Toute jeunesse en proie au désœuvrement trouve refuge dans des pratiques peu orthodoxes comme fumer le cannabis. Ce produit psychotrope est pourtant interdit dans notre pays
La scène se déroule dans un espace vert se trouvant entre la commune III et la commune IV du District de Bamako. Le jeune sans emploi, A.C alias «maître », envoie la fumée de son joint de cannabis dans la figure d’un pote assis à côté de lui. Et dans un accès de toux, il se vante devant le groupe de jeunes réunis autour de lui en disant « je suis le maître fumeur…. Je suis le gladiateur !». Nous sommes mardi 7 août 2018. Comme les jours précédents, et sûrement pendant des semaines encore, dans cet espace à l’allure champêtre qui traverse plusieurs quartiers des communes III et IV de la capitale (dont les trois Badialan et Bolibana) la drogue détruit de nombreux adolescents. Les sinistres pages de l’histoire d’une jeunesse désorientée s’écrivent sous l’œil des Bamakois impuissants à éradiquer le fléau.
Une légère brise fouette ce mardi quelques rares passants qui traversent l’espace qui longe les rails. Ce jour, il avait plu. Comme d’habitude, la bande des sept garçons qui habite dans les environs, se retrouve à cet endroit pour fumer de l’herbe. Ils étaient réunis pour la deuxième fois dans la journée. Ils s’adonnaient à leur périlleux vice. Les jeunes drogués étaient assis au bord du ruisseau qui draine les eaux polluées jusqu’au fleuve Niger à environ un kilomètre. Les rives de ce courant d’eau appelé «Diafarana Kô» abritent une importante colonie de consommateurs de drogues douces en plein centre de la capitale. Et cela malgré les patrouilles quotidiennes de police. Il y a aussi des brigades de veille constituées de riverains volontaires avec le concours des autorités municipales. Ces brigades parviennent à peine à dissuader les «Galadjomans», le sobriquet collé aux drogués par un Vieux malien d’origine burkinabé et ancien fumeur. Cet artiste-peintre, mordu de reggae, observe quotidiennement à Bolibana, depuis son atelier, les courses poursuites entre policiers et «fumeurs».
Les défenseurs de la loi et les délinquants jouent à «chien et chat». «On ne doit pas envoyer des patrouilles journalières en tenue régulière sur ce terrain. Les agents en tenue civile devraient faire des descentes. Eux, ils pourraient surprendre les fumeurs», conseille le vieux, les yeux braqués sur un tableau qu’il continue de peintre, sans se laisser distraire par la conversation.
La question de l’herbe, poursuit l’artiste-peintre, en commune III et IV, suscite un vif intérêt dans les familles. « Chaque famille recèle de linge sale en ce qui concerne le joint», révèle notre interlocuteur. Soudain, dans l’atelier qui donne sur l’espace incriminé, nous entendons plusieurs sifflets de ralliement. Immédiatement, c’est le sauve- qui -peut dans les groupes de fumeurs. La police passait pour la patrouille journalière.
Encore une fois, les fumeurs aux aguets s’en sortent sans laisser de plumes. Avertis par les sifflets, ils ont eu le temps de détaler à toutes jambes. Quelques minutes plus tard, un solitaire sorti de nulle part, âgé d’à peine 16 ans, arrive sur les lieux pour recevoir sa dose. Aux premiers sifflets codés, il détale comme un lapin. Le système d’alarme des bandits venait de prouver son efficacité. Les rives boisées du Diafarana kô (rivière du Diafarana qui prend sa source à Zirakôrô Dounfing ), ressemblent à un «bluff écologique». Ce ruisseau, jadis une baignade sûre pour les enfants, draine aujourd’hui des eaux très polluées jusqu’au fleuve Niger. Malgré les chants d’oiseaux gazouilleurs perchés sur les grands arbres, malgré l’odeur suave de la verdure, les amoureux de la nature hésitent à fréquenter ce lieu. Même si le nombre de scènes de violence y a drastiquement chuté grâce aux descentes policières, les messages sonores et codés des fumeurs de haschisch, mêlés aux chants des oiseaux, produisent comme une fausse note.
«L’ART NE MÈNE POINT À L’HERBE »-Dans son atelier, une cigarette collée aux lèvres qu’il s’empresse de finir en tirant deux longues bouffées, le Vieux artiste évoque « ses pas de bébé » dans la consommation de drogue douce. Cela remonte à la fin des années 90 à Ouagadougou, Burkina Faso. Alors adolescent, notre artiste peintre participait à une fête d’anniversaire. « J’ai charmé beaucoup de filles pendant la fête. Comme j’ai fait impression, plusieurs jeunes m’ont approché. Ils m’ont demandé d’intégrer leur cercle. Ces gens croyaient que je fumais de l’herbe comme eux, ils m’ont invité à tirer un coup». Le Vieux se rappelle encore la sensation bizarre que la première bouffée lui avait fait. «Je me suis réveillé au milieu de la nuit avec une faim de loup. Depuis ce jour, j’ai continué à fumer. Pour mon plaisir», raconte-t-il. L’artiste peintre ajoute que beaucoup de gens pensent à tort que «l’art mène à l’herbe. Je connais beaucoup de fumeurs qui sont aux antipodes de l’art», dit-il.
La vulgarisation du cannabis est un danger pour les mineurs. Sur le marché bamakois, on trouve facilement cette drogue. Mais pour ce jeune fumeur que nous appellerons Papou, «le cannabis est un plat et en Afrique on ne discrédite jamais la nourriture».
La vulgarisation du cannabis au Mali fait trembler n’importe quel parent aujourd’hui. Comme cet employé municipal à la retraite. Avant, les mairies proposaient divers programmes ludiques aux jeunes tout le long de l’année. Il y avait des compétitions inter-quartiers dans différentes disciplines sportives. Aujourd’hui, les jeunes sont abandonnés à eux-mêmes. Ils sont exposés aux dangers de la rue. Si les autorités ne diversifient pas leur approche dans la lutte contre la consommation de la drogue, ce pays court à la catastrophe.