Alors que la réélection d’IBK pour un second mandat est toujours contestée par les partis politiques de l’opposition, une nouvelle crise institutionnelle menace le Mali. Retour sur les conséquences d’une (autre) crise mal gérée : celle qui oppose les magistrats du pays à l’exécutif depuis 2017.
Depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle, l’URD (Union pour la République et la Démocratie), principal parti politique de l’opposition et ses alliés multiplient les manifestations dans les rues, dénonçant les conditions de la réélection d’IBK. La dernière marche, organisée le 21 septembre 2018, a été violemment réprimée. Une dizaine de manifestants a été arrêtée par les forces de sécurité. Cependant, et contre toutes apparences, ce n’est pas de la contestation de la légalité du deuxième tour des élections présidentielles que se nourrit ce qui risque de devenir une véritable crise postélectorale pour le Mali. Alors que le Mali devrait assister au début de la campagne législative dans tous les cercles du pays, un vieux conflit social opposant les magistrats au gouvernement met la tenue du scrutin entre parenthèses. Pas de quoi à s’inquiéter ? Et pourtant, lisez plutôt.
La crise entre le pouvoir législatif et le judiciaire et les risques d’un enlisement
C’est à la veille du scrutin présidentiel que les deux organisations syndicales des magistrats du Mali, le SAM (Syndicat Autonome de la Magistrature) et le SYLIMA (Syndicat Libre de la Magistrature) ont déclenché une grève initialement prévue pour quelques jours seulement. Mais sans réponse de leur ministre de tutelle, les syndicats ont voté un arrêt de travail pour une durée illimitée jusqu’à la satisfaction totale de leurs doléances. Et c’est là que l’affaire se complique.
Dans un premier temps, et par rétorsion semble-t-il, le gouvernement durcit le ton par la voix du Ministre de l’Economie et des Finances qui, dans une lettre adressée au directeur des finances et du matériel du ministère de la justice, ainsi qu’aux directeurs régionaux du budget et celui de Bamako, ordonne que le salaire des grévistes ne soit pas versé.
Dans un second temps, les syndicats de la magistrature révèlent que le conflit porte sur un arbitrage budgétaire qui a rompu un accord de fin de conflit qui prévoyait, en 2017 une augmentation du traitement des magistrats du Mali et l’amélioration des conditions sécuritaires dans les juridictions. C’est la décision du Ministre de l’Economie et des Finances de ne pas affecter cette somme aux magistrats, mettant en avant des obligations d’économies, qui a mis le feu aux poudres.
Alors que le Ministre des Finances hausse le ton, les syndicats de la magistrature, dans un communiqué conjoint du 24 septembre 2018, annoncent qu’ils n’en resteront pas là. Dans le même communiqué, les syndicats des magistrats révèlent la disparition de trois milliards et demi de franc CFA de fonds public dans les caisses de l’Etat et exigent des explications du gouvernement. En conclusion, les deux syndicats rendent explicite leur intention de ne pas en rester là et de révéler d’autres scandales financiers si besoin est.
Le tempo de la crise entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif est donné. Les rapports entre ces deux pouvoirs, ne s’étaient jamais aussi détérioré depuis l’avènement de la démocratie au Mali. Ce qui était à l’origine un conflit social devient une crise institutionnelle puisque dans le même moment les échéances électorales doivent être tenues et exigent le bon fonctionnement des différents pouvoirs. Seul le président semble alors à même d’arbitrer le conflit. Et pourtant, ce n’est pas si simple.
Sans magistrats, il n’y aura pas d’élections législatives
Au Mali, depuis la crise, l’organisation des élections, qu’elles aient été à l’échelon communal (en 2016) voire présidentiel (comme en 2018), pose une véritable difficulté à l’exécutif tant les troubles sécuritaires alimentent l’incertitude quant à la bonne tenue des scrutins. Pour les législatives de l’automne, le gouvernement, après avoir déjà repoussé l’organisation du vote, vient de convoquer le collège électoral pour le 28 novembre 2018. Et pourtant, au risque sécuritaire et logistique vient s’ajouter, par le biais d’un mouvement social très mal géré par le gouvernement, un risque juridique : en effet, la grève des syndicats des magistrats bloque la constitution des dossiers de candidature pour l’élections des députés à l’Assemblée Nationale. La loi portant code électoral au Mali exige dans son article 68 nouveau « Les déclarations de candidatures pour toutes les élections doivent être accompagné du bulletin n°3 du casier judiciaire datant de trois mois au plus ». Sans déblocage rapide, il n’y aura tout simplement pas d’élection possible. Le temps presse pour éviter une crise démocratique majeure, ce qui nous amène à un deuxième point.
Le refus de proroger le mandat des députés
Celui-ci touche à l’arrivée à son terme du mandat de la législature actuelle, puisque hors mandat celle-ci ne peut plus, constitutionnellement, prendre d’acte législatif. Le pays se retrouverait donc bloqué, et l’équilibre des pouvoirs sérieusement ébranlé.
Dans une demande d’avis du 10 septembre 2018, le gouvernement a demandé à la cour constitutionnelle, de proroger le mandat des députés. A l’appui de sa demande, le gouvernement évoque la nécessité de la relecture de la loi portant création des collectivités territoriales au Mali d’une part, d’autre part, la relecture de la loi portant organisation territoriale au Mali, et enfin la relecture de la loi organique portant, nombre, conditions d’éligibilité, le régime d’inéligibilité et indemnités des députés à l’Assemblée Nationale. Dans sa demande, le gouvernement semble soigneusement éviter d’évoquer au juge constitutionnel, le conflit social qui l’oppose au pouvoir judiciaire. Dans son avis du 12 septembre 2018, le juge constitutionnel a procédé à un revirement spectaculaire de sa jurisprudence. En effet, en 2012, le juge constitutionnel malien s’était fondé, en l’absence d’une disposition législative ou constitutionnelle, sur l’accord-cadre de mise en œuvre de l’engagement solennel du 1er avril 2012, signé entre la CEDEAO et le CNRDRE (Comité National pour le Redressement de la Démocratie et la restauration de l’Etat), la junte au pouvoir à l’époque, pour proroger le mandant des députés. Or, dans son avis du 12 septembre 2018, le juge constitutionnel refuse de proroger le mandat des députés. Le pouvoir est donc acculé à trouver une sortie de crise rapide (et durable peut-on souhaiter) à la tenue des élections législatives. A ce stade, il reste deux options au gouvernement pour mettre cette situation au clair. La première solution consisterait, pour le gouvernement, à décider d’organiser les élections avec toutes les conséquences juridiques notamment le risque d’invalidation du scrutin par le juge constitutionnel. La seconde serait de voir le gouvernement décider, d’ignorer l’avis de la Cour Constitutionnelle, lui permettant alors d’adopter un projet de loi portant prorogation du mandat des députés. Il faut rappeler qu’un avis du juge constitutionnel n’a pas la même force juridique qu’un arrêt.
Il apparait donc qu’une fois encore, le traitement des conflits constitue bien la racine d’un mal endémique. Comment est-il imaginable d’en arriver à la menace d’une crise constitutionnelle pour n’avoir pas tenu un engagement prévu dans le cadre d’un (supposé) règlement d’une crise liée au traitement des magistrats ? Devrait-on avoir à pointer du doigt, encore, le fait que les règlements de conflits, de quelque nature qu’ils soient, ne peuvent déboucher sur une résolution durable qu’à la condition de restaurer la confiance entre les parties en établissant clairement les engagements de chacun et les conditions d’une mise en œuvre effective des solutions négociées ?
Florent Blanc docteur en science politique
Oumar BERTE politologue et doctorant en droit public