Le samedi 17 novembre 2018, le terrain de football de Fana a refusé du monde, à la faveur du concert gratuit pour rendre hommage à la petite Ramata Diarra assassinée à la veille de la présidentielle malienne. Un public coloré s’est installé tôt car les concerts gratuits de Salif Keita ne se font pas tous les jours.
Tout de blanc vêtu, Ousmane Wélé Diallo, albinos, arrive au concert. «Je viens de Bamako avec ma femme et mes enfants suivre le concert et soutenir notre cause en rendant hommage à Ramata Diarra», nous confie-t-il. Comme les autres albinos et invités d’honneur, la famille Diallo s’installe dans la loge officielle, juste devant le géant podium avec sons et lumières pour la scène. Pourtant, «Je n’aime pas trop de lumières, surtout les ampoules géantes de la scène me frappent, mais ce soir j’accepte pour notre cause», affirme Ousmane Wélé Diallo.
Peu après, un cortège de véhicules et cars franchissent le portail principal du terrain de football. C’est l’arrivée des invités et des artistes, sous une escorte des forces de l’ordre dont certaines étaient déployées tout autour du lieu de concert placé au centre de la ville de Fana.
«Nous veillons pour la sécurité de tout le monde. Fana n’a jamais vu un tel regroupement humain encore moins un grand concert avec des artistes internationaux», déclare l’adjudant-chef Mamady Touré de la garde nationale.
«Je suis très contente d’être là ce soir, je suis venue de Ségou pour le concert de Salif Keita. Je ne savais pas qu’il y aurait tant de monde et tout le monde danse sans bousculade», se réjouit Mariam Koné, spectatrice.
Une brochette d’artistes musiciens en herbe, des humoristes et slameurs ont fait la première partie du concert. «Ça commence très bien, tout le monde chante et danse pour remercier Salif Keita et rendre hommage à Ramata Diarra, vous avez vu ses parents sur la scène. Ils ont remercié tout le monde. Ici à Fana, on ne demande que la libération des personnes arrêtées dans cette affaire», lâche Lassana Diabaté, le grand griot de Fana.
«L’albinisme n’est pas une maladie, nous ne devrons pas être des produits pour les hommes politiques et la risée pour certains de nos parents. Je condamne les crimes contre tous les albinos, je suis Fana, je suis Ramata, je suis toutes les victimes des ignominies de certains assoiffés du pouvoir», soupire Karim Diallo, slameur malien.
À la suite du jeune touareg Kader, qui a fait danser le public, Safi Diabaté, dans une ambiance survoltée, a maintenu le cap avec trois titres. «Avec Salif Keita les albinos sont désormais rassurés. Nous sommes des femmes, nous sommes des mamans et nous savons ce que c’est qu’un enfant. C’est pour cela que nous sommes dans ce combat. Personne ne doit sacrifier un albinos pour son pouvoir, personne ne doit vendre les cheveux ou organes d’un albinos. Trop c’est trop. Je suis venue à Fana parce que je dois mener ce combat pour sauver des vies humaines», s’exclamait Safi Diabaté, artiste malienne, lors de sa prestation sur la scène.
Les jeunes de Fana étaient sortis massivement pour ce concert. «Nous demandons la libération de nos amis et camarades, c’est ce que Fana demande. Ils ont dit qu’ils sont arrêtés parce que l’Etat ne voulait pas d’autres troubles pendant les élections, les élections sont finies, on doit les libérer», souhaitent-ils.
Le même souhait avait été repris par Salif Keita, qui avait été précédé sur la scène par Ismaël Lo du Sénégal, seul artiste international à avoir pris part à ce grand concert. «Nous sommes ici ce soir pour que ce qui est arrivé à Ramata ne se reproduise plus jamais, et cela doit être le combat de nous tous. Plus jamais ça à Fana, au Mali, en Afrique et dans le monde», fulmine Ismaël Loh, artiste sénégalais.
«Je demande, pour l’amour de Dieu, je demande au président IBK de libérer les personnes arrêtées. Je vous en prie, M. le président, faites libérer ces personnes», avait déclaré Salif Keita avant de commencer sa prestation. Il a fait danser le public pendant 45 minutes avec des titres d’hommage à la bravoure des femmes. Une chanson de son nouvel album avant de clôturer avec le morceau intitulé ”blanc et noir”, un hommage aux albinos.
«J’ai eu la chance de danser sur la scène aux côtés de Salif Keita», s’exclamait, de son côté, Mamy Touré, une fillette de 9 ans, qui a passé toute la soirée à danser aux côtés des autres albinos.
Pour son dernier morceau de la soirée, Salif a fait monter sur la scène tous les albinos et les délégations venues d’Afrique et du monde. «Très heureuse d’être à ce grand concert, nous remercions Fana pour cette grande mobilisation. Je suis fière d’être albinos, je suis Ramata, plus jamais ça», chantonnait la jeune artiste sénégalaise Mah Koudia, albinos.
«Très satisfaite et contente. Dieu merci, tout s’est bien passé, aucune bousculade même si le stade était plein à craquer ; ce n’est pas facile de réunir 5000 personnes pour un tel concert. Nous remercions tout le monde, les parents de Ramata, les populations de Fana, ce charmant public et toutes les délégations venues du monde pour nos activités et ce grand concert», se réjouissait Keita Coumba Macalou, présidente de la Fondation Salif Keita.
Avant de descendre de la scène, Salif Keita a remercié tous les participants, les populations de Fana, la famille de Ramata Diarra et les autres albinos, qui sont venus de par le monde. «Aucune âme n’est supérieure à une autre, on ne va plus laisser faire. C’est le début d’un combat à Fana. Pourquoi ôter la vie d’une innocente, d’une fillette de 5 ans ? Nous allons faire ce combat. Nous ne voulons plus voir ça au Mali, que nos autorités prennent des dispositions, parce que, désormais, nous n’allons plus nous taire à face à cette agression ou atteinte portée à nos vies», conclut de fort belle manière Salif Keita.
Kassim TRAORE
Diarra Awa Touré, mère de Ramata la fillette albinos assassinée
«Je commence par remercier tout le monde pour cette soirée. Au début, je me sentais seule mais avec ce grand concert et les condamnations faites devant le monde, je ne me sens plus seule. Grâce à Salif Keita, aux bonnes volontés et à la population de Fana, la justice est en train de travailler sur le dossier. Les autorités nous avait donné des assurances, mais avec les condamnations que je vienne d’entendre les choses vont bouger positivement.
Aujourd’hui tout le monde sait qu’une fillette de 5 ans a été assassinée à Fana parce qu’elle est albinos ; le monde s’est mobilisé pour la cause de ma fille Ramata Diarra, que ce monde ne baisse plus les bras afin que les albinos puissent vivre en paix partout dans le monde. Nous demandons aux autorités de libérer les gens qui sont arrêtés, parce que les populations de Fana ne comprennent pas pourquoi ils sont arrêtés, alors que le principal meurtrier est introuvable.»