Cette sortie quelque peu triviale et même roturière, on la doit à l’ancien roi d’Espagne, Juan Carlos, qui s’agaçait de la logorrhée du président vénézuélien Hugo Chavez au sommet ibéro-américain de novembre 2007 à Santiago du Chili.
Face aux attaques en règle du leader bolivarien contre les différents gouvernements espagnols qu’il a même qualifiés de « fascistes », le roi est sorti de ses gonds et a jeté à la face du trublion : « Pourquoi tu ne te tais pas ? ». Et vous imaginez bien que la petite phrase a fait le tour des grandes rédactions du monde entier en quelques secondes. A l’heure des réseaux sociaux, on en serait à remettre encore une couche supplémentaire.
J’ai eu envie de rappeler cet incident pour vous parler de mon téléphone qui a contracté une logorrhée similaire à celle de Chavez. En effet, durant les semaines qui ont précédé le 1er tour de l’élection présidentielle, pendant et après le scrutin, mon téléphone est entré dans une hyperactivité inquiétante. Et le jour de la proclamation des résultats provisoires par le Ministre de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et le lendemain, ce fut la totale.
Depuis au moins deux ans que je le possède, je ne l’avais jamais vu dans un tel état de surchauffe. Comme un téléscripteur – pas sûr que beaucoup de nos jeunes lecteurs connaissent cet engin naguère indispensable aux rédactions- il n’a pas arrêté une seule minute de déverser son flot de messages. Ses applications SMS, Messenger, Whatsapp, Viber, Facebook, Twitter, la messagerie classique…, ont tourné à plein tube. Des flots de chiffres issus des états-majors des partis politiques, des articles et leurs nécessaires « update », des communiqués, des réactions, des images à la pelle, des vidéos, des sons, des hyperliens… tout y a passé. Et le délire continue avec les premières réactions des candidats qui apprécient très diversement les scores à eux attribués par le MATD.
On n’aurait que ça à faire dans sa vie qu’on ne s’en sortirait pas indemne. Plus grave, on deviendrait carrément fou à vouloir extraire la quintessence de cette matière extrêmement évolutive – l’information - qui vous arrive de toutes les sources et qui forme des strates successives flirtant avec le Mont Everest.
Si je ne vous dis pas que mon téléphone m’a angoissé, stressé et parfois même désobligé, je vous aurais menti, son hyperactivité se superposant à un terreau déjà passablement chauffé à blanc par la passion des joutes. A certains moments, je me suis mis à la place des 24 compétiteurs et ai imaginé à quel point les pauvres devaient souffrir, si jamais ils avaient la fâcheuse tentation de tout suivre, de tout superviser et de recevoir des rapports détaillés de leurs équipes respectives sur le terrain.
Comme l’ancien roi d’Espagne, j’ai craqué lorsque la nouvelle de la fermeture d’une radio FM sise en Commune VI du District de Bamako est tombée ainsi que les premières réactions après la proclamation des résultats provisoires du scrutin. J’ai réglé le bidule sur mode « silencieux » pour ne pas déranger les autres mais surtout pour ne pas être moi-même déconcentré dans mes tâches quotidiennes. Peine perdue ! Le flot des réactions et des chiffres contradictoires n’a pas tari un seul instant. Les nouvelles les plus folles et les plus farfelues ont elles-aussi continué de tomber de plus belle, ajoutant des paliers supplémentaires à mon angoisse et à mon stress.
Là, j’ai perdu ma sérénité et ma « zenitude » habituelles et, à l’endroit de mon GSM, j’ai crié : «Pourquoi tu ne te tais pas ? ».
Réalisant le côté ridicule de ma réaction, j’ai tout simplement décidé d’éteindre mon téléphone pour avoir la paix. Une fois pour toutes ! Ce que j’ai fait non sans constater que le petit objet source de la perte de mon « self control » manquait d’exploser tant il avait anormalement chauffé. Et je me suis promis, une fois rasséréné, de désinstaller toutes ces applications voraces en énergie et en espace qui vous pourrissent la vie et qui vous maintiennent dans un quasi état d’asservissement technologique. Sans état d’âme !
Dorénavant, me suis-je promis, le téléphone ne me pourrirait plus la vie ; il ne servirait plus à autre chose que d’appeler et recevoir des appels et, tout au plus, qu’à envoyer des textos ou y répondre. J’espère vivement qu’il n’y ait pas de contentieux électoral et que les deux candidats qui ont émergé du 1ertour reprendront tranquillement leur campagne pour le round final. Par ces temps, je n’ai pas envie de refaire une crise de nerfs. En tous les cas, si votre téléphone s’avise de perturber votre sérénité alors que vous avez besoin de toute votre tête pour résoudre des équations quotidiennes, vous avez trois excellents choix : l’éteindre en le grondant sévèrement ; l’immerger dans une cuvette d’eau ou le balancer de toutes vos forces contre le mur le plus proche. Sans regrets !