Face à Aretha Franklin et surtout face à sa mort, je fais preuve d’une faiblesse coupable que les lecteurs de cette chronique voudront bien me passer. Sa voix puissance et douce qui vous transporte dans les horizons les plus insoupçonnés de la sensibilité a bercé toute mon adolescence. Il n’y a pas un mois encore, je m’offrais sur YouTube un retour sur la playlist des souvenirs musicaux qui m’ont marqué.
A l’occasion, j’ai reécouté goulûment, chaque fois qu’un nom ou un titre me venait à l’esprit, Security (Otis Redding), Aretha Franklin, Thelma Houston, The Temptations, I’ll Take You There (The Staples Singers), Love To Love You Baby (Donna Summer), Silver Convention, I smell Trouble (Ike & Tina Turner), le duo Simon & Garfunkel, le quatuor Crosby, Still, Nash & Young, Jimmy Hendrix, Whisbone Ash, Creedence Cleawater Revival, Led Zeppelin, Beatles, Rolling Stones, Pink Floyd, AC/DC…
Mais dans ce concert de sonorités caractéristiques du milieu de la décennie soixante à la fin de la décennie quatre-vingt-dix, une période de lutte pour les droits civiques, de quête de toutes les libertés et de justice sociale, d’évasion…, une voix vous colle, vous poursuit et vous hante. Celle d’Aretha franklin, d’ailleurs unanimement désignée par les spécialistes comme la plus grande chanteuse soul du XXème siècle. C’est bien cette déesse, cette diva, cette bête de scène qui a tiré sa révérence le 16 août dernier dans sa maison à Detroit à l’âge de 76 ans.
La mort commande respect, communion et sobriété, tous sentiments que nous éprouvons et exprimons à la famille d’Aretha Franklin, au grand peuple des Etats unis d’Amérique et à la constellation de la musique dont Aretha Franklin était une des étoiles les plus lumineuses. Tout dans la vie de cette grande dame est hors du commun et superlatif. Absolument tout ! Cette fille de pasteur née le 25 mars 1942 à Memphis (Tennessee) vit déjà la séparation de ses parents lorsqu’elle n’a que six ans. A dix ans, sa mère décède ; elle extériorise sa souffrance et la condition des siens dans les chants gospel dans la chorale de l’Eglise de son père.
A l’âge de 14 ans, c'est-à-dire l’année de naissance de son premier enfant, elle enregistre ses premiers chants sur les disques de son père. A 16 ans, Aretha Franklin met au monde son deuxième enfant ; elle n’a pas le temps de materner son rejeton qu’elle est découverte par la maison de production CBS. Nos aînés et ceux de ma génération – génération électrophone et disque vinyle - connaissent bien cette maison puisque tous les artistes qui comptaient à cette époque appartenaient aux écuries concurrentes CBS ou ABC.
D’ailleurs Aretha Franklin rejoindra très vite la concurrence, c’està dire ABC (1967) avec laquelle sa carrière décollera véritablement. Ses premiers succès planétaires tombent : « Respect », « Think », « Chain of Fools », « (You Make Me Feel Like) A Natural Woman », « I Never Loved a Man (The Way I Love You) ». Impossible de ne pas faire un « arrêt sur image » sur le titre « Respect », écrit et enregistré par Otis Redding en 1965, mais repris par Aretha Franklin en 1967 qui le transforma en hymne pour son combat, celui des femmes et de toute la communauté noire.
Le succès est phénoménal et la reprise lui vaudra les deux premiers des 18 Grammy Awards de sa longue carrière. Et à propos de ce titre, peu avant sa mort dans un accident d’avion en 1967, Otis Redding jouera Respect sur la scène du Festival de Monterey et rendra cet hommage à Aretha Franklin en ces termes : « La prochaine chanson est une chanson qu’une fille a emmenée loin de moi. Une bonne amie, cette fille, elle m’a juste pris la chanson. Mais je vais quand même la jouer».
Et Otis Redding ne croyait pas si bien dire puisque le journal Le Monde publiait sur son site internet le 16 août dernier un article intitulé « Comment Aretha Franklin a transformé « Respect » d’Otis Redding en un manifeste féministe et politique ». On y lit que « Dans un palmarès paru en 2004, le magazine Rolling Stone en fera la cinquième « chanson de tous les temps ». Un classement dans lequel Aretha Franklin apparaît comme la première femme, placée derrière Like a Rolling Stone de Bob Dylan, (I Can’t Get No) Satisfaction des Rolling Stones, Imagine de John Lennon et What’s Going On de Marvin Gaye.
Telle était Aretha Franklin, le dernier porte-flambeau de la « soul music », l’artiste à la discographie impressionnante, la diva à la longévité hors du commun qui avant subjugué Barack Obama , à la Maison Blanche, le 20 janvier 2009, pour sa première investiture lorsqu’elle avait interprété "My Country 'Tis of Thee". Et Le 29 décembre 2015, elle remettait le couvert sur la scène des Kennedy Center Honors de Washington, qui célébrait alors la carrière de cinq artistes dont Rita Moreno, George Lucas et Carole King. « Installée derrière son piano, elle avait interprété "(You Make Me Feel Like) A Natural Woman"… Une interprétation qui avait bouleversé l'assemblée » dont un certain Barack Obama qui ne put retenir ses larmes d’émotion.
Ainsi était Aretha Franklin qui multiplia les duos avec les plus grands : James Brown (The Soul Brother N°1), Ray Charles, Stevie Wonder, Bruce Springsteen, George Michael… et participa à de nombreuses manifestations caritatives et des hommages comme ceux rendus à Nelson Mandela. Aujourd’hui, c’est le monde entier qui la pleure et lui rend hommage. Avec R-E-S-P-E-C-T !