Les jeunes Africains qui sont nés le jour de son sacre viennent d’atteindre le demi-siècle. Yambo Ouologuem a été le premier fils de notre continent à être couronné de ce prestigieux prix de la littérature française. Cette reconnaissance qui annonçait une flamboyante carrière digne du génie de l’écrivain va se révéler le début d’une descente aux enfers pour un intellectuel inclassable. Loin des lambris dorés, et retiré chez lui à Sevaré, il prouvera à ses détracteurs qu’il vit aussi bien dans une chaumière que dans un appartement cossu. Moustapha Dicko, ancien ministre et homme de Lettres lui rend un brillant hommage sous la forme d’un devoir de mémoire.
Cela faisait la troisième ou la quatrième fois en l’espace de quelques années que je revenais à Harmattan au quartier Latin de Paris et autant de fois que je lui demandais s’il avait trouvé pour moi le livre. Yann Noël, le libraire, me considéra longuement et me répondit:” Vous y tenez vraiment, monsieur, je ne l’ai malheureusement pas encore dans mes rayons. Mais vu que vous y tenez tant, revenez demain, je vous apporterai mon exemplaire personnel que j’ai à la maison”. Je reviens le lendemain à l’heure dite et Yann Noël me tend le livre blanc bordé de rouge que je reconnus tout de suite. Il ne voulut rien me prendre en retour. J’étais très heureux et le remerciai de tout mon cœur. Je ne reviens à Paris que longtemps plus tard; je me rends à Harmattan avec dans mon sac un cadeau. Yann Noël n’y était plus! Le numéro que l’on me donna pour pouvoir le joindre ne me fut d’aucune utilité. Je reviens avec mon cadeau et le souvenir d’un homme qui un jour me rendit tellement heureux et ne voulut rien en retour que la joie qu’il lut sur mon visage, que le bonheur qu’il imaginait être le mien après tant d’aller-retour pour un livre!
“Le Devoir de Violence” de L’écrivain malien Yambo Ouologuem, Prix Renaudot 1968.
J’avais eu la chance de lire “le Devoir de Violence”. Mon ami Sidi Moctar Berthe, Professeur de français me l’avait prêté et je l’ai lu d’un trait. J’étais impressionné par la plume de Yambo Ouologuem, je ne suis pas sur d’avoir compris grand-chose mais j’étais subjugué par le style: ces expressions en arabe, en dogon, en peulh, en bambara, en Wolof qui ponctuaient les paragraphes faisait du roman avec les noms des lieux une œuvre africaine, qui vous rendait proche et lointain le pays que l’on décrivait.
Ce jour-là de mai 1979, si ma mémoire m’est fidèle, avant le début de mon cours j’ai demandé aux jeunes dogons de la classe de me dire comment on prononce cette expression que Yambo Ouologuem utilise dans son roman:” Amba, koubo oumo agoum”. Les Élèves prononcèrent l’expression, puis l’un d’eux me dit que Yambo Ouologuem lui-même est à Sevare chez son père! Et il m’indiqua la maison.
J’étais pressé de finir mon cours.
Je racontai à mes collègues et voisins ce que je venais d’apprendre et nous décidâmes de rendre visite au grand homme.
Nous arrivâmes, Sidi Moctar Berthe, Moumini Kouyate qui enseignait aussi le français au second cycle et si mes souvenirs sont bons, Adama Moussa Guindo, Professeur de Biologie et moi-même un samedi après-midi dans la famille de Yambo Ouologuem. Nous trouvâmes sa mère déjà d’un certain âge devant la porte, assise sur un banc. Elle nous dit que Yambo était à l’intérieur et qu’on y trouverait aussi son père.
En effet l’ancien inspecteur d’académie Boucari Ouologuem était assis sur un fauteuil au fond d’une cours avec beaucoup de végétation: des arbres, des fleurs rendaient l’endroit plus frais. À notre salutation il souleva les yeux de son livre, nous demanda d’avancer et de prendre les chaises qui étaient tout à côté. La mère de Yambo, Aissata Karambe, nous avait aussi accompagné de la voix en peulh:” de la visite pour Amadou!”.
Le père de Yambo nous reçut chaleureusement et avec beaucoup de courtoisie et de respect. Il nous dit que son fils était en train de prier à l’intérieur mais qu’il ne saurait tarder.
Nous nous présentâmes. Les jeunes professeurs que nous étions, visiblement, étaient les bienvenus pour le vieil inspecteur d’académie, l’un des premiers dans notre pays. Nous causâmes assez longuement; le père nous demandant de patienter et que Yambo finirait d’un moment à l’autre.
Le père braqua les yeux en direction d’une porte qui était tout à côté et émit un “ah!” Un homme plutôt petit de taille, d’une forte corpulence prise dans une gandoura bleue et portant un bonnet de même couleur, avec de gros yeux, ou se lisait une certaine curiosité, sortait de la porte.
– Amadou, dit son père, ce sont des professeurs du lycée qui sont venus te saluer. Nous nous étions levés tous, mus par le même élan, le même aimant peut-on dire.
Amadou nous serra la main, regardant chacun fixement dans les yeux, en saluant et répondant:” enchanté!” au fur et à mesure qu’on se présentait à notre tour. Il avait de beaux yeux qui ne clignaient pas beaucoup. Il avait de la classe malgré son habillement qui faisait très paysan. Il prit une chaise et s’assit parmi nous. Son père nous laissa seuls.
Nous avons passé une très belle après-midi. Nous avons parlé de beaucoup de choses; nous avons posé beaucoup de questions et Yambo répondait avec beaucoup d’égard et de bienveillance. Et ses mots avaient le poids de sa renommée mondiale multipliée par sa présence physique inattendue. Nous n’avons pas senti passé le temps, nous n’avons pas vu venir l’heure de la prière du fitr et nous primes congé de notre hôte avec la promesse de revenir très vite et très souvent si cela agréait naturellement et ne perturbait pas l’immense homme de culture, l’encyclopédie vivante que nous venions de découvrir!
Un fils très respectueux !
Je revins souvent voir l’écrivain avec mes amis ou seul, mais sa maison devint pour moi une destination assidue. Je ne revenais pas de mon éblouissement, j’étais parfois étourdi par la vivacité de cet esprit, par l’immense diapason des connaissances de l’homme. Et ce n’était pas seulement dans le domaine de la littérature, c’était une culture pointue avec un regard perçant et à propos de choses aussi diverses que variées. Il pouvait parler de la France, de l’Amérique, parler de son parcours scolaire, du temps colonial ou de l’actualité. Parler agriculture, élevage, parler de l’Egypte et raconter des anecdotes du terroir; parler politique et astronomie, cinéma, En somme un esprit vif, alerte, profond, que rien ne surprend, ne prend à défaut comme s’il avait par avance penser à tout! Jusqu’à l’art culinaire où il aurait donné les recettes de sa mère qui n’en était pas peu fière:
– Amadou a mis mon nom dans ses livres où il explique comment faire la cuisine! Vous me voyez ça?
Yambo était un fils très respectueux, jamais il n’interrompait ni son père, ni sa mère quand ils parlaient. D’ailleurs si je ne m’abuse, il n’interrompait pas l’interlocuteur en général; il avait un grand sens de l’écoute, les yeux fixés sur celui à qui il s’adresse. L’homme ne riait pas beaucoup mais faisait rire souvent avec toutes les anecdotes qu’il racontait.
Un soir le lycée public organisa une projection de film dans sa salle de Conférence. Nous sommes arrivés à temps mes amis et collègues professeurs dans une salle envahie déjà par les lycéens. Yambo Ouologuem et son père aussi étaient là, assis côte à côte. Le film de ce soir-la s’intitulait “La peau douce” Nous étions assis pas très loin et tout le temps de la projection nous entendions la voix basse de Yambo parlant à son père.
A la fin de la projection vers 23h30 nous nous approchâmes de l’écrivain et de son père pour les saluer. Après les salutations et quelques commentaires le père prit congé .Il nous laissa nombreux autour de Yambo Ouologuem, beaucoup de professeurs et beaucoup de lycéens. Tous voulaient voir l’écrivain de plus près, tous voulaient l’entendre. Quand nous nous séparions il était bientôt trois heures du matin! Yambo nous a décortiqué le film.
Sa lecture était très différente de la notre, comme si nous avions regardé des films différents. Les images, les actions, les séquences, les personnages, les objets, les couleurs, tout avait un sens, tout était lié de telle façon dans les propos de Yambo Ouologuem que nous découvrions une face cachée des choses que nous étions très loin de soupçonner. Il nous parla du Nouveau roman, de Jean Cocteau, de la société française de l’époque du film etc… Nous comprîmes alors que c’est cela qu’il expliquait à son père tout le long de la projection.
Il m’a parlé de Senghor !
J’ai poursuivi de façon régulière mes visites à l’écrivain; il s’est établi entre nous une relation de confiance, ce qui m’a valu sûrement qu’il me montrât un de ses manuscrit : l’écriture était très petite, les mots colles entre eux et chaque page signée; il m’a dit qu’il fallait ça sinon dans ce milieu-là tout peut arriver. Or il ne parlait plus souvent de son œuvre et plus on avançait dans nos rencontres plus il s’attardait sur la religion pour finir par ne parler plus que de ça. C’est ainsi qu’il me lut le Coran en 1986. C’était en français mais la lecture avait cette particularité que Yambo parlait chiffres, sourates et sens et le tout paraissant tellement cohérent qu’on est simplement surpris.
Parfois il nous est arrivé de nous promener dans la ville de Sevare. C’était toujours des moments pour apprendre auprès du grand homme et tout était prétexte à une découverte pour moi; pour Yambo Ouologuem, prétexte à partager avec un élève attentif. Tel jour il me demanda l’âge des gens que nous rencontrions sur notre chemin. Je me risquais à une réponse après avoir examiné la personne qui s’avançait vers nous et que nous arrêtions à notre niveau. Et il m’expliquait le secret de l’âge sur le visage, sur les rides à l’angle des yeux. Et il me disait comment l’écrivain devait apprendre à retenir les couleurs, les saveurs, les odeurs, à les différencier, à les reconnaître etc… Parfois il me parlait des plantes et de leurs propriétés.
Telle cette herbe que son père avait plantée au pied de leur mur dans la cour et dont nous pressions la sève dans les yeux parce-que cela était bénéfique pour la vue. Il m’a raconté, entre autres, comment fut découvert le médicament contre les morsures de serpent: un chasseur vit un jour comment une biche qui s’est fait morde par un serpent a couru vers une plante, en mangea les feuilles, puis se coucha à côté. Au bout d’un certain temps la biche se leva et s’en alla, gaillarde. Le chasseur cueillit cette herbe puis la fit sécher et aida à guérir des gens mordus par des serpents. Il m’apprit à utiliser l’écorce du kaïlcédrat bouilli et refroidi plus le citron comme boisson pour rester éveillé de façon saine à l’exclusion du café, du thé de la cigarette que les jeunes utilisent. Il m’a raconté comment il restait des jours entiers sans dormir plus de trois heures et comment il décrochait le weekend pour avoir le maximum de temps de travail sur ses œuvres.
Tout devenait vivant dans la bouche de Yambo Ouologuem, il savait plus que quiconque capter l’attention de l’interlocuteur et il était absolument naturel quand il parlait: il ne cherchait pas à faire de l’effet, il ne cherchait pas à impressionner; il était impressionnant par la pertinence de son propos.
Nous avions bien sûr parlé de son œuvre au début. Nous avons parlé de ses relations avec ses pairs écrivains africains et occidentaux. Il m’a parlé de Senghor auquel on voulait l’opposer, pensant que son roman était dirigé contre la négritude; c’est dans le dessein de les voir polémiquer qu’il fut invité à Alger en 1969 et mis dans toutes les conditions; mais il ne dira rien contre Senghor. Le jour d’ailleurs de notre première visite avec mes amis, Yambo Ouologuem a répondu à quelques questions sur le roman: pourquoi ce titre? Pourquoi le personnage principal s’appelait Raymond Spartacus Kassoumi etc. Je crains de ne pouvoir me souvenir des réponses de façon nette, absorbé que j’étais par l’émotion d’être devant le lauréat du Renaudot. Mais l’idée que je me suis faite en recoupant les conversations avec l’écrivain, mes lectures de ses œuvres, ce que j’ai entendu ou lu par-ci par-là me permet de retenir ceci.
Beaucoup de choses sont dites sur les noirs et sur l’Afrique, bien sûr, en mal. Même ceux qui veulent paraître les amis des noirs en fait les dépeignent avec une telle condescendance que l’on a de la peine à les reconnaître. Les noirs, ceux qui sont allés à l’école et qui présentent leur Afrique, la dépeignent de façon tout aussi idyllique que les amis blancs des africains sur qui ils s’appuient souvent d’ailleurs pour faire découvrir leur culture.
Yambo Ouologuem ôte ce vernis qui déforme la vérité et la réalité des choses. Pour lui il n’y a rien à cacher. Les Africains sont ce qu’ils sont, des hommes comme les autres, dont l’origine peut être imagée comme celle des autres; on peut la construire à l’image de la genèse dans la bible: tout est pure imagination et fantaisie de ceux qui ont l’art d’écrire .Jusqu’à la malédiction de l’enfant qui voit la nudité de son père, tombant de cheval et qui en héritera “la Violence” qu’il rependra sur tout le reste de la généalogie. Mais ceux qui viendront coloniser l’Afrique ne sont pas meilleurs: ils ne savent pas qu’ils sont seulement et déjà ” l’assistance technique ” qu’utiliseront les roitelets et les notables africains pour davantage asservir leur peuple. Et c’est cela leur similitude. Et les notables qui avaient envoyé leurs esclaves à l’école des blancs utiliseront leurs esclaves devenus les équivalents des blancs pour mettre fin à la colonisation. Mais la dynastie des Saif n’a pas qu’une histoire africaine d’ailleurs, elle a aussi des origines juives et avec les arabes, entretenait un commerce florissant d’esclaves.
Il y a une espèce de jeu de miroir entre tous les protagonistes, un lien secret unit entre elles toutes les races en présence: l’amour entre Madoubo et la fille de l’ethnologue, les scènes d’homosexualité, les scènes de Pigalle, les échanges entre Henri et Saif, le jeu des échecs etc….
Et pour conduire à l’indépendance, c’est-à-dire à la future interdépendance, c’est celui qui a assimilé tout ce jeu entre les peuples et les civilisations qui prendra les choses en main. Mais ce n’est pas tout à fait lui, d’où le jeu d’échecs à la fin entre Henry le prêtre et Saif, cependant que la flûte à la vipère va de l’un à l’autre. Et Yambo Ouologuem nous l’avait dit: la vie est un jeu où l’on pousse son pion pour poser un piège à son adversaire, qui doit découvrir le piège, et l’ayant découvert, est condamné à l’éviter pour à son tour poser un piège et ainsi de suite sans fin.
Je relis sans fin, avec toujours le même bonheur, avec toujours le même éblouissement, me rappelant les propos de l’auteur à différents moments de nos rencontres qui ont duré de 1979 à 1986. Et je découvre toujours des choses nouvelles pour moi. À Leningrad, en Union Soviétique à l’époque où j’écrivais ma thèse sur Léon Tolstoy j’ai demandé “Le Devoir de Violence” à la Poublichnaia Bibliotheka pour me changer les idées. Il m’arrivait de rire longuement à la lecture des expressions en langues africaines qui ponctuaient certains paragraphes du romans. Et j’en découvrais le sens sous un autre jour que quand je le lisais au Mali. Et cela me reposait beaucoup l’esprit et je repartais ragaillardi pour quelques temps. Ces expressions en Dogon, en peulh, en bambara, en Wolof donnaient à l’œuvre de Yambo un ancrage profond dans la terre africaine qui devenait une seule entité par le noms des contrées qui appartenaient à tout le continent. Et le Yame devenait un grand fleuve africain au lieu de la rivière impétueuse en hivernage de Bandiagara.
Yambo Ouologuem, jeune auteur de 28 ans, obtient avec son premier roman le prestigieux prix Renaudot. L’écriture est belle, puissante, les descriptions d’une plasticité déroutante, d’une poésie pénétrante, le mot juste. Une telle connaissance de sa propre culture et à la fois de la société et de la culture occidentale réunie dans un esprit si jeune et étranger; une description d’un continent et d’une culture méprisée, piétinée, ignorée par un de ses enfants alors que tous ses frères voulaient donner une autre idée, une autre dignité, la décrivant idyllique, heurte si fort que quand ils reviennent de leur étourdissement devant une telle puissance, une telle impertinence, s’en prennent à lui et veulent lui tordre le coup et étouffer sa voix. Tel est le destin singulier de cet écrivain majeur.
Personne ne vint à son secours. Personne d’ailleurs ne pouvait: il n’y avait rien à défendre. Il s’est défendu. Comme lui seul sait le faire: “Lettre à la France Nègre” dévoile tous les secrets et proclame l’homme sous tous les cieux nègre de quelqu’un qui l’exploite. Et le secret pour y échapper.
“C’est pour tous les pauv’gars de votre acabit, que moi, un Nègre, j’ai travaillé comme un Blanc: en pensant. Hihi!” (Lettre p.166).
Un avant et un après « Le Devoir de violence »
Beaucoup de maliens n’ayant pas d’explication à ce qui est arrivé au grand écrivain ont trouvé comme toujours la solution de facilité: dans son livre l’auteur aurait divulgué les secrets de la culture Dogon; les Dogons, jaloux de leur culture et ne l’ayant pas autorisé à écrire ce qu’il a écrit, lui auraient jeté un sort pour le punir. Puis tout ce qui lui est arrivé, arriva.
On pourrait se demander quel tabou a-t-il transgresser en Occident pour envisager une explication à la violence déchaînée contre l’auteur du “Le Devoir de Violence”, l’acharnement à l’ignorer, à l’humilier au point de nier l’évidence: Yambo Ouologuem est un des meilleurs écrivains au monde. Il était jeune et promis à un avenir fulgurant en tant qu’écrivain. Maintenant on le sait, il envisageait toute une fresque en quinze volumes! Il ne quémandait pas sa place et connaissait la société occidentale de l’intérieur et la décrivait sans complexe (” Les Mille et Une Bibles du Sexe” écrit sous le pseudonyme d’Uttoh Rudolph ). Il était subtil et impertinent. Donc gênant!
Recevant le prix Nobel de Littérature en 1986, le grand Wole Soyinka citera “l’iconoclaste Yambo Ouologuem” parmi les écrivains africains qu’il jugeait dignes du Prix.
L’annonce d’une conférence sur Yambo Ouologuem ou devait prendre part Dany Laferrière, écrivain haïtien, membre de l’Académie Française disait :“L’auteur fut aussi accusé de plagiats et, pendant cinquante ans, le roman pâtira de ces attaques. Or cette oeuvre doit se lire comme un montage vertigineux composé de réécritures de textes venus de nombreux horizons. Une épopée qui se situe au niveau des plus grandes œuvres de la littérature mondiale. Un demi-siècle après sa parution, le Seuil rétablit ce texte majeur dans la collection Cadre Rouge où il avait originellement paru ».
Dans sa leçon inaugurale au Collège de France, Alain Mabanckou, Prix Renaudot 2006, réservera une place à part à l’écrivain malien. Tout comme Thierno Monenembo, Prix Renaudot 2008, qui lors de l’Hommage organisé par l’Université à Kabala dernièrement dira que la littérature africaine connaît un avant et un après “Le Devoir de Violence”. Le Seuil, qui avait retiré le roman des ventes le rééditera en mai 2018, lui restituant définitivement sa place sans que rien ne puisse réparer l’injustice criarde qui avait été commise à l’endroit de cet immense espoir arrêté en plein envol.
Yambo s’était retiré à Sevare auprès de ses parents, y a reconstruit sa vie dans le reniement presque total de son passé magnifique. Il était affecté au ministère de la Jeunesse et de la culture mais aux dires de beaucoup, refusait de toucher son salaire; il refusait de réclamer son argent au Seuil, selon Paul Dakeyo, écrivain camerounais, qui m’avait saisi de la question en 2000-2001 aux fins de l’appui du gouvernement malien à la résolution du problème. A l’époque j’avais demandé à un parent de Yambo de me décrire sa situation afin que j’en parle à Adam Ba Konare pour voir si elle pouvait nous ouvrir des portes en Europe afin que la famille de l’écrivain puisse bénéficier du pactole en souffrance au Seuil et que Paul Dakeyo estimait à quelques 200 millions. C’est à cette occasion que j’appris que Yambo avait des enfants issus de son second mariage avec une parente du pays. J’ai perdu depuis la trace de Paul Dakeyo et je ne sais pas comment ce dossier a évolué: j’ai quitté le gouvernement a la fin du deuxième mandat du Président Alpha Oumar Konare, qui avait réussi à rapatrier notre compatriote en grande difficulté en France et l’avait inscrit à la fonction publique du Mali en le faisant muter auprès de ses parents à Mopti afin qu’ils puissent s’occuper de lui. Paul Dakeyo m’apprit aussi que Yambo Ouologuem m’avait écrit une lettre qu’il avait remise à un policier; la lettre malheureusement ne m’est jamais parvenue.
Yambo Ouologuem fut un oublié jamais oublié, un oublié plus présent que ceux qu’on n’a pas oubliés. La Rentrée Littéraire de Bamako avait mis en place un Prix Yambo Ouologuem qui récompensait un écrivain africain s’étant distingué dans l’année en cours. L’enjeu que représente l’écrivain, que les organisateurs voulaient honorer est tel que Aya, le promoteur, fut obligé de changer le nom du Prix. Il ne trouva rien moins que Ahmed Baba, l’illustre auteur du Tarik El Fetach.
Yambo Ouologuem est unique
Du vivant de l’écrivain un film a été produit pour décrire le parcours de l’homme et de l’écrivain. Y participaient beaucoup de cadres et d’intellectuels maliens qui faisaient des témoignages sur l’homme et son œuvre. L’intention était louable et il faut la saluer. Mais l’immense Feodor Dostoievski ne disait-il pas, parlant des écrivains russes après Pushkin:” nous sommes tous des pygmées à côté de Pushkin”? Cela est parfaitement à propos concernant tous ceux qui parlent de Yambo ou écrivent sur lui: il a atteint des sommets auxquels il est quasi impossible de se hisser.
À la mort de Yambo Ouologuem le Président de la République dépêcha aux obsèques sa ministre de la Culture, le gouverneur de la Région de Mopti et votre serviteur, l’époque son Haut Représentant à la Francophonie. La famille de l’illustre défunt fut sensible à ce geste du Chef de l’Etat mais refusa la décoration à titre posthume qui était envisagée, respectant en cela le vœux exprimé par l’écrivain. Le Lycée de Bandiagara, sa ville d’origine, porte désormais son nom.
Le 18 novembre 2018 sera le jour du 50eme anniversaire du Prix Renaudot à Yambo Ouologuem. 50 ans que pour la première fois ce Prix récompensa l’œuvre d’un auteur africain et, faut-il le souligner, la deuxième fois l’œuvre d’un écrivain noir, le premier étant Édouard Glissant avec son roman “La Lézarde” en 1958. 50 ans que la gloire apporta l’oubli et la solitude à un talent inégalé, a une œuvre puissante et originale, pétrie d’un humanisme vrai et sans complexe, se riant de nos petitesses et de nos complexes et nous renvoyant à notre commun destin, nous faisant découvrir la vanités de nos postures; nous appelant au seul combat qui vaille: jouer pour être les meilleurs tout en gardant à l’esprit que ce n’est jamais acquis définitivement et que selon le mot de Senghor:” toute victoire dure l’instant d’un battement de cils qui proclame l’irréparable doublement”!
Le parcours de Yambo Ouologuem doit nous permettre de nous ressaisir en tant qu’Etat, en tant que fils de la nation malienne et au nom de ce génie qu’on a eu l’outrecuidance d’oublier plus rien ne soit plus être comme avant!
Yambo Ouologuem est unique, un sommet qu’il nous faut tendre toujours à atteindre, et désormais un guide: que tous les enfants de notre pays qui ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour nous rendre heureux, pour nous valoriser et valoriser notre nation soient reconnus et honores! Par des musées, par des rues et des places et des stades et des écoles et des hôpitaux, des aéroports des camps militaires des garnisons etc… puissent immortaliser ceux qui ont compté dans leur village, leur ville, dans leur communauté, dans leur Région depuis l’indépendance jusqu’à nos jours.
Rendons sa mémoire à notre peuple, en rendant leur place à l’art, à la science, à la Culture, au sport. Car autrement ou sera l’espoir pour nos enfants et nos petits enfants? ou est l’idée de la nation, le symbole de la nation, notre désir de grandeur que nous hélons à longueur de journée sans lui donner de contenu? Ou est le visage humain, reconnaissable du patriotisme que l’on veut inculquer à nous-mêmes et à ceux qui nous suivront? Qu’ils portent un nom le lieu que l’on veut défendre au Prix de notre vie, la rue, la place qui incarnent notre personnalité intime, notre identité profonde, notre fierté et que nous ne cèderont a rien ni à personne sous aucun prétexte, sous aucune menace! Tout notre amour, tout notre patriotisme, tout notre engagement doivent être symbolisés par ceux-là sans qui toute vie est fade, insignifiante et stérile, par ceux-là qui forgent notre personnalité authentique.
Telle mélodie nous berce depuis l’enfance, depuis avant l’indépendance, telle poésie, telle prouesse de tel lutteur, de tel footballeur, de tel médecin est contée de génération en génération et rien qui indique et honore l’homme ou la femme, parti dans le dénuement souvent le plus total, mais dont le génie créateur nous fait vivre, façonne notre être. Aucun monument, aucune stèle, aucune statue qui maintiennent vivaces les mémoires? Il est temps, plus que temps de sortir du culte des ancêtres anonymes pour dresser notre Panthéon lisible, fixer les repères de notre vécu et dire la reconnaissance de Notre Patrie à nos Grands Hommes !
Que le cinquantième anniversaire du Renaudot de Yambo Ouologuem marque à jamais la fin de l’oubli ingrat et proclame la Renaissance culturelle de notre pays, le Mali et au-delà, de notre continent, l’Afrique fière et debout!