Dans le cadre de la promotion de la lecture comme facteur de développement au Mali, nous nous sommes intéressés au roman : « Les chants du Kandjo ». C’est un ouvrage de 144 pages écrit par Dr Mamadou Fanta Simaga et publié aux Editions EDIM-SA.
La préface faite par Adama Coulibaly, Professeur de philosophie et critique littéraire, nous permet d’entrer dans le corps de l’ouvrage. Celui-ci, dès les premières pages, fait unn petit rappel de sa rencontre avec le Dr Mamadou Fanta Simaga par ceci : « J’ai connu le Docteur Simaga en janvier 2003, au Centre Culturel Français (CCF) de Bamako lors d’une conférence dont il était l’animateur tout indiqué. Il maîtrisait son sujet qui était de l’ordre de l’insolite, de l’inhabituel, car portant sur « la mystique » des nombres et des chiffres dans l’histoire de Ségou. J’ai connu ce jour là un Simaga en grande nature qui révélait au public l’un des plus grands secrets de la marche du monde. Je me souviens encore de son mot introductif à la conférence : « Tout nombre est une forme souveraine et autogène qui maintient la permanence des forces cosmiques ». Les nombres dirigent les destinées humaines. Pythagore disait à peu près la même chose, il y a des siècles…Depuis ce jour, les contacts sont allés croissants et fructueux, faits d’échanges et de discussions (pas toujours convergents) sur des sujets relatifs aux traditions multiséculaires de l’Afrique au destin du monde actuel…J’ai trouvé le livre de Simaga particulièrement édifiant. Des personnages tels ce vieux Kolado, cette femme Nandi, ce jeune Abdou, intrépide animateur de la radio rurale, exercent sur le lecteur une fascination certaine. Abdou est un authentique représentant des médias refusant les récupérations politiques. Ce qui manque à notre monde d’aujourd’hui, ce sont ces types d’hommes faiseurs de valeurs nouvelles. A l’opposé, se dresse la figure du président du borgou, intéressante d’une autre manière. Le président incarne la tragédie de l’homme contemporain, écartelé entre la tradition et la modernité, comme témoigne des multiples vas-et vient entre le palais et le bois sacré. Bien plus c’est le type même de l’homme incapable de bien et qui, malgré ses efforts, revient infailliblement à ses pratiques démoniaques. Il est prisonnier du petit moi. Il vit un drame existentiel d’une densité émouvante. « Les chants du Kandjo », au nombre de trois (encore la mystique des chiffres), répondent à des impératifs modernes comme ceux de la démocratie, de la décentralisation, d’une nouvelle coopération Nord-Sud… ».
Cependant, l’étude de l’ouvrage montre qu’il est divisé en trois parties à savoir : Chant Premier, Chant Deuxième et Chant Troisième. Au niveau du Chant Premier, la chanson débute par ceci, Un monde s’écroule tout en rappelant cette pensée de Victor Hugo : « Toutes ces choses sont passées comme l’ombre et comme le vent ». De ce fait, à la page 21, suite aux conversations entre le Docteur Allaye, médecin de brousse et son ministre de tutelle, Monsieur Tontigui, il ressort ceci : « Mon cher Docteur, vous avez tort de ne pas faire la politique. C’est faillir à votre devoir de citoyen d’un jeune pays où tout est à faire. Votre engagement technique ne suffit pas. Pas mal de jeunes intellectuels, comme vous, en cercles intimes se disent désabusés de leur pays, je cite « Il n’y a plus rien à faire ». C’est maintenant qu’il faudra se lever, éteindre les lampions de la fête qui n’a qu’assez duré. Le devenir du pays n’est même plus du ressort ou du bon vouloir des chefs. C’est l’affaire de tout le monde. Il est temps que nous, dirigeants, entendions d’autres voix qui aient le courage de nous dire que nous nous trompons. Le silence des intellectuels est aussi blâmable que les représailles qu’ils craignent en parlant. Vous en convenez, n’est-ce pas ? Certes, il y a beaucoup à faire, reprit Allaye. Mais le caractère de parti unique du Benkadi explique ma réticence. Il faut que l’Afrique se méfie de l’uniformité qui engendre plus que l’on ne pense, la médiocrité. Que je sache, aucune nation n’a pu survivre dans la médiocrité… » Voilà que c’est bien dit.
Quant au Chant Deuxième, la flûte résonne par ceci à la page 77 : « D’une Afrique qui se réalise de tous les apports utiles, peut naître un message nouveau, ayant pour thème, l’homme, l’humain, maître de lui-même et de sa création et qui pourrait être opposé comme espérance aux angoisses légitimes de notre commune humanité, dans l’attente, à la recherche d’une voie nouvelle de son salut ». (Boubou HAMA du Niger). Dans le même sillage, l’auteur renchérit pour dire qu’il ne faut jamais mépriser le poids de l’occultisme, en Afrique. Dans nos traditions et mœurs tant passées qu’actuelles, nos peuples sans écriture ne pouvaient que par tradition orale nous transmettre notre histoire, mêlant faits authentiques et légendes, le tout interprété selon nos croyances, notre façon de voir et d’expliquer les choses qui nous entourent. L’homme Africain pour ne pas dire l’Homme Noir tout simplement, a toujours cru au monde invisible des êtres ou esprits invisibles (sauf pour les initiés) : djinns, sorciers, et génies divers. ..
Le Chant Troisième débute par cette pensée de Victor Hugo : « Je commence ces notes, feuilles volantes où l’histoire trouvera des morceaux quelconques du temps présent. Je mêle les petites choses aux grandes, comme cela vient au hasard. L’ensemble peint ». Toujours à la page 89, il est dit que l’adaptation de la démocratie européenne aux spécifiés africaines pose la problématique de la nécessaire conservation des cultures africaines face à la nécessaire évolution de la société africaine dans le concert des nations. L’Afrique a le devoir de changer sa vision d’elle-même et du reste du monde. Comme l’a dit jean Paul Sartre, il y a eu le monde des anciens et des masques, ce monde n’existe plus. C’est la volonté de s’assumer pleinement qui doit motiver l’Afrique. Pour cela comme le dit Daniel Etoungo Manguelle : « L’Afrique doit apprendre à projeter dans le temps et savoir bien gérer les moyens dont elle dispos »..L’Afrique ne doit pas comprendre la démocratie comme une des clauses exigées de l’ajustement structurel, servilement calqué sur la démocratie à l’européenne. A l’Afrique seule de définir sa voie démocratique et, partant de l’arbre à palabres, de transporter la sensibilité de l’Afrique … ».
Le moins qu’on puisse dire, c’est que « Les chants du Kandjo », à la limite, est aussi un essai politique mettant en cause les tares des systèmes politiques africains qui bloquent sa marche vers le progrès. Certains pans de l’histoire sont revisités par l’auteur à la grande satisfaction des lecteurs.
« Les chants du Kandjo », c’est véritablement la grande flûte du donner et du recevoir. De ce fait, nous invitons les uns et les autres à se l’approprier pour satisfaire leur curiosité.
Il est à noter que l’auteur, Dr Mamadou Fanta Simaga est né à Ségou, au Mali, le 10 août 1939.
Il fait ses études primaires à Ségou pour devenir lycéen dans la série Philo au Lycée Terrassons de Fougères de Bamako (1960). Ses études universitaires, il les termine à Grenoble par l’obtention d’un diplôme d’Etat de Pharmacie (1966) et le Doctorat d’Université de Grenoble (1972). De retour au Mali, il occupa diverses fonctions : Directeur de la Pharmacie d’approvisionnement, Pharmacien-chef de Kati et Gabriel Touré, Chef de cabinet au Ministère d’Etat chargé de l’Economie et du Plan, Inspecteur des Sociétés et Entreprises d’Etat ? Inspecteur de la Santé, Pharmacien d’officine, Député-Maire de Ségou (1992-1997), Promoteur touristique (Hôtel Les Colibris à Bamako). Il est marié à une épouse et père de huit enfants. Il a déjà publié un essai historique : « Ségou Sikoro Balanzan » (1987).