Le Mali est depuis l’indépendance une République laïque. Au sein de ce pays musulman, membre fondateur de l’Organisation de la conférence islamique, l’islam malékite, traditionnellement modéré et tolérant s’est pourtant transformé ces dernières années, au Nord comme au Sud du pays.
Des experts mettent en avant le fait que l’islam est de plus en plus perçu, en particulier par les « cadets sociaux » ceux qui ne sont pas en responsabilité, comme un recours face à une classe politique décrédibilisée : il y aurait en quelque sorte une « sortie du politique » ou un détournement du religieux à des fins politiques. L’islamisme, qui n’est pas l’islam, se développe ainsi.
Pour le Nord, il apparaît que l’islam radical imposé par les mouvements terroristes est très étranger aux traditions locales.
L’application coutumière, par tribu ou groupe ethnique, de la charia, par les chefs religieux traditionnels (les cadis), n’avait rien de « rigoriste », tant le statut des femmes (traditionnellement non voilées) que les normes de régulation sociale étaient ceux d’une société tolérante et ouverte.
Il ne faut pourtant pas occulter, au sein des sociétés du Nord, la pénétration diffuse d’un islam moins tolérant, depuis une quinzaine d’années, du fait de prédicateurs tabligh venus du Pakistan.
L’islam radical aurait été introduit dans l’Adrar à la fin des années 1990 et au début des années 2000, plus précisément par la secte fondamentaliste Dawa, mouvement Tabligh originaire de la frontière indo-pakistanaise, dont la caractéristique est de mener des actions humanitaires et sociales auprès de populations délaissées. Ce mouvement dont l’objet est l’instauration d’un état théocratique, envoie des missionnaires à des fins de prosélytisme religieux, pour prôner l’application rigoriste de la charia et pour récolter des fonds. Elle aurait financé des stages de formation au Pakistan et le pèlerinage à la Mecque de nombreux Touaregs du Nord-Mali.
Certains estiment qu’elle aurait été présente à partir de 2003 à Kidal, sous la conduite d’Iyad Ag Ghali. La trajectoire personnelle et le « retournement » religieux d’Iyad Ag Ghali témoignent d’ailleurs parfaitement de cette pénétration croissante de l’islam fondamentaliste.
La présence occasionnelle de princes émiratis ou saoudiens au Nord-Mali a pu alimenter toutes sortes de spéculations sur leur rôle éventuel.
Des allégations de presse non confirmées ont fait état de financements, directs ou indirects, de groupes armés par certaines organisations non gouvernementales comme le Croissant rouge qatari, ou Qatar’s charity, en particulier s’agissant du financement de l’hôpital de Gao, lorsqu’il était sous « administration » du MUJAO, ou de l’organisation de convois de médicaments escortés par des groupes armés.
Pour autant qu’on puisse en juger, si beaucoup d’allégations semblent parfois confiner au fantasme, l’action ou l’influence nouvelle de ces acteurs au Nord-Mali révèle sans aucun doute la pénétration d’une forme d’islam jusqu’alors étrangère à l’Afrique sub-saharienne.
Au Sud, l’islam bambara, très majoritairement malékite, est lui aussi travaillé par des forces plus radicales.
La présidence du Haut conseil islamique a été confiée à un « wahhabite », alors que 80 % de la population est malékite. Revendication de longue date, la nomination en août 2012 d’un ministre des affaires religieuses et du culte vient couronner une nette évolution.
Certains chercheurs vont jusqu’à estimer qu’il y avait une convergence, voire un projet politique visant à instaurer au Mali un « état islamique » voire, à négocier avec le mouvement d’Iyad Ag Ghali l’éventuel établissement d’une plate-forme commune entre le Nord et le Sud. Sans aller jusque-là, d’autres constatent que ce n’est sûrement pas un hasard si l’imam Mahmoud Dicko, Président du Haut conseil islamique du Mali (HCIM), s’est rendu à Gao quand la ville était sous le joug des terroristes, où il a rencontré un porte-parole du MUJAO.
La montée en puissance des religieux dans la sphère politique malienne est antérieure à l’offensive terroriste.
Le débat autour du Code des personnes et de la famille sous le régime du président ATT est à l’origine du phénomène. En effet, cette réforme, proposée en 2009, visait à moderniser le statut de la famille, amendait une cinquantaine d’articles de loi, reconnaissait l’égalité entre les hommes et les femmes ou organisait la reconnaissance des enfants nés hors mariage. Elle a été annulée sous l’influence des religieux.
A noter que M. Ousmane Madani Cherif HAÏDARA, vice-président du Haut conseil islamique, chef du mouvement religieux (modéré) Ançar Dine, malékite, l’un des prêcheurs traditionnellement les plus écoutés du Mali, s’est ouvertement opposé à la montée de l’islam radical, au prix d’ailleurs de menaces sur sa propre sécurité.
Le célèbre pêcheur confirme l’existence d’un financement extérieur très actif pour la construction de mosquées, de centres sanitaires et sociaux et de Médersas au Mali ces quinze dernières années.
Certains allèguent que l’Arabie saoudite construirait une mosquée par semaine au Mali ! Sans être à même de vérifier ce chiffre, il est aisé de constater l’impact de la puissance financière et de l’offre de services sanitaires et sociaux sur une société aussi pauvre que le Mali. Il ne faut pas négliger non plus la force d’attraction spirituelle d’une monarchie qui abrite les lieux Saints de l’islam ou le prestige intellectuel de prédicateurs très bien formés, qui se combinent pour permettre la montée en puissance d’un nouveau type d’islam, plus radical que celui traditionnellement pratiqué en Afrique de l’Ouest.
Source : Rapport d’information (Sénat français) avril 2013