Nonobstant tous les dangers qu’elle comporte aujourd’hui, l’émigration clandestine ne s’estompe pas dans les pays africains. Ce phénomène prend de plus en plus de l’ampleur dans nos pays en proie à crises politiques, économiques et sociales. Cependant l’envie d’ailleurs est en grande partie nourrie, notamment chez les jeunes, par la pauvreté qui gangrène la majorité des pays du continent “berceau de l’humanité”. Afin de cerner les causes de l’émigration clandestine, la rédaction d’Aujourd’hui-Mali s’est entretenue avec des jeunes tentés par l’émigration.
Face à des difficultés, des jeunes dont l’avenir semble s’obstruer voient l’émigration comme la seule solution pour s’en sortir. Un voyage vers l’Europe perçue comme l’Eldorado est entrepris au péril de leur vie. L’occident est considéré depuis toujours comme le continent où il fait bon vivre, un endroit paradisiaque sur la planète terre et les jeunes, qui voient leur avenir ailleurs que dans leur pays d’origine, sont prêts à payer le prix fort voire au péril de leur vie pour traverser la Méditerranée. Un chemin parsemé d’atroces souffrances et de la mort dans les eaux profondes de l’océan. Mais on y va quand même. Ils sont généralement âgés de 20 à 35 ans. Des jeunes qui ont la culture de croire que leur avenir, leur bonheur et celui de leur famille sont au-delà de la mer.
Le chômage, les guerres, la pauvreté, le désespoir sont généralement les causes de l’émigration clandestine dans nombreux pays africains. Des causes engendrées par la mauvaise gouvernance, la corruption, l’abdication politique et sociale des dirigeants.
Tahirou Kanouté : “Je ne peux passer toute ma vie dans ces conditions”
Ce jeune homme âgé de 25 ans est le frère ainé d’une fratrie de 4 enfants dont trois garçons et une fille. Il cherche à rejoindre l’Europe depuis des années maintenant. “J’ai passé deux ans en Algérie et trois mois au Maroc. J’ai également tenté ma chance au Burkina Faso ainsi qu’au Niger, mais je reviens toujours au pays sans grande chose. Un soi-disant passeur m’a escroqué 2 millions et demi en 2014 à Dakar. Il m’a promis de m’envoyer par bateau en Espagne. Quand je lui ai remis l’argent, il s’est évaporé dans la nature et jusqu’à présent aucune nouvelle de lui” nous raconte-t-il.
“Notre père est au Congo-Brazza depuis plus de 15 ans. Il nous envoie de l’argent souvent pour les besoins de première nécessité. Notre mère qui faisait un petit commerce au grand marché de Bamako a dû arrêter parce qu’elle à un mal récurrent au pied. Etant l’ainé de la famille, j’essaye d’aider ma mère et mes frères du mieux que je peux, mais c’est souvent très difficile. Je dois partir pas pour moi seul, mais aussi pour ma famille” poursuit le jeune qui avait pourtant voulu partir en condition régulière : “En 2016, j’ai essayé d’obtenir en vain un visa à l’Ambassade de France et à l’Ambassade de Belgique en 2017 aussi. La seule solution qui s’offre à moi maintenant c’est d’aller par la mer, peu importe le risque.
Sincèrement ce que je gagne au Mali dans mon petit commerce de téléphones ne peut pas subvenir à toutes mes dépenses. Il est vrai que j’arrive à satisfaire quelques besoins quotidiens, mais je ne peux rien faire d’autre de concret avec cet argent. Je vends des téléphones portables envoyés par mes cousins de la France et de l’Espagne. Ce sont généralement des téléphones d’occasion. Je peux en vendre 4 à 5 par mois. Sur chaque portable, je peux gagner de 5 000 à 10. 000 Fcfa. Cet argent ne peut pas changer ma vie. Il faut que je parte, je ne vais pas continuer à vivre ainsi toute vie ma vie “.
Abdrahamane Sissoko : ” Les Africains sont leurs propres ennemis “
“Je suis marié et père de 3 enfants. Je m’occupe de ma famille avec le peu que je gagne dans mon métier de bijoutier. Un métier que j’ai appris depuis ma tendre enfance. Mais comme vous le savez, on n’est jamais à l’abri du besoin avec de tels métiers au Mali aujourd’hui. L’aventure est la seule solution pour moi de pouvoir changer ma vie et celle de ma famille. Je suis à Bamako pour le moment, mais je me prépare à aller tenter ma chance en Europe “ nous confié Sissoko (33 ans) qui a déjà vécu lui aussi une aventure africaine (entre 2014 et 2016).
Une aventure dans laquelle il est sorti meurtri par l’inhumanité des Africains envers leurs frères Africains. L’une des raisons, selon lui, qui pousse les aventuriers à tenter de rejoindre l’Accident au lieu d’aller dans certains pays africains encore attrayants économiquement. “Durant mes deux années passées en Guinée-Equatoriale, j’ai vécu vraiment une aventure très difficile. C’est à travers cette expérience que j’ai compris que les Africains sont leurs propres ennemis. On était maltraités par les autochtones. Ceux d’entre nous qui n’avaient de carte de séjour souffraient le plus. Ils étaient traqués et battus par les forces de l’ordre à longueur de journées. Des fois, dans les chantiers de construction, je voyais des aventuriers qu’on refusait de payer après des journées entières de dure labeur parce qu’ils ne sont pas en conditions régulières et qu’ils n’ont nulle part où aller se plaindre.”
Cette expérience est désormais un mauvais souvenir pour Abdrahamane qui ne jure que par l’Europe. Il considère ses chances très minimes de réaliser ce rêve tant caressé, s’il ne va pas par l’océan. “La traversée par l’océan est moins chère. Par exemple, avec 1 500 000 Fcfa tu peux atteindre l’Europe par contre aller par avion coûte cher. Il te faut au moins débourser 5 à 6 millions de Fcfa. En plus, tu peux passer des années à chercher ton visa. Tout le monde n’a pas ces moyens-là.
C’est simple si je décide d’entamer mon voyage, je renvoie ma femme et mes enfants auprès de mes parents au village. Si je vais, c’est aussi pour le bonheur de l’ensemble de la famille. La vie est plus facile là-bas contrairement à Bamako. J’ai déjà des cousins en Europe qui envoient de l’argent en famille. Ce serait mon cas aussi car c’est aussi pour les parents que nous partons. Si je décide de partir, j’ai toujours leur bénédiction. Pour moi, la seule chose à faire, c’est d’aller en Europe. C’est à ce prix que je m’en sortirai pour pouvoir aider ma famille”.
Quant à Sidi Sacko, âgé de 28 ans, discret et réservé, il n’a pas voulu se prononcer davantage sur ses conditions familiales. Ses parents l’ont inscrit à l’école coranique depuis son jeune âge. Il n’a jamais été à l’école française. Aujourd’hui, aucun diplôme professionnel à son actif pour se présenter à des concours. “J’en veux souvent à mes parents. Il est important d’apprendre le coran, mais ils n’ont pas pensé à mon avenir. Tous mes amis d’enfance ont des diplômes et se débrouillent avec ça aujourd’hui. Mais moi je n’ai pas cette chance” regrette-t-il. A l’en croire, l’émigration reste l’unique option.