La France veut relancer une initiative au Conseil de sécurité pour obtenir un financement pérenne de cette force africaine antiterroriste, alors que la sécurité ne cesse de se dégrader.
Près de deux ans après son lancement, la Force conjointe antiterroriste du G5 Sahel (FC-G5S) fait face à une crise existentielle provoquée par des problèmes de financement et des interrogations sur sa capacité opérationnelle. Sur les 415 millions d’euros promis en 2018 par la communauté internationale, un peu moins de la moitié a été déboursé et 199,5 millions d’euros n’ont toujours pas été versés selon l’ONU.
Dans un rapport remis au Conseil de sécurité, lundi 12 novembre, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, s’alarme « des conditions de sécurité (…) qui se sont rapidement détériorées au cours des six derniers mois » dans la zone dite des « trois frontières » entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, avec une extension des menaces à l’est de ce pays. « La Force conjointe continue de se heurter à un manque important de formation, de moyens et de matériel (…) qui constituent des problèmes majeurs qui retardent la reprise des opérations de la Force conjointe », estime M. Guterres.
Face à cette menace terroriste accrue, la France, par la voix de son représentant, François Delattre, a de nouveau appelé, jeudi 15 novembre, à une « matérialisation sans délai » de l’aide promise par la communauté internationale pour rendre pleinement opérationnelle cette force africaine innovante regroupant les cinq pays de la région sahélienne (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger, Tchad) censés combattre les groupes jihadistes.
Des maux et des retards
Il a annoncé par ailleurs que Paris – qui fait du G5 Sahel une de ses priorités stratégiques – souhaitait que le Conseil de sécurité réexamine le soutien apporté au G5 « dès que la force sera pleinement opérationnelle » pour lui donner le mandat de l’ONU qui lui fait défaut et lui assurer un financement pérenne et prévisible. Les diplomates visent le premier semestre 2019, le temps, espèrent-ils, de convaincre les Américains qui refusent que l’ONU offre un soutien plus large et plus complet au G5 sur le modèle de l’Amisom, en Somalie. Ils ont encore estimé hier que l’aide bilatérale restait « la meilleure des solutions ».
Les soldats manquent de protection contre les mines artisanales et de véhicules blindés. Les bases d’opérations ne sont toujours pas « sûres et fortifiées », ce qui limite le déploiement des militaires. Quant à l’accord technique signé entre la Minusma (la mission des Nations unies au Mali) et le G5 Sahel, sa mise en œuvre est laborieuse faute de chaînes d’approvisionnement logistique permettant de transporter du carburant et des vivres depuis les bases de la Minusma aux postes de commandement de la Force conjointe.
Initialement lancée en 2015, réactivée en 2017, la FC-G5S a accumulé les maux et les retards, à commencer par la difficulté des cinq pays constituant cette force à s’accorder sur un plan d’action commun. Le 28 juin dernier, c’est un attentat meurtrier qui a totalement détruit son centre de commandement situé à Sévaré, au centre du Mali, mettant un coup d’arrêt aux opérations antiterroristes. En dix-huit mois, la force, qui compte actuellement 4 000 hommes déployés sur le terrain sur les 5 000 promis, n’a mené que six opérations avec l’appui direct et logistique de l’opération française « Barkhane » et sans jamais croiser le fer avec les djihadistes qu’elle est censée combattre.
Depuis cet attentat, le secrétariat général du G5 Sahel a annoncé le déménagement du centre de commandement à Bamako et le remplacement du général malien Didier Dacko par le Mauritanien Hanena Ould Sidi à la tête de cette force. Là encore, non sans difficulté. « On attend que les autorités maliennes nous proposent un local », a déploré lundi le nouveau commandant de la force lors de sa rencontre avec la ministre de la défense, Florence Parly « Quand on n’a pas de bureau pour travailler, pour réfléchir, on ne peut pas avancer. »
« La situation humanitaire au Sahel reste désastreuse et continue d’être aggravée par la hausse de l’insécurité et les effets des changements climatiques », affirme le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres
La pleine opérationnalisation de la FC-G5S, qui devait initialement avoir lieu à l’automne 2017, n’a cessé d’être repoussée. « Aucun nouveau calendrier n’a été défini », regrette Antonio Guterres, qui a aussi invité les cinq Etats membres à clarifier le concept d’opération de la force pour « témoigner d’un objectif commun (…), mais aussi stimuler la confiance des donateurs ». « La priorité des priorités est la reprise des opérations dans les toutes prochaines semaines », a insisté l’ambassadeur français, qui souhaiterait initier une dynamique vertueuse pour faire bouger Washington.
La montée en puissance de cette force africaine et sa réussite dépendent aussi de la capacité de ses promoteurs à engager des initiatives de développement. « La situation humanitaire au Sahel reste désastreuse et continue d’être aggravée par la hausse de l’insécurité et les effets des changements climatiques », écrit M. Guterres.
Quarante projets de développement ont d’ores et déjà été identifiés pour ce qui constitue la première phase du programme dit « d’investissements prioritaires » prévu pour les années 2019-2021 dans le cadre de l’Alliance Sahel. La première conférence des bailleurs doit se tenir le 6 décembre à Nouakchott. Sans grandes illusions pour le secrétaire permanent du G5, Maman Sidikou, qui a fait mine de s’interroger : « Comment financer 1,9 milliard de dollars pour le développement quand 414 millions n’ont pu être mobilisés en faveur de la sécurité ? »