Face à la polémique sur une nouvelle forme d’esclavage qui prend des proportions inquiétantes entre certaines familles d’une même communauté soninké vivant jadis en parfaite harmonie en son sein, les habitants de Kainera, un village situé à 7km de la commune rurale de Diancounté Camara, dans le cercle de Diéma, ont précisé à travers une rencontre tenue le 10 septembre 2018, que cette fausse accusation est une stratégie d’un nouveau mouvement dénommé « Gambana » qui n’a d’autre objectif que de créer une autre zone de crise au centre du Mali.
Kainera, ce village Soninké dont la population est estimée à 3000 habitants, est composé d’agriculteurs et d’éleveurs, même si comme beaucoup d’autres villages Soninké, une grande partie de ses fils sont à l’étranger.
Comme tout le monde le sait, notre société est composée de trois classes à l’image de toutes les autres sociétés de l’époque, à savoir les nobles, les hommes de castes et les esclaves. Mais l’arrivée de la colonisation et ensuite l’indépendance ont mis fin à toute forme de royauté, en mettant l’Etat comme seule autorité suprême de tout le territoire qui forme une nation. L’Etat, pour une bonne organisation de la vie en société fondée sur son autorité et sa souveraineté, s’est réservé le monopole de la justice et de la sécurité. Notre état a adopté le principe de la laïcité pour l’épanouissement de sa population qui a une grande considération pour notre tradition, le socle qui fait la grandeur de notre société de par le monde. Une tradition basée essentiellement sur la cohésion sociale, le vivre ensemble, l’entraide, le dialogue et le respect de nos valeurs artisanales et médicinales.
Selon Sema Traoré, un des fils du chef de village, c’est dans ce cadre paisible que vivait la population de Kainera et environs, avant de faire la connaissance de « Gambana », un mouvement né en Mauritanie vers les années 2010. Aux dires de ce dernier, ce mouvement compte des adeptes dans presque toute la sous-région. Aussi, précise-t-il, ledit mouvement infiltre nos pays à travers certains de nos frères qu’il a pu rencontrer en Europe en leur faisant croire qu’ils sont un peuple sous- considéré ou maltraité par un autre et les convainc de se révolter pour se faire respecter. Pour le cas de Kainera, les initiateurs du mouvement sont connus : Dama Sissoko et Tountou Diakité.
Dans un enregistrement audio, ils appellent leurs frères de Kainera d’adhérer au mouvement et de ne plus accepter les soi-disant traditions. « Ils utilisent des termes qui révoltent les uns contre les autres et vont jusqu’à qualifier les notables et religieux du village de Kainera de mécréants qui iront en enfer », a révélé le fils du chef de village. Pour lui, n’eut été l’implication des autorités locales, les villageois allaient combattre les semeurs de troubles, notamment Dama Sissoko et Tountou Diakité et leurs soutiens.
Séma Traoré va loin dans son explication. Il affirme que la pratique culturelle est mise en cause par le mouvement « Gambana » qui la considère comme de l’esclavage. Selon lui, chacune des familles à son rôle à jouer dans cette société. « S’il y a une cérémonie dans une notre famille, ce sont eux ‘’ceux qui pensent qu’ils sont considérés comme esclaves’’ qui doivent travailler, mais quand eux aussi ont une cérémonie, c’est nous qui travaillons dans leur famille. Cela existe il y a longtemps », a déclaré le fils du chef de village de Kainera.
Aussi, ajoute-t-il, hormis ce soutien mutuel, il n’y a rien d’autre dans le village de Kainera qui puisse symboliser une quelconque « exploitation de l’homme par l’homme, encore moins de l’esclavage » précise-t-il avant d’ajouter : « Ces familles qui se croient considérées comme esclaves vivent et ont toujours vécu en parfaite harmonie avec les autres familles dans le village de Kainera et travaillent en toute liberté à leurs propres comptes ».
À le croire, ce problème est juste une mauvaise interprétation de la réalité en vue de déstabiliser cette communauté, laquelle, de son histoire, a toujours été unie et solidaire. Gambana est, selon Sema Traoré, créé dans d’autres contextes pour des problèmes différents et importés chez eux à des fins égoïstes et personnelles. « Si l’Etat ne prend pas ses responsabilités pour trouver une solution concernant ce mouvement, cela risquera d’être pire que les différentes crises que vit notre pays ».
Quant aux responsables des familles concernées dans le village de Kainera, ils disent ne pas se reconnaitre dans ce mouvement de rébellion importé d’ailleurs et dans lequel figurent malheureusement certains de leurs propres enfants. Ils disent haut et fort qu’il n’y a pas d’esclavage à Kainera, mais au contraire une pratique culturelle basée sur l’entraide mutuelle entre toutes les familles de cette communauté. Une entraide dans laquelle la partie que le mouvement qualifie de noble arrive à travailler pour celle qualifiée d’esclave. Un paradoxe, selon eux.
Pour le chef détenteur de cette tradition, Fousseyni Tounkara, le jour où il a été appelé de la France par des enfants pour leur cause, il leur a dit d’enterrer cette lutte qui n’a pas de fondement. Mais les jeunes ne l’ont pas écouté et ont apporté des arguments religieux. Selon lui, si cette pratique culturelle conduit en enfer comme le dit le mouvement « Gambana », lui préfèrera être près de ses ancêtres en enfer puisque c’est d’eux qu’il l’a reçue et n’est pas prêt à les trahir.
Pour Biranté Diawara, un membre de la diaspora ressortissant du village, le mouvement Gambana est une véritable entreprise où les membres cotisent mensuellement pour son fonctionnement et seulement pour déstabiliser leur localité.
Selon lui, on ne peut pas parler d’esclavage dans un village où toutes les communautés peuvent être chef de village. Ce dernier est choisi en fonction de son âge. Pour preuve de cette vie en harmonie, il révèle qu’une de ses filles est même mariée dans une des familles concernées par ce mouvement Gambana.
Quant au maire de commune rurale de Diancounté Camara, Gangara Mady, que nous avons rencontré dans son bureau, il a été très clair en précisant qu’il n’y a aucune forme d’esclavage dans sa commune. Il affirme qu’aussitôt informé de ce problème, il affirme avoir rencontré les familles concernées. Selon lui, le problème, ce sont ceux qui sont à l’étranger car à chaque fois qu’ils rencontrent les familles à Kainera conscientes qu’il n’y a pas d’esclavage, elles changent cependant d’avis. Même quand leurs enfants qui sont à l’étranger les appellent, ces familles ne leur disent peut-être pas la vérité.
Le maire a aussi profité de cet entretien pour préciser qu’il va envoyer le dossier relatif à cette affaire, à la préfecture, aux forces de sécurité et à la justice pour la recherche d’une solution urgente.