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Me Alfousseyni Kanté au sujet de la prorogation du mandat des députés : «La Cour a participé à une opération politique dont les conséquences pourraient surprendre»
Publié le lundi 22 octobre 2018  |  La Preuve
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Sur la demande expresse du Président de l’Assemblée nationale à la Cour constitutionnelle aux fins de prorogation de la Vème législature jusqu’à la fin du premier semestre 2019, la Cour, suivant une interprétation hasardeuse de l’article 85 alinéa 2 de la constitution du 25 février 1992, a donné un avis favorable sur la prorogation du mandat des députés sous l’avis n°2018-02/Ccm du 12 octobre 2018. Elle rappelle toutefois que ladite prorogation doit intervenir au moyen d’une loi organique.

Le caractère fuyant et inconstitutionnel des arguments avancés à l’appui de son avis contraint à élever des réserves sérieuses quant à la régularité de cet avis et de son efficience démocratique.



I/ LA CONTESTATION DE LA RECEVABILITE DE LA DEMANDE DU PRESIDENT DE L’ASSEMBLEE NATIONALE ADRESSEE A LA COUR CONSTITUTIONNELLE:

La Cour a estimé qu’elle peut valablement être saisie par le président de l’Assemblée nationale aux fins de prorogation du mandat des députés, en se fondant sur l’existence d’un vide juridique qui entourerait sa saisine des difficultés exceptionnelles vécues par la Nation et sur la scène politique. Il ne revient point à la Cour d’accomplir une telle mission politique. Son rôle dans la régulation des institutions se limite à la détermination des compétences des autres institutions éventuellement en conflit de compétence. Mais la situation pouvant abriter des assauts stratégiques politiques, comme le report des élections sur la prorogation de mandat, la Cour est incompétente à intervenir. D’après le professeur Georges Vedel (PUF, Paris, n°21, 1995, page 28), « la constitution ne saurait comporter des vrais lacunes. Ce qu’on appellerait des lacunes, en effet, se rapporterait à l’absence des règles que l’on jugerait désirables ». La Cour a ainsi participé à une opération politique dont les conséquences pourraient surprendre. La Cour a méconnu les risques dus en cas de dysfonctionnement sérieux et exceptionnel des institutions de la République. Elle a noté « qu’aucune disposition constitutionnelle ou légale ne détermine expressément les personnes habilitées à saisir la Cour constitutionnelle aux fins de statuer en matière de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Elle a dès lors comblé cette lacune, en raisonnant par analogie, en interprétant la constitution au regard de sa logique d’ensemble. Sur ce point, le vide juridique soulevé est un faux débat. Il n’y a pas de vide juridique. L’article 29 de la Constitution consacre le Président de la République la personne qui « veille au fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat ». A la continuité de l’Etat se rattache bien le pouvoir d’arbitrage du Président de la République qui peut au besoin dissoudre l’Assemblée nationale et pousser le Premier ministre à la démission, provoquant dès lors la chute du Gouvernement. Ce pouvoir d’arbitrage est celui qui est utilisé par le Président de la République pour surmonter les difficultés ; du raisonnement par analogie qu’exige la cohérence du droit.

La demande de prorogation des mandats des députés ne pouvait venir ni du Président de l’Assemblée nationale ni des députés mais du seul Président de la République. C’est d’ailleurs lui seul qui promulgue la loi pour être appliquée. La recevabilité de la demande du Président de l’Assemblée nationale adressée à la Cour n’était pas régulière. En conséquence, l’Avis ne saurait aussi être régulier au regard de la Constitution en son article 29.

II- L’INCONSTITUTIONALITE DE L’AVIS DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE RELATIVE A L’OBJET :

La Cour a estimé, après un long raisonnement périlleux, qu’il y avait un cas « de force majeure des difficultés entravant le respect scrupuleux des dispositions constitutionnelles et légales » mais sans les citer. Elle a aussi relevé « la nécessité d’assurer le fonctionnement régulier de l’Assemblée nationale » alors même qu’il ne s’agit point d’une telle question en cause. Il faut d’emblée se rendre compte de la vision civiliste de la Cour dans la présente affaire. La notion de force majeure en Droit public est différente de celle du Droit privé ; « gouverner c’est prévoir ». L’imprévision est introduite en Droit administratif pour assurer une meilleure gestion de l’intérêt général qui a été omis ici par la Cour. En s’abstenant de citer les difficultés entravant le respect de la constitution et des lois, la Cour a aussi intégré une situation camouflée aux citoyens ; elle devait rester Cour constitutionnelle et non devenir un Conseil constitutionnel. En tout état de cause, le dysfonctionnement observé dans l’Assemblée nationale ne peut régulièrement empêcher l’organisation des élections parlementaires programmées dans la constitution. La fin du mandat des députés provoque inexorablement l’organisation des élections crédibles, transparentes qui donne l’opportunité aux citoyens, au peuple souverain de choisir ses représentants. Ceci constitue une exigence démocratique qui force le respect des gouvernants et de l’Etat. L’organisation de l’élection présidentielle de 2018 dans le délai constitutionnel a été appréciée à sa juste valeur. Le caractère politique de l’avis favorable apparait très clairement quand la Cour a noté que « ladite prorogation doit intervenir au moyen d’une loi organique » ; dans la mesure où la loi organique apporte à une question difficile voire irrégulière, une réponse notamment celle qu’elle estime adéquate consensuelle compte tenu des circonstances politiques du moment. Selon le professeur Francis DELPEREE (Droit Constitutionnel: les données constitutionnelles, Bruxelles, F Larcier 2è édition, T1, 1987, P75), «de la sorte, la loi organique fait plus qu’assurer l’exécution d’une règle de principe; elle prolonge et actualise l’opération constitutionnelle; c’est elle qui construit véritablement le nouvel aménagement des rapports entre pouvoirs publics». Mais la Cour a méconnu que le consensus politique, fut-il puissant, ne pourrait neutraliser les données constitutionnelles et législatives établies.



Au regard de ce qui précède, la décision d’avis favorable est contraire à la constitution et aux exigences démocratiques. La Cour perturbe dès lors sa propre jurisprudence qui aurait dû servir les générations futures dans la consolidation de l’unité nationale de la paix et de la cohésion sociale.



Maître Alfousseyni KANTE

Militant Fare Anka Wuli

Commune IV du district de Bamako

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