Notre héros du jour s’appelle Oumar Namory Keïta dit Tiètèmalo, un comédien émérite qui a donné à l’art malien ses premières valeurs, notamment à travers son talent. Annoncé pour mort à plusieurs reprises, l’homme, emmuré un silence de carpe, est bel et bien vivant. Quand il embrassait sa carrière théâtrale au début des années 1970, le comédien, de façon générale, était considéré comme un troubadour, un bouffon, un fainéant dans la société. Même pour se trouver une femme, cela relevait du parcours du combattant. Sauf si la dulcinée en faisait une question d’honneur en bravant l’autorité parentale. Malgré ce mauvais jugement sur les comédiens, pourquoi Oumar Namory a-t-il décidé de faire carrière dans le théâtre ? Notre héros du jour argumente son option par les prédispositions que la nature lui a conférées. Sinon, il révèle avoir été un joueur de football pour avoir évolué au sein de l’équipe première du Stade malien de Bamako, en 1974. C’est-à-dire l’année à laquelle l’équipe de Ben Oumar Sy a écopé d’une suspension. Au même moment, le chef d’Etat-major des Armées, le général Boukary Sangaré, lui avait proposé l’Ecole Militaire Inter Armes de Koulikoro (EMIA). Mais il a décliné l’offre, uniquement pour jouer du théâtre. Le sobriquet ” Tiètèmalo ” est venu d’une pièce de théâtre dans laquelle le père de la fille refuse le mariage, parce qu’il est un comédien. Il va tellement insister au point de faire planer le suspense à la fin de la pièce. Au sortir du spectacle, chacun devait deviner la suite pour donner sa propre solution. L’analyse de ladite pièce met en évidence la plaidoirie du statut des artistes au regard de la vision que la société a d’eux. Orphelin, foudroyé entre 1961 et 1964 par un destin qui emporta ses deux parents, Oumar Namory Kéïta a passé une enfance dure au point que son avenir a failli en pâtir. Mais, il s’est battu pour s’adapter aux aléas de tous bords, pour être ce qu’il est aujourd’hui, après la traversée du désert. Nous l’avons rencontré dans le cadre de la rubrique ” Que sont-ils devenus ? “, pour parler de son riche parcours, de la Guinée Conakry au Mali, de la comédie à la craie. Doté d’une mémoire fine, il égrène avec minutie les péripéties de son histoire et de sa vie.
omédien, enseignant, chef de famille, comment Tiètèmalo, s’adapte-t-il à tous ces statuts, quand on sait que dans la rue certains se font le plaisir de chahuter les comédiens ou les acteurs de cinéma ?
L’homme définit ses multiples facettes : “En décidant d’être comédien dans la vie, je joue à l’hybridité du caméléon. A la maison, c’est le chef de famille ouvert à tout le monde, qui accède aux doléances des enfants, en tenant compte des différents contours. Mais je sais aussi punir, s’il le faut. A l’école, c’est l’enseignant modèle sur tous les plans, juste avec des opportunités pédagogiques pour venir en support aux cours théoriques. Dans la rue, je suis l’autoritaire, le Malinké à l’état brut. C’est aussi l’homme qui passe inaperçu, parce que je n’aime pas du tout faire le clown. J’ai horreur de l’exhibitionnisme dans la rue. Vous comprendrez par là, qu’à mon âge, je ne prends aucun excitant. Bref, je n’aime pas être humilié”.
Durant une décennie, il s’est fait un renom dans la comédie à travers les semaines régionales, les biennales. En plus de la pièce théâtrale intitulée “Tiètèmalo”, Oumar Namory a joué aussi dans le chapeau magique “Foukoulan Nafaman”. Portant le nom de Bilali, il a été chargé par son oncle de payer des bœufs à Diafarabé. En cours de route, il sera escroqué et l’argent de son oncle partira en fumée.
Son talent de comédien confirmé depuis la Guinée Conakry ouvre aussi à Oumar Namory les portes du cinéma où Cheick Oumar Sissoko le sollicita pour son film “Finzan”.
Dans cette réalisation, surnommé Balla, il cherche la main de la femme de son grand frère décédé. Il réussira à faire respecter un principe de notre tradition, mais devant le désamour de la femme, le mariage a échoué. La femme, à la suite d’un scandale portant sur l’excision, retourne chez ses parents, laissant Balla dans le désarroi total.
En rencontrant Tiètèmalo, on a l’impression qu’il est né pour le théâtre, à cause de sa passion pour cet art. Cependant, il est regrettable quand il affirme que ce même art ne l’a pas nourri. Certes, il avait un salaire, mais la dimension de son talent devrait lui rapporter mieux. Ce qui nous a paru étrange, parce qu’à notre avis, il ne saurait participer à une dizaine de festivals et ne pas en avoir tiré profit. Parmi ces festivals, nous pouvons citer : le festival mondial amateur tenu en France en 1981 et celui de Nancy la même année ; la tournée africaine de sensibilisation en Côte d’Ivoire et au Burkina en 1982 ; le festival du théâtre amateur en 1983 en Yougoslavie. C’est au cours de ses multiples tournées à l’extérieur qu’il est tombé sur une dame de nationalité Suisse. Sous la forme d’une anecdote, Tiètèmalo nous explique comment il aurait dû avoir une deuxième nationalité, quand ladite dame s’est accrochée à lui lors d’un festival à Cape d’Aile en France. Mais le chef de la délégation malienne, et ses ainés, ne lui ont pas donné le temps de mordre à l’appât. Par respect pour eux, il a accepté leurs exigences.
Comment les choses se sont-elles passées ?
Tiètèmalo se rappelle : “En 1981, le Koteba national est parti à Monaco, en France, pour un festival et a logé dans un hôtel où se trouvait également une Suisse du nom de Marylène. Fille d’un homme très fortuné, elle était venue en vacances. Tous les matins, je me réveillais pour faire du sport. Surement qu’elle a été séduite par mon gabarit de sportif. Elle n’a pas manqué de subterfuges pour manifester son amour à mon égard. En réalité, je ne comprenais rien dans ses agissements. Finalement, elle m’a approché pour me faire une proposition de mariage avec résidence en Suisse. J’ai été surpris par sa démarche. Mon cœur balançait entre le oui et le non. Le jour de notre départ pour le Mali, la fille a suivi notre convoi jusqu’à l’aéroport. Mais il a fallu que je sois encadré par le chef de la délégation, Malick Coulibaly, (à l’époque directeur régional des Sports, des Arts et de la Culture) et les ainés du Koteba sur fond des services de sécurité, pour qu’elle se résigne “.
Pourquoi Oumar Namory n’a pas voulu qu’au moins un de ses enfants lui emboite le pas ? Pour répondre à cette question, il ne tourne pas autour du pot parce que celui qui a été mordu par un serpent a peur d’une simple corde. En d’autres termes, il pense que ses enfants doivent être à l’abri de ce dont il a été victime. D’ailleurs, comment comprendre qu’il n’a jamais été décoré par son pays ? Sinon une de ses filles a le profil type de comédienne.
Sous l’ère coloniale, les cadres étaient dispatchés dans les différents pays de la sous région. Son père malien s’est retrouvé en Guinée. Il était très attaché à son pays, pour avoir conseillé avant sa mort à sa famille de retourner au Mali. Effectivement, le vieux Kéïta décède, et les enfants respecteront sa parole. Tiètèmalo, qui est resté avec ses demi-frères, aura passé une enfance dure en Guinée.
En 1972, il décide de retourner à sa source avec son baccalauréat en poche. Et c’est là où il apprendra, à travers son oncle, notamment le Compol Mory Ousmane Keïta, que sa famille est originaire de Koursalé dans le Mandé.
En plus de l’identification de ses origines, son deuxième souci demeurait son avenir. Certes, il avait le baccalauréat, mais comment continuer les études au Mali pour construire son avenir ? Déjà en Guinée, il jouait au théâtre et a même effectué trois mois de stage de danse chorégraphique en Corée du Nord, dans le cadre du perfectionnement. Avec un tel atout, Oumar Namory Kéïta ne pouvait être un chômeur endurci. Il adressa en 1974 une demande au directeur national de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture, N’Tji Idriss Mariko. Lequel accordera une suite favorable à sa sollicitation et voilà Tiètèmalo artiste comédien au groupe dramatique, devenu plus tard le Koteba national. Evoluant sur un terrain connu, il trouve sur place d’autres comédiens comme Ousmane Sow, Fanta Berthé, Lassine Coulibaly dit Zankè, Mamoutou Sanogo, Bruno Maïga et autres, tous dotés d’un talent incontestable. Le nouveau venu apporte des innovations dans le style vestimentaire et les pas de danse couplés. C’est-à-dire trois pas de danse successifs pour un seul rythme.
Depuis son retour au Mali, Oumar Namory avait aussi le souci des études. C’est-à-dire comment valoriser le Bac qu’il a décroché en Guinée ? L’opportunité de rentrer à l’Institut national des Arts pour parfaire son cursus scolaire s’est présentée. Il en profita en 1978 dans la section art dramatique.
En 1983, à la surprise générale, Tiètèmalo décide de quitter le théâtre pour convenance personnelle. Se faire valoir autrement au service de son pays était son désir. Il demande un changement de corps pour être enseignant. C’est ainsi qu’il est reversé dans l’enseignement avec le grade de professeur de second cycle, spécialité Lettres-Histoire-Géo et affecté à l’école fondamentale de Missira I.
Après cinq ans de service, il pose ses valises à l’IPR de Katibougou comme maître d’internat jusqu’en 1991. Parce que, pour lui, avec le coup d’Etat, l’atmosphère était invivable. De retour à Bamako, il est muté à l’école de Fadjiguila et met ses compétences théâtrales au service de l’établissement à la faveur des semaines culturelles inter inspections.
En 1996, il est nommé directeur du second cycle de Korofina. Il a fait valoir ses droits à la retraite en 2014. Auparavant, il a occupé le même poste à l’école de Banconi Zékènèkorobougou.
Après une riche carrière dans différents domaines, Tiètèmalo prend du recul, malgré les sollicitations des écoles privées de la Commune I. Seulement, il finira par céder à l’offre de Hamidou Sampy qui lui proposa le poste de directeur administratif et artistique de l’Agence de Communication Créacom.
Mais vu son expérience et son talent, Oumar Namory Kéïta dit Tiètèmalo ne pouvait-il pas être un mentor pour la nouvelle génération ? Parce qu’à l’évolution, le théâtre a un grand rôle à jouer dans la société, pour non seulement sensibiliser, mais aussi porter un message pour un changement de mentalité et de comportement. Cela ne saurait être une réalité que s’il s’y met. Seulement, force est de reconnaitre que l’homme, après sa retraite, s’est effacé, de telle sorte qu’on ne le rencontre pas du tout dans le monde de l’art.
Qu’est-ce qui explique ce recul ?
L’enfant de Koursalé se dit très déçu par le comportement des artistes, parce que certains ne se sentent célèbres que dans l’alcool, la drogue, l’extravagance.
A 67ans, marié et père de 7 enfants, Tiètèmalo, après ses heures de travail, passe beaucoup de temps à la mairie de la Commine I. Et c’est là où nous l’avons rencontré pour parler de son parcours.
Dans son langage malinké et sa physionomie, l’homme n’a pas changé. Il est resté tel que nous le connaissions sur le petit écran en 1983, au tout début de l’histoire de la télévision au Mali. Contrairement à ce que nous avons pensé, ce n’est pas le clown qui nous a reçus. Mais un homme sympathique et très sérieux, un homme à plusieurs facettes.