Sur la question des droits d’auteur et des droits voisins, la Vieille Europe entend dorénavant se faire respecter. Depuis de nombreuses années, elle se bat à fleurets mouchetés contre les géants du Net (Google, YouTube, Facebook…) qui raflent la mise et oublient superbement de rémunérer les auteurs et créateurs au nom des sacro-saints principes du libéralisme et de la démocratie. La semaine dernière, réunis au Parlement de Strasbourg, les Eurodéputés ont mis un holà à cette injustice en votant une nouvelle directive qui va contraindre les ogres du Net – tous américains - à une contribution financière pour les contenus artistiques et les articles qu'ils utilisent. Pas moins de 703 eurodéputés ont pris part au scrutin et la directive a été adoptée avec 438 votes pour, 226 contre et 39 abstentions.
Sans être un remake de David contre Goliath, le combat est très rude ; représentants du grand capital, activistes, anarchistes, lobbyistes… et institutionnels, artistes et éditeurs de presse ainsi que leurs partisans de tous ordres se battent dans un combat sans merci.
Le vote du mercredi dernier est d’autant plus capital, disent les spécialistes, qu’il « … ouvre ainsi la voie aux négociations avec le Conseil de l'Union européenne (représentant les 28 Etats membres, déjà parvenus à un compromis le 25 mai) et la Commission européenne, afin de s'entendre sur un texte définitif ». L’une des innovations de cette directive est qu’elle crée notamment un nouveau droit voisin pour les éditeurs de presse.
A l’issue du scrutin, le vice-président de la Commission européenne, Andrus Ansip, et la commissaire à l'Economie numérique, Mariya Gabriel, ont laissé éclater leur joie : « C'est un signal fort et positif et une étape essentielle pour achever notre objectif commun de moderniser les règles du droit d'auteur dans l'Union européenne… La Commission est prête à travailler avec le Parlement européen et le Conseil afin que la directive soit approuvée le plus vite possible, idéalement d'ici à la fin de 2018 ».
Cet horizon est crucial puisque les élections européennes sont attendues pour la fin du mois de mai 2019 et l’agenda risque de passer à autre chose. C’est donc une course contre la montre qui s’engage pour boucler cette réforme dont, côté européen, on attend une grosse retombée.
Avant même l’aboutissement du processus législatif, les européens sont tout légers à l’idée de frapper au portefeuille les géants américains de la nouvelle économie : « Le Parlement a pris conscience de la nécessité pour l'Europe de protéger ses créateurs, ses auteurs, la presse contre des intérêts de multinationales qui sont toutes nord-américaines », se réjouit Hervé Rony, directeur général de la Société civile des auteurs multimédias (Scam). Et de renchérir : « Le but de cette réforme était de contraindre les grandes plateformes - Google, Facebook, Youtube... - de partager la valeur. C'est-à-dire qu'à partir du moment où quelqu'un tire des bénéfices des revenus du fait qu'il exploite une œuvre, il doit verser des droits d'auteurs, qui n'est pas un frein à la liberté, au contraire, c'en est une condition de création. »
Côté Exécutif, huit ministres de la Culture (Allemagne, France, Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, Roumanie et Grèce) se sont retroussés les manches pour descendre dans l’arène. La veille de la session des eurodéputés, ils ont signé une tribune commune dans plusieurs journaux du Vieux continent pour soutenir que « Le projet de directive sur le droit d'auteur fait partie intégrante d'une action plus large qui, tout en prenant en compte la révolution numérique et ses avantages importants pour la société, vise à s'assurer que l'Europe soit en mesure de défendre son propre modèle et imposer davantage de responsabilité et de règles équitables aux géants du numérique, malgré le lobbying de ces derniers ». Pour ces ministres, ce n’est ni plus ni moins qu’une question de souveraineté : « Nous ne devrions pas consentir à un monde où une poignée d'entreprises multinationales captent l'essentiel de la valeur générée par les œuvres créées par d'autres dans l'environnement numérique ».
Quid des artistes, médias et éditeurs de presse ? Ils sont tous vent débout et demandent « à être rémunérés par les agrégateurs d'information comme Google News, un paiement qui prend le nom de "droit voisin" ». Et on peut bien les comprendre et, mieux, les soutenir. Sammy Ketz, grand reporter de l'AFP, soutient : « La seule chose que nous demandons, c'est qu'ils nous paient pour qu'on puisse continuer à développer l'information ». Fin août dernier, à propos de la question du droit d’auteur, il a écrit une tribune intitulée "Une question de vie ou de mort" signée par une centaine de journalistes européens.
Et l’Afrique dans tout ça ! Elle est consciente des enjeux et des défis que lui pose la défense des droits d’auteur et droits voisins. Mais a-t-elle seulement les moyens de se défendre ? Malgré l’existence de bureaux de droits d’auteurs dans chaque pays, de l’OAPI (Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle), l’instauration d’une journée africaine du droit d’auteur et de la gestion collective…, elle préfère adopter l’attitude du chameau.
En cela, elle est suivie inconsciemment ou non par les auteurs, créateurs et éditeurs eux-mêmes qui ne semblent pas toujours conscients des droits - et donc de revenus - dont ils sont floués. En tant qu’artistes, auteurs-compositeurs, nous sommes heureux que nos œuvres soient interprétées publiquement à longueur de journée par les médias audiovisuels sans encaisser le moindre centime. De la même façon, nous jubilons à l’idée que nos articles soient publiés en bonne place sur Maliweb, Malijet ou autres portails d’information qui, de ce fait, mettent du beurre dans leurs épinards à notre détriment.
Ainsi vont les droits d’auteur de par le monde et particulièrement en Afrique où des malins s’en mettent plein les poches et réduisent les autres à la survie… voire à la disparition.