depuis, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Il y a eu l’opération française Serval, puis les nombreuses patrouilles des FAMAS pour déloger les éventuels terroristes cachés dans la forêt.
Aujourd’hui certains grands ruminants, comme les chameaux, y pacagent calmement sous l’œil bienveillant d’un habitant de ce tranquille petit hameau. Difficile aussi de ne pas remarquer dans le paysage des epasteurs en tenue traditionnelle bleue conduisant leurs animaux à la quête de la pitance. Cependant, des cadavres d’animaux, des bovidés (bovins, ovins) pour la plupart, jonchent en nombre important la forêt et les pistes rurales. Ils sont soumis à ce qu’appellent les spécialistes, la misère physiologique. «Cette année, c’est un peu plus aigu», nous explique Youssouf Diarra dans son cabinet vétérinaire. Cet ingénieur vétérinaire mandataire qui voue une grande passion pour son métier, ne manque jamais de mots pour parler de santé animale. Même s’il se veut prudent sur la question des chiffres relatifs aux animaux desquels ce phénomène récurrent a eu raison. «Chaque année la bande sahélienne est frappée par de tel phénomène qu’on appelle misère physiologique.
«En cette période (entre l’hivernage et la fin de la saison sèche), il y a une pénurie aiguë d’eau et d’aliment », poursuit Youssouf qui est le responsable de la santé animale dans l’arrondissement central de Nara. «La quête de la subsistance fatigue certains animaux et les met sous stress, parce qu’ils n’ont à satiété ni eau ni aliment. Donc, ils s’affaiblissent. Les éleveurs font ce qu’ils peuvent, mais au finish, ils décident d’abandonner les bêtes qui ne peuvent pas continuer. Ces dernières meurent finalement par déshydratation», ajoute le spécialiste de la santé animale. «Ce n’est pas une maladie en soit, mais c’est un déficit en eau et en aliment qui affaiblit les animaux. Ceux qui ne veulent pas continuer pour la recherche de l’opportunité, meurent malheureusement sur le chemin», déplore Youssouf Diarra qui invite les éleveurs à réduire la « charge pastorale » autrement le nombre de têtes d’animaux à nourrir.
Dans cette partie du pays, où vivent plus de 240.000 habitants, le gouvernement et ses partenaires entendent combattre l’extrême pauvreté en s’appuyant sur l’élevage. Des efforts soutenus aboutissent à des résultats appréciables. Comme la réhabilitation et la création de périmètres pastoraux. Ceci permet une stabilisation des troupeaux et par conséquent une réduction relative du déplacement des troupeaux vers les zones agricoles. Il y a aussi les travaux de récupération de 1000 hectares de sols dégradés qui ont consisté en des actions d’amélioration de la couverture végétale (arbustive et herbacée). Ce couvert végétal constitue, selon les spécialistes, un frein naturel à l’érosion hydrique et améliore l’infiltration des eaux de surface dans le sol pour alimenter les nappes phréatiques et aquifères. Ce sont ces eaux souterraines qui alimentent les puits et les forages pour l’abreuvement des troupeaux.
Mais avec un climat de type sahélien, l’accès facile à l’eau «pastorale» reste toujours emblématique dans le cercle. Le climat s’y caractérise par une période prolongée de sécheresse et une très courte saison pluvieuse de 3 mois. Selon Youssouf, l’intensification de la misère physiologique « peut s’expliquer par la timidité de l’hivernage. «L’hivernage n’a pas duré comme on pouvait s’y attendre. Nous sommes rentrés précocement en saison sèche, ce qui a rendu le phénomène très aigu. Les mares, les puits ont vite tari. Les éleveurs sont passés précocement du nomadisme simple à la transhumance. Ce qui a provoqué un surpâturage dans les zones de transhumance», a expliqué le spécialiste. Les cadavres d’animaux à Nara semblent, en ce moment, caractériser le paysage du cercle. Le phénomène est observé dans la ville aussi, près du cimetière à Dabaye. Là, l’endroit ressemble quasiment à un cimetière bovin à ciel ouvert. Si beaucoup d’éleveurs pensent qu’il faut plus de points d’eau, Youssouf, lui soutient sa thèse de la réduction de la «charge pastorale».
«La gestion du troupeau est très difficile face au phénomène de la misère physiologique. Il faut garder les troupeaux en fonction de la charge pastorale », recommande Youssouf. Avant d’ajouter qu’« ici les éleveurs sont de grands emboucheurs de petits et gros ruminants». En effet, les effectifs du cheptel bovin du cercle de Nara sont estimés à plus 300.000 têtes. Avec un taux d’exploitation d’environ 10%, c’est plus de 30.000 bovins qui sont disponibles annuellement pour le commerce. Ce potentiel est accru par les petits ruminants, dont le nombre est considérable.
Khalifa DIAKITÉ