« Centre Mali : les populations prises au piège du terrorisme et du contre-terrorisme », c’est le titre du dernier rapport publié par la FIDH (Fédération internationale des droits de l’Homme) et l’AMDH (Association malienne des droits de l’Homme) sur la situation dans le centre du Mali.
Cette zone, selon les deux organisations de défense des droits de l’Homme, concentre désormais 40 % des attaques djihadistes menées dans le pays. Ces deux dernières années, expliquent-elles, 1 200 civils y ont été tués, une cinquantaine de villages brûlés, au moins 30 000 personnes ont fui la région.
La situation au centre du Mali, selon la FIDH et l’AMDH, est aujourd’hui caractérisée par l’enracinement des groupes armés terroristes, l’intensification des violences intercommunautaires, et par des exactions commises dans le cadre d’opérations anti-terroristes. Le président de l’AMDH, Me Moctar Mariko est formel : « L’escalade des violences au Centre du Mali est en passe de devenir hors contrôle et ne se résoudra pas à coup d’opérations militaires spectaculaires. Sans retour d’un État fort et juste, qui entreprendra de rétablir le lien entre toutes les communautés, la terreur djihadiste et les affrontements entre communautés continueront de prospérer.»
Diktat terroriste
Le rapport indique que les premiers responsables de la terreur et de l’instabilité sont les djihadistes. Assimilant depuis 2012 le Centre du Mali comme une « zone à gagner » par la terreur, note le rapport, les djihadistes n’ont depuis cessé de le déstabiliser, avec une acuité accrue depuis 2015. «Sous l’impulsion d’Amadou Koufa, un prédicateur local devenu un des chefs de la nébuleuse Al Qaida au Sahel, la Katiba Macina a ciblé militaires, représentants de l’État, chefs traditionnels et religieux, et toute personne opposée à leur vision rigoriste de la religion. »
La FIDH et l’AMDH expliquent aussi que plusieurs dizaines de villages du Centre Mali vivent désormais sous leur joug, caractérisé par l’imposition de règles de vie totalitaires, des exactions graves et répétées (enlèvements, actes de torture, assassinats, violences sexuelles), et la fermeture des écoles publiques (750 écoles fermées selon l’UNICEF en mai 20181).
Absence de l’Etat, milices communautaires et exactions
Selon la FIDH et l’AMDH, des milices communautaires comblent dangereusement le retrait de l’État. Dans le centre Mali, soutiennent-elles, l’effondrement des services de l’État à partir de 2012 a conduit à un vide sécuritaire et judiciaire.
Ce vide « a été comblé par la multiplication des milices d’autodéfense, essentiellement constituées sur des bases communautaires et ethniques, et désormais d’armes légères. » « Qu’elles soient Peuls, Bambaras, ou Dogons, équipées elles ont contribué à l’infernal cycle d’attaques et de représailles. La passivité de l’État face aux exactions commises par plusieurs milices, notamment Donsos, questionne sur les soutiens politiques dont certaines bénéficient», expliquent le rapport.
Les deux organisations de défense de droits de l’Homme précisent aussi que « les abus de certaines opérations antiterroristes sont un obstacle au retour de l’État.» « Les Forces Armées Maliennes (FAMA) ont été lourdement impactées par la déferlante djihadiste de 2012 dans le Nord Mali, puis les attaques incessantes des groupes islamistes. Début 2018, les autorités maliennes ont lancé un « Plan de sécurisation intégré » des régions du Centre, prévoyant un renfort de 4 000 militaires et des moyens supplémentaires.
Il s’est traduit par le lancement de l’opération anti-terroriste « Dambé » en février 2018, au cours de laquelle près d’une centaine de personnes auraient été exécutées sommairement et de façon extra-judiciaire. » Au cours des six opérations, selon le rapport, des unités des FAMA ont notamment arrêté et exécuté 67 individus présentés comme des « terroristes » et ont fait disparaître leurs corps dans des fosses communes. « La majorité des victimes sont des civils Peuls assimilés aux djihadistes »
Selon Me Drissa Traoré, le vice président du FIDH, « Certaines opérations anti-terroristes des FAMA ont été de véritables expéditions punitives, répondant au même mode opératoire : arrestations sur la base de liste de noms, exécutions sommaires, enfouissement des corps dans des fosses communes. Ces crimes n’ayant donné lieu à aucune condamnation risquent de se poursuivre, alors qu’ils sont commis contre des civils désarmés, qu’ils soient ou non des soutiens des djihadistes.»
Pour Florent Geel, le directeur Afrique de la FIDH, l’expansion continue des groupes armés djihadistes au Mali et dans toute la sous région marque l’échec du tout sécuritaire.
Selon lui, reconquérir la confiance et le cœur de toutes les populations nécessite un changement de cap et de politique au Mali comme dans le reste du Sahel.
« La stratégie militaire doit s’arrimer aux objectifs politiques, en redonnant à l’État son rôle de protecteur et d’arbitre juste des différents. Les populations demandent avant tout à pouvoir vivre en paix. Leur redonner confiance passera obligatoirement par le jugement des responsables des crimes graves, qu’ils soient djihadistes, membres de milices, ou agents de l’État », explique le responsable de la FIDH.
Le centre du Mali est aujourd’hui devenu une poudrière.
Les populations de cette zone du Mali subissent au quotidien le diktat des terroristes. Pire, l’amalgame dans la lutte contre le terrorisme divise les différentes communautés. Le lundi 19 novembre, selon les autorités sécuritaires maliennes, « les Fama, dans leurs missions de sécurisation et de protection des populations, ont détruit un groupe armé dans la localité de Kolongo, un village situé dans le cercle de Bankass, région de Mopti. » Au cours de cette opération, précise l’armée malienne, les Fama ont tué quatre assaillants et fait 15 prisonniers, elles ont aussi récupéré vingt et deux armes collectives et individuelles et une quantité importante de munitions.
Cette version de l’armée malienne est battue en brèche par le groupe armé d’auto défense Dan Na Ambassagou qui estime avoir été plutôt « attaqué » par l’armée malienne. En octobre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est « déclaré profondément préoccupé par la détérioration persistante des conditions de sécurité dans le centre du Mali. » Jean-Pierre Lacroix, le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, est préoccupé par la situation qui prévaut en particulier dans le centre du pays, une région qui, lors des deux tours de l’élection présidentielle, a concentré près de 80% des centres de vote affectés par l’insécurité.