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Mamadou Ismaël Konaté, ex-ministre de la justice : “L’état dans lequel les juges travaillent est déplorable”
Publié le mercredi 3 octobre 2018  |  La lettre du Mali
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© aBamako.com par Momo
Conférence de presse de L`avocat Me Mamadou Konate sur l’Affaire Birama Touré
Bamako, le 04 mars 2016 L`avocat du dossier Me Mamadou Konate et le président du comité de soutien Kassim Traoré étaient devant la presse
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Depuis son départ du gouvernement, l’ancien ministre de la Justice, avocat de son état, Mamadou Ismaël Konaté, ne se prive pas de donner son point de vue sur certains sujets de la vie de la nation. Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, l’ex-garde des Sceaux nous parle de la grève illimitée des magistrats, la retenue de salaire, des assesseurs pour remplacer les magistrats grévistes et l’affaire de plus de 3 milliards de F CFA disparus dans les couloirs de l’hôtel de finance. Interview. Quelle lecture faites-vous du bras de fer entre les magistrats et le gouvernement ?



Je pense que ce bras de fer n’a pas sa raison d’être pour la simple raison que les syndicats des magistrats ne peuvent pas être dans une situation de difficultés de ce niveau avec le gouvernement. Ce que je sais de cette situation, c’est moi-même, j’ai pris mes fonctions le 7 juillet 2016, alors que le syndicat des magistrats, le syndicat de pénitentiaires, les syndicats des travailleurs de l’administration de justice étaient tous en grève. Ils avaient déposé un préavis de grève, j’ai dû les rencontrer après cette semaine pour engager des discussions avec eux.

Dès que j’ai trouvé des bases de discussion avec eux, j’ai pris le soin justement d’adresser au gouvernement un communiqué verbal qui lui a permis de me donner des indications très précises et ces discussions ont eu lieu non seulement en présence de l’ensemble des ministres, mais aussi en présence du président de la République et du Premier ministre. Et tous les deux (le président de la République et le Premier ministre) ont eu des discussions très approfondies et le président de la République m’a fait part de ses instructions, de ses conseils et m’a demandé d’aller voir la mise en œuvre avec le Premier ministre.

Les discussions ont eu lieu en présence également du ministre de la Fonction publique et du ministre des Finances. L’ensemble des engagements qui sont revendiqués aujourd’hui par les syndicats des magistrats sont des engagements auxquels le gouvernement a pris part. Nous nous sommes engagés à revoir le statut de la magistrature, nous nous sommes engagés à revoir le statut de la Cour suprême, nous nous sommes engagés à revoir le plan de carrière de la magistrature, nous nous sommes engagés à revoir la rémunération des conditions de travail des magistrats, nous nous sommes engagés à revoir beaucoup de choses qui ont fait l’objet d’une convention qui ont été signées au-delà du ministère de la Justice par bien d’autres ministres.

Cet engagement n’a pas été pris par le seul ministre de la Justice, il a été pris par l’ensemble des membres du gouvernement sous la couverture du Premier ministre et du président de la République. C’est pour ça qu’il n’y a pas de raison qu’on puisse revenir sur ces engagements, d’autant plus que ces engagements ont été prévus dans un agenda qui nous amène jusqu’en 2019. C’est pour ça que je comprends l’attitude aujourd’hui des syndicats des magistrats, je comprends la situation qui est là leur, je comprends aussi qu’ils revendiquent bec et ongle ces engagements qui ont été conclus.

Il est difficile de penser qu’un pays, une nation peut se passer d’une justice pendant deux mois. C’est une situation qui est tellement déplorable que beaucoup de gens se retrouvent à des situations d’arrestation, de garde à vue ou en détention préventive dans des commissariats de police, dans des conditions impossibles. J’ai entendu encore ce matin le président de la Commission nationale des droits de l’Homme, le juge Malick Coulibaly, se plaindre de la situation.

A ce niveau, le gouvernement doit être suffisamment conscient que l’Etat de droit, c’est lui, la démocratie, c’est lui, les libertés, c’est lui et la sauvegarde de ces libertés c’est encore lui. Il y a quelque chose qu’il ne faut pas confondre c’est-à-dire la situation personnelle des juges n’a absolument rien à avoir avec la situation qu’ils revendiquent en tant que corporation. S’en prendre aux juges aujourd’hui, mettre leurs qualités en cause et leur intégrité et refuser de valider les engagements qui ont déjà été pris, il y a un souci à ce niveau-là.

Le gouvernement ne peut pas rester dans cette attitude sans amorcer un vrai dialogue avec les syndicats des magistrats qui ne demandent que des choses de base. Quand vous regardez aujourd’hui la situation des magistrats maliens, c’est une situation qui est aux antipodes de ce que l’on peut voir en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Niger pour ne prendre que des pays équivalents à ce niveau. Au niveau du salaire, le Burkinabé gagne quatre fois plus que le Malien, le Sénégalais gagne cinq fois plus que le Malien, l’Ivoirien la même chose. Or, on ne peut pas dire qu’aujourd’hui il y a une grande disparité entre le Mali et ces pays-là.

La situation du magistrat aujourd’hui doit nous permettre de prendre suffisamment conscience. L’état dans lequel ils travaillent est déplorable, la rémunération est indécente, les conditions dans lesquelles la carrière d’un magistrat est gérée sont des conditions inacceptables. On ne peut pas laisser aujourd’hui des magistrats dans des conditions de végétation sans prendre conscience qu’ils sont essentiels et utiles pour la construction d’un Etat de droit. Pour être exigeant vis-à-vis des magistrats, on ne peut l’être qu’en ayant rempli des conditions qui sont les leurs. Et les conditions qui sont les leurs sont des conditions de travail, des conditions de rémunération, des conditions de gestion de leurs carrières.

Je vous donne juste un exemple aujourd’hui, des magistrats de gauche qui sont souvent exposés à des situations d’insécurité absolue, ils ne sont même pas gardés ni chez eux ni au bureau. Et vous savez qu’un magistrat a fait l’objet d’un enlèvement et jusqu’à présent on ne connaît pas son sort. Voilà des situations qui doivent amener à prendre conscience d’une situation pour trouver des solutions pour permettre à un Etat de préserver la notion d’Etat de droit et de démocratie.

Je peux comprendre que tout ne soit pas possible pour un gouvernement immédiatement, ce qui est le plus important c’est la bonne volonté du gouvernement qui doit être systématiquement affichée pour affirmer aujourd’hui l’adhésion à un Etat de droit, pour affirmer son engagement vis-à-vis de la justice et pour exprimer une volonté claire et nette d’être là pour la justice et les juges.

Pensez-vous que la retenue des salaires par le gouvernement va apaiser la situation ?

Je ne suis pas sûr, même s’il faut rappeler que la retenue sur salaires des grévistes est un droit. Ils doivent savoir qu’on n’a un salaire que lorsqu’on a travaillé. C’est un droit d’aller en grève mais c’est aussi en contrepartie la retenue de ce salaire pour le gouvernement est un droit à ce niveau. Sauf que des mesures comme celles-ci peuvent radicaliser les positions, ce sont des mesures dont on n’a point besoin aujourd’hui. Je pense que c’est une situation qui est très difficile et qui est rapide. Il faut que des médiateurs soient désignés le plus rapidement possible qui puissent faire le lien entre le gouvernement et les syndicats de manière à ce que le dialogue soit pris, de manière que des mesures soient prises de part et d’autre, de manière à ce aujourd’hui la volonté et du gouvernement et des syndicats de magistrats puisse bâtir un Etat de droit, un cadre de justice qui soit acceptable.

Quand vous étiez à la tête du département, vous proposiez la mise en place des auxiliaires de justice pour remplacer les grévistes. Vous pensez aujourd’hui que c’est la solution ?

Ce n’est pas la solution, tout comme la solution, c’est n’est pas la retenue sur le salaire même si cela est un droit à ce niveau. Je pense tout simplement qu’aujourd’hui il faut reprendre le dialogue avec le syndicat des magistrats, il faut encore les écouter davantage, il faut échanger avec eux pour leur ouvrir des perspectives qui puissent les mettre en situation de confiance.

Rien ne vaut d’envenimer cette situation, un pays sans droit, sans justice, sans juge est un pays qui est sans contrôle et ça ne peut pas continuer. Bien évidemment, dans des situations où on peut rien on n’est obligé de prendre des mesures à ce niveau-là. C’est pour ça que, moi j’avais envisagé de prendre des auxiliaires qui puissent remplacer les juges mais ce n’est jamais pour longtemps, vous savez pour remplacer un juge même le remplaçant d’un juge n’est toujours pas le juge. Il faut tout faire pour que la relation de confiance soit rétablie, elle était établie de mon temps et il n’y a pas de raison qu’elle ne soit rétablie aujourd’hui.

M. le ministre après votre passage au ministère de la Justice, quels sont vos regrets aujourd’hui ?

Le regret c’est qu’on soit encore loin de l’Etat de droit, le regret c’est qu’on soit encore loin d’une justice indépendante, le regret est qu’on soit encore incapable de préserver le bien public et l’intérêt public. Juste un exemple, l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite a été installé ici de très haute lutte, quand on voit ce que devient l’Oclei dans le cadre de la lutte contre la corruption, le président n’avait cesser de rappeler à tout-va qu’il va mener une lutte farouche contre la corruption, cette lutte farouche s’est traduite par des mois de grèves des magistrats, par la suspension des activités de l’Oclei, et désormais l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite, une autorité indépendante, est désormais rattaché à un ministre.

Plus de 3 milliards de F CFA auraient disparu entre les couloirs de l’hôtel des finances selon les magistrats grévistes, quel est votre commentaire ?

C’est la rumeur et une rumeur est trop difficile à commenter. La rumeur ne vous donne pas assez d’occasion d’avoir une idée de ce qui est dit ou qui n’est pas dit et c’est des choses qu’on ne peut pas analyser. Or aujourd’hui il faut être extrêmement prudent dans ce pays-là, seulement il ne faut pas taire les situations qui doivent être connues du grand public pour ça il faut savoir la réalité.

Seyni Touré

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