Le virage d’IBK en tête du premier tour de l’élection présidentielle du 29 juillet 2018 ne surprend guère. Autant ses adversaires étaient convaincus de le déboulonner sans peine, autant ses partisans sont résolus à le défendre. Le score qu’il réalise face au chef de file de l’opposition (41,42 % contre 17,80 %) campe bien le décor de ce qui va être la bataille du second tour : la chronique d’une victoire annoncée, mais aussi la confirmation que la politique est un art et un métier obéissant à des principes.
POUR RÉUSSIR, SAVOIR ATTENDRE
SON HEURE ET PARTIR A POINT
Après la révolution de mars 1991 et la transition dirigée par ATT, trois hommes politiques ont occupé le devant de la scène : Alpha Oumar Konaré de l’ADEMA, Mountaga Tall du CNID et Tiéoulé Mamadou Konaté de l’US- RDA. Qui a fait quoi à cette époque et pour quel résultat ? Trois grosses écuries politiques se sont constituées avec presque tous les hommes politiques jouant les premiers rôles actuellement. IBK, Soumaïla et Boubèye étaient de l’écurie ADEMA pendant que Tiébilé roulait avec le CNID. Tiéoulé M. Konaté a dû batailler pendant longtemps pour avoir le droit d’utiliser le sigle du RDA. Alpha Oumar Konaré plus pragmatique et mieux entouré à l’époque avait pris une longueur d’avance sur les autres. Enseignant de formation et perçu comme un possible héritier de Modibo Kéita, il n’a eu aucun mal à recruter au sein des enseignants, élèves, étudiants, mais aussi des fonctionnaires. Il avait déjà marqué les esprits en démissionnant avec fracas du Gouvernement de Moussa Traoré, une première au Mali. Il avait également créé la coopérative Djamana et réussi à nouer des relations de confiance avec ATT qui dirigeait la transition, pendant que Mountaga Tall se faisait tailler en pièces au cours d’un débat télévisé mémorable par feu Mamadou Maribatrou Diaby. Tout cela a conféré à Alpha un positionnement qui lui a permis de pointer en tête au 1er tour en 1992 et d’affronter Tiéoulé au second tour. Il s’est fait élire facilement en menant une campagne de proximité et en présentant Tiéoulé comme un « vacancier » peu au fait des réalités maliennes. Plus tard, Tiéoulé Konaté disparaîtra dans un accident tragique. C’est la preuve qu’il n’y a pas de génération spontanée en politique et qu’une victoire se prépare. Une fois au pouvoir, pour fortifier les bases de l’ADEMA, Konaré n’hésitera pas à se servir sur la dépouille encore fumante de l’UDPM, le parti du président déchu, largement présent sur tout le territoire national. Mountaga Tall s’installera alors dans une opposition systématique avec des velléités récurrentes de déstabilisation du pouvoir. Il ne rebondira plus !
LES PRINCIPAUX ACTEURS POLITIQUES ACTUELS
SONT SORTIS DES ENTRAILLES CHAUDES DE L’ADEMA
Le trio politique le plus en vue en ce moment est sorti de l’écurie ADEMA, suite à des intrigues dont seul ce parti garde le secret. En effet, en 2002 Alpha Oumar Konaré va lui-même organiser l’implosion du parti de l’intérieur pour empêcher IBK de lui succéder, mais celui-ci avait eu le temps de marquer son territoire. Il se replie avec quelques fidèles pour créer le RPM. Soumaïla Cissé était déjà à la manœuvre en espérant qu’il serait le dauphin. Voyant que l’ADEMA ne le choisissait pas, il sortira à son tour du parti pour créer l’URD. La première opposition entre les deux hommes remonte à la présidentielle de 2002. Dans le trio de tête, il y avait ATT, IBK et Soumaïla Cissé. Le Mali a vécu lors de cette élection le plus grand malaise électoral de l’ère démocratique avec l’annulation au forceps de plus de 500 000 voix pour éliminer IBK et permettre à Cissé et ATT de se retrouver au second tour. Qu’a fait IBK à cette occasion ? En homme responsable, il a appelé ses partisans au calme, évitant au pays la première grave crise post-électorale de sa jeune histoire démocratique. Qui ne s’en souvient ? En 2007, Cissé ne se présente pas contre ATT et l’ascenseur lui est renvoyé sous la forme de la présidence de la Commission de l’UEMOA, un exil doré à Ouagadougou. Ce sera pour IBK la longue traversée de désert qui fortifiera sa foi et son âme de combattant. Le premier vrai duel qui va les opposer est celui de 2013, le second est attendu le 12 août 2018, mais Cissé a- t-il les moyens de renverser la tendance ? Pas sûr du tout.
SECOND TOUR : VOILÀ POURQUOI SOUMAILA CISSE SERA ENCORE BATTU
Le poids réel et la valeur intrinsèque de chacun des deux candidats sur l’échiquier sont fournis par les résultats du premier tour : plus de 40 % pour IBK et moins de 18 % pour Cissé. Il serait naïf de croire que les compteurs seront remis à zéro le 12 août 2018. En réalité, les deux hommes se lanceront à la quête des 40 % de voix récoltés par les autres candidats et dans la mobilisation des abstentionnistes. C’est quasiment mission impossible pour Cissé qui, le comprenant clairement est entré dans une nouvelle surenchère en récusant six juges de la Cour Constitutionnelle dont la présidente. Les Maliens aspirent certes au changement, mais Soumaïla Cissé n’incarne pas du tout le changement. Ses penchants actuels sont même effrayants car les activistes qui l’entourent exercent plutôt un effet repoussoir. Le reste relève de l’arithmétique politique : choisir cinq ans avec IBK ou risquer dix ans de plus avec Cissé et ses activistes. D’autres raisons et pas des moindres jouent contre Cissé. On peut en citer trois :
– 1- Après avoir posé un acte de fair-play mémorable en 2013 en félicitant IBK et en se rendant à son domicile avec sa famille, Soumaïla a tout remis en question à la surprise générale en retournant sa veste à la manière d’un homme versatile ;
– 2- Il semble constamment hanté par le syndrome du perdant, car il n’a jamais gagné face à IBK tant au sein de l’ADEMA qu’en dehors de ce parti. IBK a plus de personnalité, de charisme et il a réussi à rassembler sa majorité pendant que lui n’a pas d’emprise réelle sur l’opposition, se laissant conduire par des anarcho-syndicalistes ;
– 3- Enfin, avec les insulteurs publics qui le soutiennent ouvertement et qui ne jurent que par la stratégie du chaos, il n’a pas besoin d’ennemis dans ce Mali où l’aspiration à la paix l’emporte largement sur les appels à la révolution.
Soumaïla sera donc battu parce qu’il a aligné les mauvais choix. Il sera battu parce qu’IBK a fini par tirer le bon numéro en nommant à la Primature Soumeylou Boubèye Maïga qui connaît bien les hommes politiques et leurs mœurs. Celui-ci a choisi de mettre sa grande expérience et son savoir- faire au service du pays, ce que Soumaïla Cissé aurait dû faire en 2013 pour marquer les esprits et rassurer ses compatriotes. La patience et l’humilité sont des vertus cardinales pour qui veut diriger.
L’OISILLON QUI QUITTE TROP TÔT LE NID NE CONNAÎTRA PAS LES SPLENDEURS DU CIEL
De nombreux hommes politiques maliens partis pour avoir un destin national iront hélas peupler le cimetière marécageux et tumultueux de la démocratie. Un destin de feuilles mortes les attend parce que la vie politique est impitoyable. Sinon, comment expliquer que deux novices de la politique se classent 3e et 4e, damant de loin le pion à des caciques comme Oumar Mariko, Choguel Maïga ou Mountaga Tall qui n’arrivent pas à mobiliser 5 % de l’électorat ? Dans le registre de ceux qui se sont lancés à contre temps, l’exemple de Soumana Sacko mérite d’être relevé. En effet, avec sa réputation de cadre compétent et intègre au sortir de l’ère Moussa Traoré, il était certainement l’homme politique le plus en vue en 1992. En acceptant de conduire la transition aux côtés d’ATT, il s’est rendu inéligible. Quand il a enfin voulu se lancer après Konaré et ATT, son audience s’était effritée. Pour ce qui est de l’élection présidentielle, l’ensemble du territoire national y compris les missions diplomatiques et consulaires est considéré comme une circonscription électorale unique. De ce fait, des incidents empêchant la tenue de l’élection sur une partie du territoire ou dans certaines zones ne sont pas des causes de nullité du scrutin. En outre, l’élection se déroule au Mali et seuls les Maliens votent. Gagner la bataille des réseaux sociaux et celle des médias français ne conduit pas à Koulouba. Soumaïla Cissé et ses partisans ont mené une campagne agressive et souvent virulente sur les réseaux sociaux en bénéficiant du soutien des médias français pour ne récolter que 17,80 % des voix. IBK qui a conduit sa campagne sur le terrain à l’intérieur comme à l’extérieur en observant le bon ton a obtenu 41,42 %. Il y a une façon de s’adresser aux Maliens qui savent écouter les paroles, mais aussi les silences. Dans leur immense majorité, ils sont adeptes du bon ton et de la mesure en toute chose. La victoire d’IBK à Bamako où il est suivi par Cheick Modibo Diarra prouve à suffisance que les activistes n’ont pas un impact réel sur le processus électoral. Soumaïla apprendra à ses dépens que la politique est la saine appréciation des réalités.
Les vrais opposants sont ceux qui savent gagner dans l’adversité avec les règles édictées par la majorité. Un homme politique qui aspire à diriger le pays ne s’en prend pas de façon cavalière aux institutions qu’il est censé protéger et défendre. Battu en phase finale en 2002 et 2013, Cissé est sur le point de conn aître sa troisième défaite électorale, le second face à IBK. Le chant du cygne ?