Gao (Mali), 5 août 2018 (AFP) – Thé à la main, Alassane Maïga ne décolère pas: “On a bourré les urnes dans les zones nomades, pour le candidat du pouvoir”. Dans le nord du Mali, les soupçons de fraude électorale attisent les tensions ethniques. “On”, ce sont les “peaux claires”, Touareg et Arabes, précise cet enseignant de Gao convaincu que ce sont les mêmes qui “tous les jours” causent de “l’insécurité”, sans pouvoir préciser laquelle de ces communautés il accuse. “Quand dans un village, il y a 5.000 personnes mais 6.000 qui votent… c’est du bourrage, c’est trop!”, tempête cet homme de 45 ans, observateur électoral à Gao lors du premier tour le 29 juillet, dont le président sortant Ibrahim Boubacar Keïta, est sorti largement en tête, loin devant le chef de l’opposition, Soumaïla Cissé. Ces allégations sont sur toutes les lèvres des partisans de l’opposition depuis la proclamation des résultats officiels provisoires par le ministère de l’Administration territoriale, jeudi soir, mais sont difficiles à prouver.
Le gouvernement les a annoncés à l’échelle nationale, mais n’a “pas du tout l’intention de les publier en détail, bureau par bureau”, a indiqué une source proche du ministère, resté sourd aux demandes répétées de l’opposition et des observateurs internationaux au nom de l’exigence de “transparence”.
Une à une, alors qu’une patrouille de police des Nations unies est venue dans son quartier en prendre le pouls, Alassane énumère les communes proches où les “peaux claires” auraient, selon lui, “bourré les urnes” au profit du président, surnommé “IBK”, donné grand favori du second tour le 12 août.
En mars, les autorités avaient imposé un couvre-feu d’une semaine à Gao, la plus grande ville du Nord, à la suite d’affrontements mortels entre communautés songhaï et arabe.
Dans cette région, où l’Etat est peu ou pas présent, les groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015, principalement touareg, ont participé à la sécurisation du vote. Plusieurs habitants de Gao accusent le parti présidentiel d’en avoir profité pour pactiser avec eux afin de truquer le scrutin. “On entend ça partout en ville”, confirme un responsable de la Mission des Nations unies au Mali (Minusma), sous couvert de l’anonymat, sans pouvoir confirmer pour autant qu’il y a bien eu fraude.
– Insécurité propice aux fraudes
“C’est une fraude totale!”, lance plus loin Mohammed Touré, en train de prendre le thé avec des amis. “Dans une commune, ils ont eu 9.772 voix pour IBK et seulement une pour Cissé… mais ils ont 9.000 inscrits!”, affirme cet entrepreneur de 31 ans, qui dit tenir ces informations de gens sur place, alors que la participation au niveau national a été officiellement de 43,06%.
Si Gao, aux portes du désert, a été étonnamment calme lors du scrutin, à travers le pays ce sont plus de 700 bureaux de vote, essentiellement dans les zones rurales du centre, sur quelque 23.000, qui n’ont pas pu ouvrir en raison d’incidents violents. “C’est dans les zones où il n’y a pas de sécurité qu’on entend qu’IBK a volé. Là-bas, les chefs de bureau ont pris les urnes et les ont remplies pour IBK”, affirme Abdoulmajid Agagrossi, 23 ans, à un autre arrêt de la patrouille des policiers de l’ONU. Cet électricien au chômage, qui ne demande que “du travail” et de “rester en paix”, a affiché sa préférence jusque sur le guidon de son scooter, où trône le visage de Soumaïla Cissé, natif de la région de Tombouctou (nord-ouest), contrairement à IBK, originaire du Sud.
Cinq ans après l’intervention française qui a chassé les jihadistes du Nord, où ils avaient instauré la charia, les habitants de Gao rencontrés par l’AFP, pro-IBK ou pro-Cissé, s’accordent sur une chose: les violences doivent cesser. “On veut que le gouvernement travaille pour la sécurité du Mali”, résume Ismaël, guide touristique de 24 ans, reconverti vendeur d’artisanat dans la base des troupes de l’opération française Barkhane.Vêtu d’un boubou blanc écarlate, Idriss Adrega, lui, soutient IBK, car “on ne peut pas nier ce qu’il a fait”, tout en regrettant: “Les routes sont mauvaises, il y a beaucoup de choses qui nous manquent, il n’y a pas de sécurité, on nous tire dessus”. Pour cet imam, “Nous, à Gao, on a trop souffert”.