La Coalition nationale de lutte contre l’esclavage par ascendance au Mali qui regroupe plusieurs organisations nationales et internationales de défense des droits humains, a tenu, hier jeudi, au siège de l’Association TEMEDT, à Faso Kanu, sa traditionnelle réunion trimestrielle devant faire le point de la situation relative à l’adoption d’une loi incriminant l’esclavage et pratiques assimilées au Mali.
Le clou de la rencontre a été les témoignages des membres du Rassemblement malien pour la fraternité et le progrès (RMFP), ‘’Gambana’’, victimes de pratiques d’esclavage dans le Cercle de Nioro du Sahel (Région de Kayes).
Présidée par le représentant du ministre de la Justice, Boubacar TOURE, la réunion s’est déroulée en présence de la présidente de la Coalition nationale de lutte contre l’esclavage par ascendance au Mali, Mme KEITA Fatoumata SISSOKO; du président de TEMEDT, Ibrahim Ag IDBALTANAT ; du représentant de l’ONG Rosa Luxembourg, Bruno SINKO.
On y notait également la présence des représentants d’organisations membres de la Coalition, à savoir: la CNDH, l’AMDH, Amnesty International ; la CAFO, les Juristes, etc.
Hamet COULIBAY, un immigré très actif sur les réseaux sociaux, contre la pratique de l’esclavage en milieu soninké. Il fait l’objet d’une menace de mort par les « nobles de son village et environs».
Selon le président de TEMEDT, depuis sa création en 2006, l’Association ne cesse d’interpeller les pouvoirs publics en les invitant à tout mettre en œuvre pour éradiquer l’esclavage et sauver ainsi les générations futures, victimes de l’esclavage par ascendance, contre cette pratique avilissante pour l’homme.
Selon Ag IDBALTANAT, pour pouvoir la combattre afin de libérer des milliers de personnes et leurs descendances qui se trouvent embrigadées dans cette pratique dégradante et humiliante pour la dignité humaine, il faut une forte mobilisation de tous les acteurs politiques et sociaux, au premier rang desquels l’État, à travers l’adoption d’une loi l’incriminant.
Quant à la présidente de la Coalition nationale, elle a rappelé que l’organisation a été créée en 2012, dans le but d’avoir au Mali une loi incriminant l’esclavage, un combat qu’elle mène depuis des années.
L’avant-projet de loi, élaboré par le ministère de la Justice, a-t-elle déploré, se trouve bloqué au niveau du Conseil des ministres depuis 2014. La Coalition continue ses plaidoyers auprès de tous ses partenaires pour débloquer le texte.
«L’esclavage est un crime. Et il faut que le Malien arrive à l’accepter comme tel et le définir comme tel. Et, il n’est un secret pour personne, il n’y a aucune loi dans le monde qui autorise un crime », a-t-elle martelé.
Mieux, a-t-elle souligné, la Constitution du Mali stipule que les citoyens naissent libres et égaux devant la loi.
Cependant, au même moment, il y a des individus qui s’arrogent le droit de vie et de mort sur leurs semblables, sous prétexte qu’ils sont supérieurs à ces derniers qui leur appartiennent, à la limite, dénonce-t-elle.
Pour Mme KEITA, l’esclavage est déshonorant. Car, actuellement, l’homme ne doit pas se glorifier d’appartenir à son semblable en oubliant qu’ils sont tous des créatures et des esclaves de Dieu.
Pour la présidente, ces réunions périodiques ont pour but d’évaluer et de planifier les actions de la Coalition.
Selon Hamet COULIBALY, né en 1964 à Kéréwané (Commune de Grouméra, Cercle de Dièma), et marié à deux femmes, père de 9 enfants, de nos jours, les esclaves subissent de plein fouet les conséquences de la pratique dans les villages Soninké.
«De Diboli à Dugu wulowila (sept villages), il y a 6 à 7 cercles, à savoir : Kayes, Yélimané, Nioro du Sahel, Dièma, Barouéli, Banamba, et Nara, dans tous ces cercles, il n’y a que l’esclavage dans sa forme la plus cruelle ».
Aussi, a-t-il révélé, si une femme esclave venait à perdre son mari, elle fait 2 mois et 5 jours en veuvage, car considérée comme « une demie personne», contrairement aux femmes « nobles et entières » qui font 4 mois et 10 jours en cas de veuvage. Or, rappelle-t-il, tous jeûnent les 30 jours et font les cinq prières quotidiennes.
A son avis, tous ont eu leur indépendance avec la décolonisation ; et ils ne sont pas des esclaves au terme de la religion musulmane.
«Un esclave, qu’il soit érudit, ne devient pas iman dans ces localités. Il peut s’occuper des travaux domestiques, faire les petites commissions, être gardien de la mosquée, pour son ouverture et sa fermeture. L’esclave, en milieu Soninké concerne généralement tous ceux qui ont les patronymes bambaras et peuls, notamment, COULIBALY, DEMBELE, TRAORE, TANGARA, BOUARE, KONATE, SISSOKO, TAMBOURA, MARIKO. Tous ces noms de famille sont considérés comme des esclaves en milieu soninké ».
Depuis qu’ils se sont dressés contre ces pratiques, les «nobles et certains esclaves» se sont attaqués à eux, en les frappant à mort, retirant leurs champs, les empêchant de participer aux évènements sociaux (funérailles, baptême ou mariage), de prendre l’eau au niveau de la pompe et même d’acheter des produits dans la boutique du village.
«Nous avons été trois personnes à enterrer le corps d’un neveu décédé au village. Les nobles ne sont pas venus», s’est-il indigné.
Très remonté, car ayant appris le passage des malfaiteurs, dans la nuit d’hier jeudi, pour avoir sa peau, il interpelle les autorités communales, régionales et nationales à intervenir avant qu’il ne soit trop tard et à s’impliquer pour mettre fin définitivement à la pratique de l’esclavage, surtout que la religion et la démocratie l’interdissent.
M. COULIBALY dit haut et fort : « adviendra que pourra, je ne vais jamais accepter l’esclavage».
« Si des solutions idoines ne sont trouvées, la situation risque de dégénérer en guerre civile ou en guerre d’affranchissement des esclaves qui ne supportent plus les caprices de leurs maîtres, en ce 21e siècle », a-t-il prévenu.
En réaction à ses témoignages émouvants, synonyme surtout de la persistance de la pratique de l’esclavage, la Coalition nationale a décidé de se saisir de ces dossiers qu’elle va transmettre à la Commission nationale de droits de l’homme pour un portage institutionnel.
Mais, d’ores et déjà, elle s’engage à étudier les dossiers pour voir dans quelle mesure elle pourra apporter son soutien à l’association RMFP qui partage avec elle la lutte contre l’esclavage par ascendance au Mali.