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Au Mali, Ibrahim Boubacar Keïta en position de force pour le second tour
Publié le vendredi 3 aout 2018  |  Le monde.fr
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Le président sortant sera opposé, le 12 août, à Soumaïla Cissé. Une redite de l’élection de 2013.

Le siège du parti du candidat d’opposition Soumaïla Cissé est bien vide, jeudi 2 août au soir. Une dizaine de militants errent dans les couloirs, tandis qu’à l’étage, Tiébilé Dramé enchaîne les rendez-vous, comme à l’ordinaire.
Dans le bureau du directeur de campagne du chef de file de l’opposition malienne, seule la chaîne de télévision a changé. Ce soir, il parle tout en lorgnant l’ORTM, la télévision nationale. Il est 20 heures et des rumeurs circulent concernant une proclamation en direct des résultats provisoires du premier tour de l’élection présidentielle du 29 juillet. Mais le ministère de l’administration territoriale dément : ce sera demain, affirme-t-il.

Puis contre toute attente, à 21 heures, Mohamed Ag Erlaf, le ministre de l’administration territoriale, apparaît à l’écran. Face au poste de télévision, une poignée de militants ont la mine déconfite. Leur candidat, « Soumi », est bien qualifié pour le second tour, mais son score leur semble dérisoire : 17,8 % des voix (573 111 voix), contre 41,42 % (1,3 million de voix) pour le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »). Le duel du second tour sera le même que lors de la dernière présidentielle, en 2013. Mais en cinq ans, l’écart entre les deux adversaires s’est creusé : IBK gagne 1,6 point, Soumi en perd 1,9.

« Il faut rejeter les résultats, il faut le déclarer maintenant et tout de suite, et prendre nos responsabilités », panique un militant en quittant le siège. « C’est une élection tripatouillée. En 2013, il y avait quasiment un consensus autour d’IBK et il avait fait 39,8 % au premier tour ! Aujourd’hui, on nous annonce qu’il fait 41 % ! Ce n’est pas normal », s’emporte Abdourahmane Traoré.

AVANT LA PUBLICATION DES RÉSULTATS, 18 DES 23 AUTRES CANDIDATS À L’ÉLECTION AVAIENT DÉJÀ ANNONCÉ QU’ILS N’ACCEPTERAIENT PAS « DES RÉSULTATS AFFECTÉS PAR DES IRRÉGULARITÉS »
A l’étage, Tiébilé Dramé est enfermé dans son bureau. Pour lui, le score de son candidat a été rabaissé. « Nous allons saisir la Cour constitutionnelle », annonce-t-il quelques heures plus tard. En 2013, onze recours avaient été déposés, mais aucun n’avait abouti. « Notre sentiment, c’est que le plan de premier tour du camp d’IBK – un coup K.O. – s’est évanoui. Ils sont arrivés à un score de 41 % à la suite de fraudes immenses, parce qu’ils savaient que politiquement, une victoire au premier tour ne passerait pas », estime-t-il.

Un membre de l’équipe de campagne du candidat Aliou Diallo, troisième homme de ce premier tour avec 7,95 % des voix, dénonce également une manipulation. Avant la publication des résultats, M. Diallo ainsi que 18 des 23 autres candidats avaient déjà annoncé qu’ils n’accepteraient pas « des résultats affectés par des irrégularités ». Dans un communiqué conjoint daté du 31 juillet, le groupe avait dénoncé un « retrait massif de cartes d’électeurs par des personnes non titulaires (…), corruption et achat de votes, bourrage d’urnes et attribution de résultats fantaisistes à des candidats ».

L’opposition craint une fraude
L’impartialité de la Cour constitutionnelle, chargée de proclamer les résultats définitifs, avait également été mise en cause. Le camp d’IBK était immédiatement monté au créneau, dénonçant des « procédés graves qui visent à discréditer un processus transparent et salué comme tel par l’ensemble des acteurs internationaux et nationaux indépendants ».

Au lendemain du premier tour, la mission d’observation de l’Union européenne, tout comme l’opposition, avait estimé que le scrutin s’était globalement bien déroulé. Mais la demande de publication par les autorités d’une liste détaillée des bureaux de vote où le premier tour n’a pas pu se tenir, le 29 juillet, notamment en raison de l’insécurité dans le centre et le nord du pays, est restée sans réponse. 767 bureaux, soit 3,3 % du total, ont été privés d’élection, selon le ministère de l’administration territoriale. L’opposition craint une fraude organisée en partie sur ces bureaux. Pour lever les doutes, elle réclame une publication des résultats bureau par bureau, à l’instar des observateurs européens.

Taux de participation de 43 %
Au quartier général du président sortant, une heure après la publication des résultats du premier tour, les quelques militants présents refusaient d’alimenter cette polémique autour d’une prétendue fraude, qu’ils jugent ridicule. « Ce premier tour est un franc succès. Les gens peuvent dire ce qu’ils veulent, mais le Malien lambda sait ce qu’IBK a fait pour le Mali. Soumaïla Cissé doit s’estimer heureux qu’il y ait un second tour », estime Mamadou Wagué, un militant de la majorité présidentielle.

Autour de lui, une poignée de sympathisants débouchent deux bouteilles de champagne sans alcool, amenées à la va-vite par un des leurs. Ici aussi, la proclamation des résultats a surpris. La célébration des 41 % durera un petit quart d’heure. « Peut-être qu’ils ont donné les résultats le soir pour éviter d’éventuels troubles », spécule Fatimata Traoré, une autre militante. Devant le siège, le calme règne. « Je suis déçu, on s’attendait à passer au premier tour », lâche un autre en montant dans son véhicule.

Jeudi soir, les rues désertes de Bamako, comme les quartiers généraux des partis, témoignaient de la torpeur citoyenne vis-à-vis d’un processus électoral peu suivi. Le taux de participation annoncé par les autorités est de 43 %. C’est six points de moins qu’en 2013, mais plus que la moyenne du taux de participation des cinq derniers scrutins présidentiels (35 %).

Posté devant le siège de M. Cissé, Amassali Gandi tente de comprendre les 17 % de son candidat. Pour lui, l’abstention a joué en faveur d’IBK : « En 2013, l’effervescence populaire était là. Mais aujourd’hui, beaucoup d’opposants à IBK se sont dit qu’aller voter contre lui ne servirait à rien, parce qu’ils n’ont plus confiance en ce régime », juge-t-il avant de conclure, l’air défait : « Le fait de ne pas aller voter, c’était leur façon à eux de contester. »

Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)

LE MONDE Le 03.08.2018 à 06h14
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