Le sort d’Iyad Ag-Ghali, le chef de la plus puissante alliance jihadiste au Sahel, apparaît lié aux luttes de pouvoir en cours à Alger.
Iyad Ag-Ghali, notable malien d’une puissante tribu touareg, a basculé dans le jihadisme en 2012. Il a alors fondé le groupe Ansar Eddine (les Partisans de la Religion) qui est parvenu à contrôler tout le Nord du Mali en collaboration, entre autres, avec la branche d’Al-Qaida pour le Maghreb Islamique (AQMI). Cet émirat jihadiste du Nord-Mali a été démantelé par l’intervention menée par la France et ses alliés africains en 2013. Mais Iyad Ag-Ghali a réussi à échapper aux multiples raids menés contre lui et il s’est imposé, en mars 2017, à la tête d’un « Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans » (GSIM/JNIM dans son sigle arabe). Cette coalition jihadiste, qui a prêté allégeance à Al-Qaida, a depuis perpétré des attentats sanglants au Mali, au Burkina-Faso et au Niger, visant tout particulièrement la France, ses diplomates, ses militaires et ses ressortissants (le GSIM détient au moins six otages étrangers, dont une septuagénaire française).
IYAD AG-GHALI REPERE EN ALGERIE
« Le Monde », dans une enquête très documentée de juillet dernier, a révélé que les services lancés sur la trace d’Iyad Ag-Ghali l’avaient souvent signalé dans la localité algérienne de Tin Zaouatine, à la frontière du Mali, où résiderait sa famille. Le même article affirme que le chef jihadiste, hospitalisé dans un établissement algérien de Tamanrasset, y aurait échappé en 2016 à une tentative occidentale de « neutralisation ». Les autorités algériennes démentent naturellement ces informations avec constance. Les spécialistes du jihadisme au Sahel s’accordent cependant à penser qu’Iyad Ag-Ghali n’aurait certainement pas pu survivre, et encore moins tisser sa toile dans toute région, s’il ne disposait pas de « facilités » en Algérie. Ce n’est pas la nature de ces « facilités » qui sera ici discutée, mais la logique qui aurait amené une partie du pouvoir algérien à les accorder.
Iyad Ag-Ghali a une longue histoire de relations avec les services algériens. Alors qu’il dirige en 1990 une guérilla touareg d’inspiration nationaliste, le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) parraine à Tamanrasset sa réconciliation avec des représentants de Bamako. Iyad Ag-Ghali y gagne un poste de conseiller du président malien, puis de consul en Arabie saoudite. Même après son basculement jihadiste de 2012, les responsables algériens sont convaincus qu’ils peuvent jouer Ansar Eddine contre AQMI, et limiter ainsi les effets de la déstabilisation du Nord-Mali sur leur propre territoire. Déjà, les divergences de vues sont criantes entre Alger et Paris, qui juge Iyad Ag-Ghali irrémédiablement engagé dans la subversion jihadiste.
L’OMBRE D’IN-AMENAS
En janvier 2013, Ansar Eddine, AQMI et leurs alliés font conjointement mouvement vers le centre du Mali, menaçant ainsi à terme Bamako. François Hollande, appelé à l’aide par le gouvernement malien, déclenche l’opération Serval. Il obtient d’Abdelaziz Bouteflika l’ouverture de l’espace aérien de l’Algérie à l’armée de l’Air française, ainsi que la fermeture de la frontière avec le Mali, deux conditions essentielles pour le succès de Serval. C’est peu de dire que cet engagement sans précédent ne fait pas l’unanimité chez les généraux algériens, au nationalisme ombrageux. La riposte jihadiste ne tarde d’ailleurs pas, avec l’attaque du complexe pétrochimique d’In-Amenas, alors que jamais des installations liées aux hydrocarbures n’avaient été visées en deux décennies de terrorisme algérien. L’armée reprend le contrôle du site, où 29 jihadistes et 40 otages entre leurs mains ont été tués.
Le chef d’état-major, le général Gaid Salah, accuse ses rivaux du DRS de n’avoir pas su anticiper un tel désastre. Mais il met plus largement en cause l’abandon de souveraineté auquel aurait, à ses yeux, consenti Bouteflika envers la France. Le président algérien, victime d’un AVC en avril 2013, est hospitalisé durant de longues semaines à Paris, dont il ne rentre qu’en chaise roulante. Il se présente néanmoins pour un quatrième mandat en avril 2014 et, réélu avec officiellement 81% des suffrages, n’exerce plus qu’une autorité de façade. Gaid Salah continue de concentrer de plus en plus de pouvoirs et obtient, à l’automne 2015, la tête du chef du DRS, puis le démantèlement de ce service. Alger reprend parallèlement la main au Mali en parrainant un accord de paix entre le gouvernement et les groupes armés du nord du pays, dont l’ONU a depuis dénoncé la collusion avec Iyad Ag-Ghali.
En cet automne 2018, Gaid Salah apparaît plus que jamais comme le véritable homme fort de l’Algérie, où les appels plus ou moins spontanés se multiplient en faveur d’un cinquième mandat d’un Bouteflika manifestement impotent. Le puissant chef d’état-major s’est posé en rempart contre « le dessein abject que le colonisateur n’a pu atteindre sur la terre d’Algérie ». Cette dénonciation de la France, habituel repoussoir dans les luttes de pouvoir en Algérie, vise désormais le Sahel, et plus précisément le Nord-Mali. Un des bénéficiaires d’un tel raidissement pourrait bien être Iyad Ag-Ghali, dont les réseaux jihadistes continuent de proliférer dans la région.