État d’urgence permanent, disparitions mystérieuses, censure des réseaux sociaux, fermeture de medias privés, manifestations interdites, enlèvements et séquestrations…l’élection du président de la République a confirmé l’émergence d’un véritable Etat policier au Mali.
Isabelle Massage
Le Mali vient de franchir un nouveau cap dans le renforcement de son statut d’ « Etat policier ». L’enlèvement et la séquestration, le dimanche dernier, de Paul Ismaël Boro, un ancien responsable du RPM et aujourd’hui membre de l’Opposition, et de Moussa Kimbiri, hier mardi, un autre soutien de Soumaïla Cissé, défraie la chronique. Selon le camp de Soumaïla Cissé qui revendique aujourd’hui « sa victoire volée » lors de l’élection du président de la République «Paul Ismaël Boro a été arrêté chez lui, menotté, les yeux bandés, mis à genou dans son salon pendant qu’une dizaine d’hommes armés ont investi sa résidence à Koulouba sur la route de Kati, fouillé et refouillé les chambres de sa maison à la recherche de soi-disant d’armes de guerre. »
« On accuse Paul Ismaël Boro d’avoir soi-disant armé les manifestants samedi dernier. C’est une accusation ridicule et sans fondement. Ce qui est arrivé hier soir (Ndlr : dimanche 26 août 2018) à Koulouba n’est pas une arrestation, mais un enlèvement par des hommes aux visages masqués », explique Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de Soumaïla Cissé. Me Mountaga Tall, président du CNID et acteur majeur du mouvement démocratique au Mali, s’est aussi indigné de l’enlèvement de Paul Ismaël Boro.
« L’enlèvement de Paul ISMAEL BORO est inacceptable. L’Etat de droit respecte les règles en matière d’arrestation. Ou entame des investigations s’il y a un enlèvement. Nous n’accepterons pas un État cowboy au Mali ni un terrorisme d’Etat source d’instabilité. Nous serons de tous les combats pour la Démocratie et les Droits humains. Libérez donc BORO ! », indique le célèbre avocat et ancien ministre. Konimba Sidibé, ancien ministre et président du Modec, aussi fustige « une arrestation extrajudiciaire.»
« Notre camarade Paul I Boro a été sauvagement réprimé et arrêté chez lui en toute illégalité avant hier par les sbires de IBK simplement parce qu’il est l’un des résistants les plus déterminés contre l’usurpation de la Présidence de la république par la fraude électorale par celui-ci…Je condamne cet acte ignoble digne d’un temps que nous croyions révolu au Mali et exige sa libération immédiate. L’objectif visé n’est autre chose que d’intimider les résistants et brisé notre résistance à l’imposture électorale. Peine perdue, notre résistance n’en a été que décuplée », explique-t-il.
En plus des hommes politiques, ces enlèvements ont aussi fait réagir les syndicats des travailleurs du Mali. Selon la CSTM (Confédération Syndicales des travailleurs du Mali), c’est « une violation du droit et de la liberté assimilable à un crime crapuleux ». La CSTM interpelle le gouvernement et l’engage à rechercher et faire libérer immédiatement Monsieur Paul Ismaël Boro. La centrale syndicale demande au gouvernement de s’investir davantage à la restauration de l’image de la démocratie malienne et du respect des droits et libertés.
Etat d’urgence, manifestations interdites, musellement de la presse…
On se rappelle du raid de la sécurité d’Etat dans les locaux de l’agence de communication Smart Media le 12 août dernier. A la suite de ce raid, des responsables de l’agence ont été interpellés par le 14ème arrondissement et le technicien monteur Abel Konna Kouassi a été enlevé chez lui par des hommes cagoulés. Il sera soumis pendant deux jours à la torture, à un traitement cruel, inhumain avant d’être jeter sur une route de Bamako à la sortie de Kati. Aujourd’hui le Mali vire vers un Etat policier, où toute voix discordante est étouffée.
Le lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, en violation des textes réglementaires et suite à une émission du chroniqueur Ras Bath, un soutien de Soumaïla Cissé, le gouverneur du district de Bamako a ordonné la fermeture de la radio Renouveau FM. Les forces de l’ordre ont ainsi pris d’assaut le siège du groupe de médias Renouveau le jeudi 2 aout pour fermer la radio. Les libertés publiques sont ainsi aujourd’hui mises à genoux au Mali par le pouvoir avec ses bras armés et sa justice aux ordres. La dernière marche de l’opposition a, dans un premier temps, été interdite au nom de l’état d’urgence par les autorités maliennes et ensuite autorisée.
A la veille de l’élection présidentielle, plus précisément le samedi 2 juin, la marche de l’opposition pour exiger la transparence et la crédibilité du scrutin a été violemment dispersée au motif de l’Etat d’urgence au Mali, en vigueur presque ininterrompu depuis l'attentat jihadiste contre l’hôtel Radisson Blu en novembre 2015. Les forces de sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes et de matraques afin d’empêcher tout rassemblement. Selon un décompte de l’opposition, une trentaine de manifestants ont été blessés et admis au CHU Gabriel Touré lors de cette manifestation avortée.