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Gouvernance au Mali : Sortir la démocratie du placard !
Publié le lundi 24 septembre 2018  |  L’aube
Rentrée
© aBamako.com par Momo
Rentrée politique du PARENA
Bamako, le 20 février 2016 le PARENA a tenu sa rentrée politique 2016 au Palais de la culture
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« Tous les prophètes armés ont triomphé et… les prophètes sans armes succombèrent… » Machiavel (Le Prince).



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La formule mathématique bien connue, « le tout est inférieur à la somme des parties » n’a jamais été aussi vraie que dans l’analyse de l’État du Mali.

Pendant cinq ans, le Mali a vécu sous l’emprise d’une gouvernance stérilisante et dévastatrice entretenue par une prédation et une gabegie qui manipulent les opinions au service de la construction du destin singulier d’une famille.

Assiégé, voire séquestré, le pays est menacé dans son existence. L’élection présidentielle 2018, a fini de convaincre tous les observateurs que la démocratie dont nous nous gargarisons ne reste qu’un mirage. Nous sommes en panne sèche de démocratie au triple plan politique, social et économique.

C’est dire que les moments que traverse le Mali marquent une étape cruciale de son devenir. Le pays se trouve dépourvu de capacité de gestion de la crise multiforme, et surtout de capacité d’adaptation à la dynamique des réalités locales, nationales et internationales.

L’État quant à lui est littéralement fondu dans des appareils sans âmes, sans règles contraignantes pour leurs serviteurs. La société civile classique globalement capturée, est réduite au sort d’une abstraction décorative pour des intérêts et comportements particuliers, et peine à s’affranchir des appareils. Elle ne dispose que d’un réflexe d’acquiescement des politiques de braquage du pays de toutes sortes.

Et lorsqu’elle est encore dans la résistance pour le maintien de ses objectifs, elle ne réagit aux crises que par l’émeute, face aux atrocités, brutalités et autres violence symboliques commises à son égard.

Dans ce contexte, jusque-là, la culture régnante, a été celle du tabou qui inhibe toute initiative susceptible de déranger les habitudes. Celle-ci s’est érigée en code de bonne conduite, transformée qu’elle est en une puissante opération falsificatrice en stabilité politique et destinée à être protégée contre toutes idées nouvelles de progrès social. Le credo du Mali officiel est d’éviter de perturber la routine qui nourrit la caste régnante.

Les moyens déployés aujourd’hui par ce système pour le maintien d’un pouvoir omniprésent, pendant que l’État s’efface chaque jour un peu plus, ne peuvent qu’évoluer vers la force brutale avec ses formes de manipulations les plus complexes. En attendant, le système asservit la société civile et promeut des organisations archaïques. Il proscrit toute évolution démocratique, c’est ainsi que même l’ordre public est confondu avec l’ordre politique, rien ne doit se décider, encore moins se faire sans un accord préalable, voire son appui. Il opère par le rétrécissement des espaces publics de débats et par la prolongation de l’état d’urgence pour bâillonner l’expression publique de la société. Les débats contradictoires revêtent à ses yeux un statut subversif, car ils sont suspectés de dévoiler les errances de la gouvernance et coupables de proposer une alternative crédible et réalisable.

Pire, il s’allie aujourd’hui à la rébellion contre le pays pour neutraliser ou contrarier toute évolution démocratique dans les régions concernées au motif de l’application d’un accord qui divise plus qu’il ne rassemble parce que manquant de réflexion interne autonome. Un accord qui n’est au mieux qu’un soulagement pour des pays étrangers frappés par le terrorisme, mais qui, en voulant reformer le Mali sous le prisme d’une préoccupation extérieure va détruire les structures sociales, les ressources humaines, somme toute les populations largement fragilisées du reste du Mali.

L’instrumentalisation d’une violence contrôlée dans les régions du Nord et du Centre a été destinée à l’endiguement de l’esprit frondeur des populations de Gao et Tombouctou et a permis la dispersion, puis l’empêchement de l’électorat peulh, face à un pouvoir qui a perdu pied dans le pays.

A présent, la répression et la violence contre les droits et libertés publiques lui sont assimilables au rétablissement de l’autorité de l’Etat. Il instrumentalise les difficultés de cohabitation saisonnière pour créer un réflexe d’autodéfense qui va bien au-delà du Nord et du Centre, piégeant ainsi les sociétés et le pays entier dans une ornière identitaire et meurtrière.

Les scandales touchant les affaires publiques sont banalisés. La corruption et les malversations qui portent un énorme préjudice aux moyens et à la crédibilité du pays, sont vite ensevelies. Il édifie une caste d’affairistes et de rentiers politiques et ethniques à nulle autre pareille.

Tel est le contexte politique et culturel, économique et social dans lequel, le système clanique détruit les bases matérielles acquises dans le pays depuis des décennies. Toutes nos infrastructures routières pour ne citer que celles-là sont victimes de la gabegie et de la prévarication des cinq dernières années. L’électricité et l’eau deviennent de denrées rares au moment où la tendance est dans la sous-région à l’amélioration de ces services élémentaires.

En somme, les politiques menées forgent un immense déficit de confiance des populations et ont engagé la nation dans une impasse aux conséquences redoutables. Face à la situation, il faut repenser la stratégie nationale pour sortir le Mali de l’impasse.

Tous les indicateurs sont au rouge, que ce soit sur les plans politique, sécuritaire, économique ou social. Il se trouve que des forces cherchent à enfoncer davantage le clou afin de provoquer un meilleur balisage pour un chaos irréversible.

Par la sagesse des acteurs politiques de l’opposition, le chaos n’est pas sorti des urnes en 2018. Tel aurait été le cas, que personne au Mali et en Afrique n’en serait étonné, tant le niveau de dégradation politique de notre pays autorisait à envisager de sombres perspectives pour la démocratie.

Le Chaos stratégique avait été soigneusement balisé contre alternance pacifique, mais de toute évidence, pour les patriotes, le Mali doit désormais se reconstruire par les idées, avant les hommes, les égos.

Dans cette perspective, il faut éviter que Kidal ne ruine le reste du Mali. Cette région de Kidal restera pour longtemps notre Corse, n’abîmons pas davantage notre pays pour Kidal, laissons la faire de la résistance, mais donnons-nous les moyens de rebâtir un Etat fort, juste et propre pour l’ensemble du Mali. La région de Kidal aura à effectuer ses travaux d’hercule.

Il faut avoir à l’idée que dans un pays où l’identification ethnique est le plus souvent artificielle, l’émergence des porte-parole ethniques entretenus depuis le palais, est un encouragement aux minorités, à toutes les minorités à se voir comme victimes et de vivre d’alibi, ce qui est la plus grave culture tribale et patrimoniale.

Il a été déjà souligné dans cette chronique, pourquoi la rébellion Touareg est aussi une rébellion contre la démocratie. L’éveil social que la démocratie a introduit dans le corpus social, modifie les rapports sociaux. L’esclavage en milieu touareg est de plus en plus dénoncé. Le temps fera son œuvre …

Ce progrès social prend les couleurs de mutations subversives qui contrarient les plans de carrière des potentats établis. Ce faisant, il favorise l’émergence d’une dynamique nationale par l’intégration de cadres dits d’origine inférieure dans la communauté nationale.

Ces émergences subversives visibles dans toutes nos sociétés sont très mal vécues dans certaines communautés. N’en déplaise aux porte-parole ethniques la crise actuelle est aussi une lutte entre le progrès social et l’obscurantisme, entre l’intégration nationale et le repli identitaire conduit par des artisans des « identités meurtrières ».

Mais, en face, la réponse n’est pas dans une régionalisation escamotée ou mal définie qui conduira à des conflits tribaux aux conséquences dramatiques.

Certes, le problème de toutes les démocraties a été la gestion des minorités, mais il est tout aussi inacceptable que 2% de la population quelle qu’elle soit, hypothèque la vie d’une nation. Il est encore intolérable que 2% de la population détruise toute perspective de développement d’un pays y compris les régions dans lesquelles celle-ci évolue. Il convient de sortir de la spirale d’appauvrissement collectif savamment entretenu par les rentiers de tous acabits.

Il est temps que l’Etat retourne aux autres régions du pays. Pour ce faire, il faut enclencher des initiatives publiques de développement de toutes les autres régions avec un accent particulier sur celles nouvellement érigées qui pourraient être dotées d’un « Fonds Spécial de développement » qui aura pour objectif de conjurer les révoltes et les menaces qui pointent à l’horizon.

Ces programmes devront être axés sur les infrastructures routières en particulier (les pistes améliorées de production), l’amplification de la politique d’aménagement des basfonds, l’électrification et l’hydraulique, la Formation de la Ressource humaine dont la spécialisation des écoles de formation et des universités seront des composantes prioritaires.

Cependant, les mesures d’ordre économiques et social ne suffiront pas à enrayer la dislocation rampante qui menace le pays. Le pouvoir en place a abimé le Mali, il urge de garder toute la lucidité nécessaire pour faire face à la situation.

Pendant cinq ans, il a manqué au Mali la mémoire nationale et l’intelligence collective dans la gestion de la présente crise, les querelles de personnes volontairement imprimées au débat national par le Pouvoir en place, ont primé sur les valeurs et les principes. Une démarche appuyée d’une volonté farouche qui visait à mettre toute opposition en conserve. Il nous faut au plus vite aller vers la construction de cette intelligence collective tout aussi nécessaire à notre survie en tant que nation. Cette perspective n’est pas liée à un pouvoir, mais à une dynamique nationale.

C’est pourquoi, il est impératif d’opérer en soutien pour garantir les mesures économiques susmentionnées, des changements dans l’organisation territoriale et institutionnelle. Ce changement doit s’inscrire pleinement dans l’optique d’une démocratisation réelle de la vie politique nationale, car le blocage réside fondamentalement dans l’essence même du système de pouvoir en place.

Certes, la régionalisation est sur toutes les lèvres, mais personne n’a encore défini le contenu réel de cette régionalisation. La question de l’autonomie des régions comme alternative démocratique au système de pouvoir est donc posée. Pourquoi devrait-on passer sous silence la question du système fédéral ? Devrions-nous continuer à faire jouer à l’autonomie le rôle de repoussoir au motif qu’une autonomisation des régions mènerait à la décomposition territoriale et la désagrégation de l’unité nationale ?

Personne de sensé ne peut se suffire d’affirmations sur ce point et proclamer la sentence. Alors, il est temps que nous nous posons de questions sérieuses, voire déchirantes.

Le Mali a un fort besoin de réorganisation de l’Etat. Face à la faillite de l’Etat, le pays accumule un retard considérable en matière d’organisation politique pour édifier projet national viable et durable. La crise du Mali réside dans son «Etat».

Cet Etat a été conçu et organisé loin de son âme et il n’a trouvé ni vie ni sens parce qu’on n’a jamais pensé sérieusement à greffer son âme dans son corps : la culture du consensus. Les solutions approximatives et les décisions préparées dans des cercles fermés comme de «boîte noire», loin du peuple, condamnent le pays et bloquent les dynamiques sociales et politiques. C’est dire qu’on ne change pas une société bloquée par décret ou par un « accord politique » à sens unique.

Le Mali doit prendre son destin en main. L’urgence est à la construction de cette intelligence collective pour mieux aborder notre devenir immédiat qui est à l’instauration d’une république crédible parce que solidaire et exemplaire. Cela suppose que nous sortions de la logique d’une république en éclats pour réhabiliter un Etat défaillant marchant allègrement sur les pas d’un Etat voyou.

Dans cette perspective, il serait mal venu de croire que la réflexion sur l’autonomie des régions, ferait la part belle aux revendications autonomistes des rebelles touareg. Tout le monde convient que la question de la prétendue Azawad est une imposture, un pari dangereux sur l’unité nationale.

Autant que la rébellion soutenue de l’extérieur et de l’intérieur a déstabilisé l’ensemble du pays, il s’agit ici et maintenant de mener un authentique travail de réflexion sur la survie de notre pays.

Dans cette réflexion collective, il n’y a aucune volonté politique ou sociale d’attenter à l’intégrité du territoire ou à l’unité de la nation. Elle représente exactement le contraire face aux dérives d’un pouvoir qui mènent à l’implosion à plus ou moins brève échéance. Elle vise à prémunir la nation d’un effritement sournois et graduel.

L’autonomie des régions devait s’articuler autour d’une répartition démocratique et équitable des responsabilités politiques régionales et nationales et d’une gestion efficace de toutes les ressources nationales. Dans tous les cas il s’agit d’amener à la capitulation du système de pouvoir qui régit le pays.

Le système actuel n’a rien à gagner, et probablement une certaine classe politique de pacotille aussi, mais le Mali pourrait retrouver les leviers d’un nouvel élan.

Sa réalisation sera énergiquement contrariée par des intérêts claniques qui se paveront comme à l’accoutumée des habits immaculés du patriotisme, mais il ne fait aucune doute qu’il urge de sortir du schéma institutionnel et de gouvernance actuels.

Souleymane Koné

Ancien Ambassadeur

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