rois attentats d’ampleur perpétrés à Ouagadougou, des attaques dans le nord du pays et désormais à l’est, le Burkina est devenu la cible régulière des islamistes armés.
« Comment en est-on arrivé là ? » La question taraude désormais les Burkinabés, inquiets face à la multiplication des attaques. Enlèvements, assassinats ciblés, routes minées, la situation sécuritaire se détériore. En trois ans, les attaques terroristes ont déjà fait plus de 118 morts, selon le dernier bilan officiel. « On a déjà perdu le nord, maintenant nous perdons l’Est », s’alarme une source sécuritaire.
Du côté français, l’ouverture d’un nouveau « front djihadiste » selon les termes de responsables locaux, et « la faiblesse de la réponse des autorités » inquiètent. Sollicitée par le pouvoir, la force « Barkhane » a mené une frappe aérienne à Inata, dans le nord, le 3 octobre et dépêché deux hélicoptères le 6 octobre dans les environs de Pama, à l’est. Jean-Yves Le Drian, le chef de la diplomatie française, est attendu à Ouagadougou jeudi 18 octobre.
Voisinage instable
Pour comprendre la crise sécuritaire qui se joue aujourd’hui dans ce pays, il faut d’abord regarder du côté de son voisin, le Mali. « Le Burkina subit les conséquences d’un voisinage instable. La frontière malienne sert de base de repli pour ces groupes et de point de passage pour la circulation des armes », analyse Rinaldo Depagne, directeur Afrique de l’Ouest d’International Crisis Group.
Depuis 2015, le Burkina Faso est ainsi devenu la cible des djihadistes du Sahel. En deux ans, sa capitale, Ouagadougou, a été frappée à trois reprises. Une soixantaine de personnes ont été tuées. Le 2 mars, la double attaque contre l’ambassade de France et l’état-major burkinabé, revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) du malien Iyad Ag-Ghali, a atteint un niveau d’organisation jamais observé encore.
Alors qu’au nord du pays, les attaques sont menées sous la bannière d’Ansaroul Islam, première formation djihadiste locale mais connectée au GSIM, à l’est, l’affiliation des groupes armés n’a toujours pas été déterminée. Certains spécialistes voient ici la main de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS). « S’attaquer à cette région est stratégique, les terroristes cherchent à multiplier et à étendre les zones d’insécurité pour casser “le verrou burkinabé”. Si l’est tombe, l’instabilité peut déborder vers d’autres pays de la sous-région, comme la Côte d’Ivoire ou le Ghana », prévient le directeur du Timbuktu Institute Bakary Sambe.
Menace sous-estimée
La sonnette d’alarme a été tirée, un directeur régional de la police pointait déjà il y a un mois l’urgence d’agir. « Trop tard ! Le gouvernement a sous-estimé la menace à l’est. Aujourd’hui, il se retrouve dépassé, les groupes ont eu le temps de s’implanter et de se structurer », fustige une source sécuritaire. « Nous n’étions pas préparés à lutter contre ce phénomène mondial qu’est le terrorisme, ça a surpris tout le monde », tente de plaider Jean-Pierre Bayala, colonel à la retraite et ancien officier de lutte anti-terroriste. Il faut dire que le pays a longtemps imaginé son « verrou » incassable.
L’ancien président Blaise Compaoré, renversé par la rue et ses anciens alliés en octobre 2014, négociait à découvert avec les islamistes armés. Son conseiller Moustapha Chafi avait noué des contacts avec tous les groupes de la région et ses négociations permirent la libération d’otages occidentaux. Un réseau d’informateurs maillait le terrain. Les Burkinabés se pensaient alors épargnés par l’hydre terroriste. « Il y avait une clause de non-agression.
La bande d’Ag-Ghali se baladait librement dans les rues de Ouaga. Ils combattaient au Mali et soignaient leurs blessés chez nous, ils avaient le gîte et le couvert ici », raconte Jean-Pierre Bayala. A la chute du régime de Compaoré, suivie de la dissolution du Régiment de sécurité présidentielle (RSP) en 2015, unité d’élite et garde prétorienne du pouvoir, tout un système sécuritaire s’est effondré. « Le RSP a disparu, Gilbert Diendéré, qui pilotait la cellule de renseignement, a été arrêté, ils ont laissé derrière eux une armée et des services de renseignement divisés et affaiblis », analyse Rinaldo Depagne.
« Revendications sociales »
Désormais, sur le terrain, les moyens manquent : pas assez d’effectifs, d’équipements aériens et de véhicules blindés. Difficile donc de faire face à des assaillants qui ont aiguisé leurs modus operandi et leur utilisation des engins explosifs improvisés (IED). L’intervention de « Barkhane » au début du mois sonne ainsi comme un « aveu d’échec » pour certains. « Nous n’avons pas les moyens aériens de l’armée française, il fallait appeler la force la plus proche, à Niamey », confie une source ministérielle. En visite au Tchad les 8 et 9 octobre, la ministre des armées Florence Parly a assuré : « Avec le Burkina, nous restons disponibles, car le rôle de “Barkhane”, c’est aussi d’appuyer les forces nationales partout où c’est nécessaire et si elles le demandent. »
« L’appui d’une puissance étrangère va alimenter le discours des terroristes qui jouent sur les frustrations des populations et la mauvaise perception qu’elles peuvent avoir des mesures sécuritaires, à cause de certaines bavures. C’est un cercle vicieux », s’inquiète Bakary Sambe. Méfiance vis-à-vis d’autorités peu présentes, pauvreté et isolement constituent un terreau fertile pour les terroristes. « Ansaroul Islam se nourrit des revendications sociales d’une population délaissée par le pouvoir central, leur promettant d’améliorer ses conditions de vie grâce au djihad », décrypte Sidi Kounta, sociologue et expert du djihadisme au Sahel.
Assassinats d’imams récalcitrants et des « traîtres », menaces contre les préfets et les maîtres d’école, les djihadistes imposent une terreur ciblée dans certaines zones. « On a deux difficultés majeures : l’anticipation et la collaboration des civils avec nos services de renseignement », reconnaît-on au ministère de la sécurité.