Pour mieux protéger les maliens de l’extérieur, le gouvernement peut utiliser les moyens d’action suivants : 1- le recours à l’assistance consulaire, 2- le recours à la protection consulaire, 3- le recours au contentieux international de la protection consulaire, 4- le recours à la protection diplomatique non contentieuse ou contentieuse.
A- L’assistance consulaire :
C’est le travail minimal des Consulats du Mali à l’étranger. Il s’agit ici de prêter secours et assistance aux ressortissants maliens, personnes physiques et morales conformément à l’article 5 alinéa e) de la convention de Vienne de 1963 sur les relations consulaires. Les actions concrètes qui relèvent de l’assistance consulaire peuvent consister par exemple à apporter : une aide humanitaire d’urgence à des maliens en situation d’expulsion ; un secours ponctuel à des maliens indigents ou hospitalisés ; une assistance financière et provisoire à des touristes maliens dont on a volé les effets ; une aide au rapatriement de maliens accidentés ; une aide dans le cadre de catastrophes humanitaires, etc.
B- La protection consulaire :
C’est le travail statutaire des Ambassades et des Consulats du Mali à l’étranger. Il découle de la convention de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961, article3 paragraphe 1 alinéa b), et de la convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963, article5 alinéa a) qui donnent aux Ambassadeurs et aux Consuls le pouvoir de protéger les intérêts des ressortissants maliens, individus et sociétés, dans les limites admises par le droit international. Il faut savoir ici qu’une Ambassade peut exercer des fonctions consulaires, ainsi que cela ressort de l’article 3, paragraphe 2 de la convention de Vienne de 1961. La protection consulaire n’est donc pas réservée aux seuls agents consulaires. C’est une protection multiforme qui peut être, soit de type judiciaire lorsque des maliens ont commis des actes répréhensibles au regard du droit de l’Etat de résidence, soit de type administratif au regard de la défense de leurs intérêts privés les plus divers. Au titre des actions qui relèvent véritablement de la protection consulaire et non de la simple assistance, les Ambassades et les Consulats peuvent :
apporter une aide à un malien emprisonné à l’étranger, en assurant directement sa défense, en lui procurant un avocat, en menant des démarches auprès des autorités locales, etc.
intervenir contre toute forme de traitement discriminatoire de maliens par l’autorité publique d’un pays ;
apporter un soutien en conformité avec la loi locale dans le cadre d’une procédure judiciaire, quelle qu’elle soit, au pénal comme au civil, à titre de victime d’une exaction ou à titre d’auteur d’un tel acte ;
assurer la protection des intérêts patrimoniaux d’un malien ou d’une société malienne au regard des investissements réalisés dans le pays de résidence, lorsque ceux-ci sont menacés par une décision de nationalisation, expropriation ou réquisition avec un risque d’être insuffisamment indemnisés, etc.
Le contentieux international de la protection consulaire
Il s’agit ici pour le gouvernement de protester contre le non-respect par un Etat du droit à la protection consulaire que la Convention de Vienne de 1963 confère aux maliens à l’étranger, et d’envisager, au besoin, de saisir la justice internationale. C’est le lieu de rappeler au gouvernement, et cela est important :
que la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963 est assortie d’un protocole de signature facultative ;
que ce protocole prévoit pour le règlement des différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la Convention de 1963 :
le recours obligatoire à la Cour internationale de justice,
à moins qu’un autre mode de règlement n’ait été accepté d’un commun accord par les parties au différend, à savoir notamment le recours à une commission de conciliation ou à un tribunal d’arbitrage ;
que le Mali pourrait utilement, à condition d’être partie, en plus de la Convention de Vienne de 1963, audit protocole, tirer parti du mécanisme de règlement des différends prévu par ce texte au bénéfice des maliens de l’extérieur.
La protection diplomatique
Il n’ y a pas de définition universelle de la protection diplomatique, mais l’organe subsidiaire de l’Assemblée générale de l’ONU qu’est la Commission du droit international de l’ONU en donne la définition suivante : « la protection diplomatique consiste en l’invocation par un Etat, par une action diplomatique ou d’autres moyens de règlement pacifique, de la responsabilité d’un autre Etat pour un préjudice causé par un fait internationalement illicite dudit Etat à une personne physique ou morale ayant la nationalité du premier Etat en vue de la mise en œuvre de cette responsabilité » .
Il ne faut donc pas confondre la protection diplomatique au sens strict avec la protection des intérêts des maliens de l’extérieur par les Ambassades en vertu de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. Celle-ci n’est rien d’autre que l’équivalent de la protection consulaire en vertu de la Convention de Vienne de 1963. La Convention de 1961 ne contient aucune référence à la protection diplomatique en tant que telle. Celle-ci est une modalité particulière de mise en œuvre de la responsabilité internationale d’un Etat qui a commis un fait internationalement illicite ayant causé un dommage “grave” à un ressortissant étranger sur son territoire. C’est une institution spéciale du droit international coutumier, dont la mise en œuvre est laissée à la discrétion de l’Etat, et qui fonctionne concrètement au niveau des autorités centrales, notamment le ministre des affaires étrangères qui est seul habilité à adresser une note de protestation et / ou une réclamation, c’est à-dire, une demande de réparation du préjudice subi par le national lésé, à l’Etat de résidence, auteur du fait illicite.
Fonctionnement concret du mécanisme de la protection diplomatique
En simplifiant les choses dans un but pédagogique, voici grosso modo, comment fonctionne concrètement le mécanisme de la protection diplomatique :
Il faut la présence d’un ou plusieurs maliens sur le territoire d’un Etat étranger ;
Il faut que l’Etat de résidence ait commis un fait internationalement illicite, c’est-à-dire violé une obligation internationale de nature conventionnelle ou coutumière ;
Il faut que ce fait-comportement actif ou passif-ait causé un dommage matériel et / ou moral à un ou plusieurs maliens ;
Il faut que cette situation ait entrainé un différend ou un litige opposant le ou les maliens lésés à l’Etat d’accueil ;
Il faut que, dans le processus de réalisation concrète des démarches qui auront été menées, avec ou sans l’appui de l’Ambassade ou du Consulat, en vue d’épuiser les recours ouverts devant les autorités judiciaires de l’Etat de résidence, comme le droit international l’exige sous réserve des cas d’exception, le ou les maliens lésés aient été victimes d’un déni de justice, c’est-à-dire que l’Etat de résidence devra avoir manqué à l’obligation coutumière et conventionnelle d’accorder aux maliens une certaine protection juridictionnelle, ce qui sera le cas lorsque ces maliens auront été victimes par exemple :
d’un refus d’accéder aux tribunaux administratifs et judiciaires,
d’un retard excessif dans la procédure,
d’une conduite inhabituellement expéditive de la procédure,
d’un comportement manifestement xénophobe des magistrats,
d’un jugement définitif incompatible avec les obligations internationales de l’Etat ou manifestement injuste,
d’un refus d’assurer l’exécution d’un jugement favorable à un étranger etc.
Il faut que le ou les maliens lésés aient eu les mains propres, c’est-à-dire qu’ils n’aient pas violé le droit national de l’Etat de résidence et/ou le droit International, en contribuant ainsi par leur comportement à la commission du dommage ; cette question est matière à discussion : s’agit-il ici d’une troisième condition requise à côté de la nationalité et de l’épuisement des recours internes, d’une part pour accorder la protection diplomatique, et d’autre part pour recevoir la réclamation internationale aux fins de réparation ?, dans la pratique, on considère en général que ce n’est pas une cause d’exonération, mais d’atténuation de la responsabilité de l’Etat de résidence, c’est-à-dire que concrètement on en tient compte dans le calcul du montant de la réparation pécuniaire ou de l’indemnité ; à noter ici que la Commission du droit international de l’ONU n’a pas retenu en 2006 la théorie des mains propres comme étant une troisième condition de recevabilité d’une réclamation diplomatique ; cette condition ne sera donc applicable aux maliens que sous réserve d’une position doctrinale favorable qui serait adoptée par le Mali et par l’Etat de résidence des ressortissants maliens ;
Il faut que le ou les maliens lésés se soient tournés vers le gouvernement malien via l’Ambassadeur ou par saisine directe du ministre des affaires étrangères pour lui demander de prendre fait et cause pour eux et d’endosser leur réclamation aux fins de réparation du préjudice subi ;
Il faut que le gouvernement malien ait en toute discrétion accepté d’accorder sa protection diplomatique aux maliens lésés, en se substituant à eux , en élevant le différend au niveau international, en présentant en bonne et due forme une réclamation internationale à l’Etat de résidence ;
Il faut que le gouvernement malien ait décidé, en tenant compte du contexte, des enjeux, de l’état d’esprit de l’Etat de résidence, de régler le différend, soit par des moyens diplomatiques, négociation, médiation, enquête, conciliation, soit par des moyens juridictionnels, recours à un tribunal d’arbitrage ou à la Cour internationale de Justice ;
Il faut que la première démarche du gouvernement malien auprès de l’Etat de résidence consistant en une demande de réparation du préjudice, ait été convaincante et pleinement reçue par cet Etat, pour que l’action en protection diplomatique ne dépasse pas la phase initiale de discussion amiable de la demande, c’est la protection diplomatique dite non contentieuseou non juridictionnelle ;
11- Il faut que l’Etat étranger ait refusé d’assumer la réparation qu’il est sensé devoir à l’Etat malien du fait d’avoir lésé un de ses nationaux, c’est-à-dire qu’il ait refusé, soit d’admettre la recevabilité formelle de la demande malienne, par exemple au motif que les réclamants n’ont pas la nationalité malienne, ou n’ont pas épuisé les recours internes de l’Etat étranger, ou encore n’ont pas les mains propres, soit de reconnaître ses torts, c’est-à- dire de reconnaître que ce qui lui est reproché constitue un fait internationalement illicite, pour que le gouvernement malien puisse envisager d’aller plus loin, au besoin en engageant une action en protection diplomatique contentieuse impliquant, soit le recours à un tribunal arbitral, soit la saisine de la Cour internationale de justice, si les conditions techniques en étaient remplies ;
12- Il faut que, dans l’hypothèse où l’action diplomatique – qui n’englobe pas les démarches ne conduisant pas à l’invocation de la responsabilité en droit d’un autre Etat, comme par exemple les demandes officieuses de mesures correctives – ou contentieuse aura concrètement abouti à une réparation effective du dommage, le gouvernement malien restitue le montant de l’indemnité reçue de l’Etat de résidence aux maliens lésés, sous réserve de déductions raisonnables.
Conclusions et Recommandations
Conclusions
La protection diplomatique est un outil important de protection des droits fondamentaux de l’homme. Le sujet a été codifié par la Commission du droit international de l’ONU qui a achevé ses travaux en 2006 – travaux auxquels j’ai eu le privilège de participer en ma qualité de membre – même si on peut reprocher à la Commission onusienne de n’avoir centré son travail que sur le seul aspect – il est vrai important – des conditions de recevabilité d’une réclamation internationale aux fins de réparation d’un préjudice subi par un ressortissant d’un pays du fait d’un comportement illicite de l’Etat de résidence au regard du droit international ; laissant de côté d’autres questions importantes comme les modalités concrètes d’exercice de la protection diplomatique par l’Etat protecteur et les conséquentes concrètes de celle-ci. En ce qui concerne les moyens d’exercice de la protection diplomatique, l’Etat peut mettre en œuvre toute la gamme des moyens de règlement pacifique des différends offerts par le droit international, depuis les représentations et les consultations diplomatiques ou consulaires jusqu’aux procédures arbitrales et judiciaires. En pratique, compte tenu de la difficulté d’obtenir le consentement des Etats pour le déclenchement des recours contentieux ou juridictionnels, ce sont les démarches non-contentieuses qui prédominent.
Recommandations de la Commission du droit International de l’ONU
En 2006, la Commission du droit international a recommandé à chaque Etat :
de prendre dûment en considération la possibilité d’exercer sa protection diplomatique, en particulier lorsqu’un préjudice important a été causé à un de ses nationaux. En pratique, il faut que l’affaire revête une gravité assez exceptionnelle pour qu’un Etat accepte de prendre fait et cause pour un de ses nationaux en endossant pleinement la requête de ce dernier, la transformant par là en une action de responsabilité internationale de l’Etat ;
détenir compte, autant que possible, des vues des personnes lésées quant au recours à la protection diplomatique et à la réparation à réclamer ;
de transférer à la personne lésée toute indemnisation pour le préjudice obtenue de l’Etat responsable, sous réserve de déductions raisonnables. Puisse le gouvernement malien accorder la plus grande attention à ces recommandations fondamentales et ce, pour le bonheur de nos compatriotes.
Par Dr Salifou Fomba
Professeur de droit international à l’Université de Bamako, Ancien membre et Vice-président de la Commission du droit international de l’ONU à Genève, Ancien membre et rapporteur de la Commission d’enquête de l’ONU sur le génocide au Rwanda, Ancien Conseiller technique au ministère des affaires étrangères et au ministère des maliens de l’extérieur.