Depuis le 25 juillet 2018, les deux syndicats de la magistrature au Mali (le Syndicat autonome de la magistrature (SAM) et le Syndicat libre de la magistrature (SYLIMA)) sont en grève illimitée sur toute l’étendue du territoire national. Furieux de cette grève illimitée des magistrats, le gouvernement a pris un décret le 9 octobre 2018 pour réquisitionner les magistrats grévistes. La riposte des magistrats ne se fera pas attendre, car, ils ont tenu hier, mercredi 10 octobre 2018, une assemblée générale extraordinaire à la Cour d’appel de Bamako pour inviter les magistrats requis, à refuser de se soumettre à la décision du Gouvernement de la République du Mali. Selon les grévistes, le décret de réquisition des magistrats pris par le gouvernement est illégal. Lors de leur assemblée générale, les Magistrats ont adopté une Résolution dans laquelle, ils exigent la démission du premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, les ministres Tiéna Coulibaly et Racky Talla et la démission du président de la Cour suprême du Mali, Nouhoum Tapily pour forfaiture.
Hier, dans la matinée, la salle d’audience de la Cour d’appel de Bamako était pleine à craquer. Et pour cause, les magistrats en grève illimitée tenaient leur assemblée générale extraordinaire pour adopter une Résolution en 7 points. Une assemblée générale extraordinaire électrique à l’allure d’une marche. Parmi les slogans, on retient : « Non à la réquisition », « Réquisition : Antè Abana ». On notait la présence des présidents du SAM, Aliou Badra Nanacassé, du SYLIMA, Hady Macky Sall, des membres du conseil supérieur de la magistrature, des procureurs généraux, des présidents des tribunaux, bref, de l’ensemble des membres de la famille judiciaire. Dans le décret du gouvernement datant du 09 octobre 2018, les personnes concernées par la réquisition sont entre autres : Les Premiers Présidents, Présidents de Chambre et deux Conseillers des Cours d'Appel ; Les Procureurs Généraux et Avocats Généraux de la Cour Suprême et des Cours d'Appel ; Le Président, Vice-président des Tribunaux de Grande Instance, des Tribunaux d'Instance, des Tribunaux du Travail, des Tribunaux de Commerce, des Tribunaux Administratifs, des Tribunaux pour Enfants et des Juges de Paix à Compétence Etendue ; Les Procureurs de la République et tout autre magistrat réquisitionné par les soins des chefs de juridiction, des procureurs généraux et des procureurs de la République. Or, les magistrats refusent d’être réquisitionnés, en témoigne cette Résolution. « L’Assemblée Générale Extraordinaire invite les magistrats requis, à refuser de se soumettre à la décision illégale du Gouvernement de la République du Mali tendant à cette fin ; Elle engage les Syndicats de Magistrats à saisir l’Organisation Internationale du Travail (OIT), face aux atteintes graves et intolérables, par le Gouvernement de la République du Mali, à l’exercice de la liberté syndicale et au droit de grève ; Elle engage de même les deux syndicats à saisir les instances juridictionnelles nationales et internationales pour : Récuser le Président de la Cour Suprême du Mali dans la conduite des procédures à venir qui opposeront les syndicats de magistrats au Gouvernement de la République ; Surseoir à l’exécution du Décret illégal du Gouvernement de la République tendant à réquisitionner les magistrats ; Poursuivre l’annulation dudit Décret », c’est en substance ce qui ressort de la Résolution adoptée par acclamation par les magistrats. En outre, l’Assemblée générale exige la démission de Soumeylou Boubèye MAIGA, Tiénan COULIBALY et Mme DIARRA Racky TALLA de leurs fonctions respectivement de Premier ministre, de Ministre de la Justice et de Ministre de la Fonction Publique et de porter plainte contre eux pour haute trahison et pour complot contre la sûreté de l’Etat conformément aux dispositions de l’article 95 de la Constitution du Mali du 25 février1992). L’Assemblée générale exige la démission de Nouhoum Tapily de ses fonctions de Président de la Cour Suprême et engage les syndicats à porter plainte contre lui pour forfaiture et violation de son serment. « Elle constate le silence de Monsieur le Président de la République, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature, Garant Constitutionnel de l’indépendance de la Magistrature, face aux graves atteintes par les membres du Gouvernement susnommés à l’indépendance du Pouvoir Judiciaire. Elle décide enfin du maintien du mot d’ordre de grève jusqu’à l’aboutissement des revendications légitimes de la corporation », conclu la Résolution.
« On ne va pas se laisser faire »
Bien avant l’adoption de cette Résolution, une déclaration conjointe SAM-SYLIMA en date du 10 octobre 2018 avait été lue par le secrétaire administratif du SYLIMA, Diakaridia Bagayoko. Dans cette déclaration, le Syndicat Autonome de la Magistrature (SAM) et le Syndicat Libre de la Magistrature (SYLIMA) prennent à témoin l'opinion publique nationale et internationale, le Peuple souverain du Mali, les Forces Démocratiques de la République du Mali, les Organismes nationaux et internationaux de défense des Droits de l'Homme, les Centrales syndicales du Mali ainsi que les différents Membres de la Famille judiciaire de la décision historique datant du 09 octobre 2018,du Gouvernement de la République du Mali tendant à réquisitionner les Magistrats. Les syndicats de Magistrats expriment leur profonde indignation et leur vive préoccupation face à cette violation grave et intolérable de la Constitution de la République en ses principes relatifs à la Démocratie (article 25), à la Séparation des Pouvoirs (article 81), à l'Indépendance du Pouvoir Judiciaire (article 81 et 82) et au Droit de Grève (article 21). Ils constatent et font constater que le Gouvernement du Mali est résolu à enterrer la démocratie. Aux dires des grévistes, cette situation, extrême interpelle le Peuple et tous les démocrates et républicains convaincus. « Le Pouvoir Judiciaire réfute cette dérive dictatoriale et invite les Magistrats à faire bloc contre cette tentative de caporalisation à son encontre par le pouvoir exécutif. Le SAM et le SYLIMA font observer que c'est la première fois dans l'histoire démocratique de notre pays qu'une Loi datant de l'époque dictatoriale (1987) est appliquée par le pouvoir exécutif dans des circonstances défiant toute objectivité puisqu'il s'agit expressément, dans le cas de l'espèce, de sacrifier la République sur l'autel d'intérêts personnels sordides par certains responsables politiques portés simplement par la prévarication. Ils font également observer que les conditions exigées pour l'application de ladite Loi, notamment les deux hypothèses où il peut être fait usage de la réquisition ainsi que des Décrets devant être pris en Conseil des Ministres (articles 1 et 28 de la Loi N°87-481 AN-RM du 10 août 1987 portant sur les réquisitions), ne sont nullement réunies à ce jour en République du Mali », a précisé Diakaridia Bagayoko. Selon les magistrats, le principe de la séparation des pouvoirs interdit formellement l'Exécutif à emprunter une telle démarche à l'encontre du Pouvoir Judiciaire (article 81 de la Constitution malienne de 1992). Lors de cette assemblée générale extraordinaire, l’un des doyens de la magistrature, Taïcha Maïga a fait savoir qu’on ne peut pas réquisitionner un magistrat. « Personne ne peut dissoudre les magistrats. Le président de la République peut dissoudre l’Assemblée nationale et le gouvernement mais il est le président du conseil supérieur de la magistrature », a-t-il dit. Modibo T Diarra, membres du conseil supérieur de la magistrature abonde dans le même sens en disant que la réquisition des magistrats est un fait grave. « On ne va pas se laisser faire. Le non respect du service minimum évoqué par le gouvernement est du pipeau, de l’intoxication car nous avons toujours assuré le service minimum », a-t-il dit. Abdourahamane Mahamane Maïga, secrétaire à la communication du Sylima enfonce le clou en invitant ses collègues à ne pas assurer le service minimum car non seulement les salaires des magistrats ont été retenus, mais aussi il y a eu la réquisition des magistrats. Faisant l’historique des faits, le président du SYLIMA, Hady Macky Sall a fait savoir que les revendications des magistrats sont légitimes. Avant d’ajouter que les magistrats ne cherchent pas à prendre en otage la démocratie malienne. Pour preuve, dit-il, l’élection ne peut pas se faire au Mali sans la CENI (Commission électorale nationale indépendante) qui est présidée par le magistrat, Amadou Bah. En outre, il dira qu’ils ont 7 militants sur les 9 sages de la Cour constitutionnelle qui proclame les résultats des élections. Il a également fait savoir qu’ils ont des collègues à la Cour suprême du Mali dont la prestation de serment du président de la République se fait devant elle. « Nous avons laissé nos collègues travailler pour ne pas enfreindre le processus électoral. Nous n’avons aucun agenda politique », a insisté le président du SYLIMA. Il a mis l’accent sur l’enlèvement du juge de Niono (Ségou), Soungalo Koné le 16 novembre 2017. A ses dires, 3 gardes assuraient la sécurité de la juridiction de Niono. Dans cette situation, poursuit-il, le gouvernement demande aux magistrats d’aller travailler. Les magistrats sont obligés de prendre des maisons en location à Ségou à leur frais pour assurer le service public, a-t-il déploré. L’orateur a également évoqué la situation de la juridiction de Gao qui est une zone de conflit mais qui n’est pas sécurisée. Pour lui, il y a des irrégularités et des contrevérités dans le décret du gouvernement. «La décision gouvernementale a été prise suite à un avis de la Cour suprême qui a été saisie de façon illégale. Parce que la loi portant sur la Cour suprême et la procédure suivie devant elle dit que le premier ministre ne peut saisir la cour suprême que lorsqu’il s’agit d’un projet de loi ou d’un projet de décret. Mais pour des questions d’ordre général, c’est seulement le président de la République qui peut saisir la Cour Suprême pour avis et non le premier ministre. La demande d’avis était irrecevable », a précisé le président du SYLIMA. A rappeler que les points de revendication des magistrats sont de deux ordres : la sécurisation des juridictions et des personnels judiciaires et la relecture de leur statut avec la revalorisation de la grille salariale. Et l’incidence financière annuelle des revendications tourne autour de 2 milliards de FCFA pour 571 magistrats.
Aguibou Sogodogo