Entre la prudence de la ministre française des Armées Florence PARLY et les communiqués d’autorité de la Primature et du Département de la Défense du Mali, au sujet de la neutralisation et de la mort du prédicateur radical Amadou KOUFFA, dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 novembre, naît un enthousiasme modéré qu’il faudrait plutôt mettre sur le compte du doute raisonnable. Décryptage.
Il aura fallu près de 24 heures pour que soit rendue publique la nouvelle de la neutralisation de 34 combattants jihadistes, dont Djourétou, le chef de base du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM), près de Farimaké ; Bobala, le Chef des opérations et surtout de Amadou Kouffa, chef de la Katiba du Macina qui a intégré le GSIM dirigé par Iyad Ag GHALY.
Cette nouvelle, comme on pouvait s’y attendre, a aussitôt fait l’effet d’une traînée de poudre. Celui que l’opinion avait fini par se résoudre à prendre pour un fantôme, nonobstant ses quelques apparitions sur des vidéos, était donc bien un être en chair et en os et mortel comme tout être créé des mains du Tout-puissant.
Selon les sources officielles maliennes et françaises, une trentaine de jihadistes ont perdu la vie au cours de l’opération militaire.
Cependant, des sources bien introduites rapportent que le raid a fait beaucoup plus de 30 morts, ce chiffre correspondant au nombre des victimes maliennes. Elles font savoir en effet que des combattants d’autres nationalités, notamment des Nigériens, des Mauritaniens, des Burkinabè ont péri au cours de cette opération militaire d’envergure.
La circonspection
Dans l’euphorie suscitée par une telle information, la France, principale alliée dans la lutte anti-terroriste au Sahel, joue la carte de la circonspection. C’est ce qu’il est permis de retenir du communiqué rendu public par l’Hôtel de Brienne. On peut y lire :‘’les armées françaises engagées au Sahel au sein de l’opération « Barkhane » ont mené une action d’ampleur, complexe et audacieuse qui a permis de neutraliser un important détachement terroriste au sein duquel se trouvait probablement l’un des principaux adjoints de Iyad Ag Ghali, Hamadoun Kouffa, chef de la katiba Massina’’. Selon Florence PARLY, ministre des Armées : ‘’l’opération (…) porte un coup sérieux à une organisation terroriste particulièrement brutale. Celle-ci a visé de manière répétée les civils et les symboles de l’autorité de l’Etat malien. L’affaiblissement des groupes terroristes est essentiel pour envisager le retour des services publics, l’accès à l’éducation, la normalisation graduelle de la vie quotidienne’’.
Mais, ce n’est pas la première fois que la France se montre incertaine Pour rappel, l’Elysée a confirmé le samedi 23 mars, qu’Abou Zeid, l’un des principaux chefs d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), avait effectivement été tué lors d’affrontements avec les armées françaises et tchadiennes dans l’Adrar des Ifoghas, au nord du Mali. Dans un premier temps, les autorités françaises étaient restées prudentes, elles avaient parlé d’une mort « probable » d’Abou Zeid, mais insisté sur l’absence de preuves. Le ministère français des Affaires étrangères avait indiqué que des tests ADN devaient être pratiqués sur les corps de jihadistes tués au Mali afin de déterminer s’il s’agissait d’Abou Zeid ou de Belmokhtar. Les autorités françaises apportent maintenant la confirmation de la mort de l’un des deux chefs, sans dire pour l’instant quels sont les éléments de preuve dont elles disposent.
L’affirmation
A la différence de la Cheffe des Armées françaises, les autorités nationales confirment d’autorité la mise hors d’état de nuire d’une trentaine de djihadistes, dont le chef de la Katiba du Macina, Amadou KOUFFA et de Djourétou et Bobala, deux chefs militaires.
En effet, ‘’le Ministre de la Défense et des Anciens Combattants informe l’opinion nationale et internationale que les FAMas et Barkhane ont mené une opération coordonnée, dans le Centre du Mali le 23 novembre 2018, sur une base abritant le commandement de la Katiba d’Ansar Eddine du Macina.
Cette opération coordonnée a permis de neutraliser une trentaine de terroristes dont Djourétou, le chef de la base ; Bobala, le chef des opérations ; et Amadou KOUFFA’’.
La Primature, dans son communiqué renchérit : ‘’dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018, les Forces armées maliennes (FAMAs) et l’Opération française Barkhane ont mené une opération coordonnée d’envergure sur une base abritant le commandement de la Katiba d’Ansar Eddine du Macina.
Cette opération, tel que l’a rappelé le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants, a permis de neutraliser une trentaine de terroristes dont Djourétou, le chef de base ; Bobala, le Chef des opérations et probablement Amadou Kouffa, le chef de la Katiba du Macina affiliée à Al Qaida’’.
Les cas de double paternité
Ce n’est pas la première fois que des armées se disputent des victoires. A cet effet, il faut rappeler que l’armée tchadienne avait annoncé dans un communiqué, samedi 2 mars 2013 au soir, que le chef jihadiste et trafiquant Mokhtar Belmokhtar avait été tué au nord du Mali : ‘’les forces tchadiennes au Mali ont détruit totalement la principale base des jihadistes dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, plus précisément dans la vallée d’Ametetai. Plusieurs terroristes ont été tués, dont le chef Mokhtar Belmokhtar dit «le borgne» ‘’.
Etrangement, en juin 2015, Mokhtar Belmokhtar, qui était au Nord du Mali pendant l’occupation, aurait été tué en Libye par une frappe américaine. Le Pentagone a indiqué que Belmokhtar avait bien été la cible d’une frappe américaine, mais n’a pas confirmé sa mort. ‘’Nous continuons à évaluer les résultats de l’opération et fournirons plus de précisions de manière appropriée’’, avait alors déclaré le porte-parole du Pentagone.
Qui a tué Abou ZEID dont la mort a été conformée par un des chefs d’AQMI ? Qui a tué Mokhtar Belmokhtar (au cas où il serait bien mort) ? De façon générale, chaque acteur cherche à tirer à lui la couverture. Ce qui est du reste de bonne guerre.
Le cas Amadou KOUFFA
Dans le cas de la mise hors d’état de nuire du prédicateur radical Amadou KOUFFA, les armées françaises se réservent la part léonine. Elles communiquent que ‘’les armées françaises engagées au Sahel au sein de l’opération « Barkhane » ont mené une action d’ampleur, complexe et audacieuse qui a permis de neutraliser un important détachement terroriste au sein duquel se trouvait probablement l’un des principaux adjoints de Iyad Ag Ghali, Hamadoun Kouffa, chef de la katiba Massina’’.
Cependant, le triomphalisme du ministère des armées est tempéré par le chef d’état-major des armées, le général François LECOINTRE qui a souligné que c’est « la préparation minutieuse et la parfaite coordination de l’ensemble des forces françaises déployées au Sahel qui ont permis la réussite de cette opération. Cette dernière marque un succès supplémentaire dans la lutte menée par les armées françaises aux côtés des forces armées maliennes, de celles de la force conjointe du G5 Sahel et de la Minusma, pour la sécurité au Mali et au Sahel ».
Quoi qu’il en soit, les autorités nationales, dans leurs communiqués, n’entendent pas être spoliées de leurs efforts. Ainsi, autant le ministre de la Défense et des anciens combattants que la Primature clament haut et fort le rôle prépondérant joué par les FAMas dans ce coup d’éclat. Ils mettent en relief la coordination de l’opération d’envergure ayant abouti à la neutralisation de Amadou KOUFFA. La Primature soutient ainsi que ‘’dans la nuit du 22 au 23 novembre 2018, les Forces armées maliennes (FAMAs) et l’Opération française Barkhane ont mené une opération coordonnée d’envergure sur une base abritant le commandement de la Katiba d’Ansar Eddine du Macina’’. Le ministre de la Défense abonde dans le même sens : ‘’cette opération coordonnée a permis de neutraliser une trentaine de terroristes dont Djourétou, le chef de la base ; Bobala, le chef des opérations ; et Amadou KOUFFA’’.
La volonté politique
La volonté politique des autorités nationales à éradiquer le phénomène du terrorisme est clairement rappelée dans le communiqué de la Primature : ‘’ce succès militaire traduit, assurément, la montée en puissance des FAMAs, la qualité des renseignements, ainsi que l’interopérabilité avec les forces internationales, en particulier avec Barkhane.
Elle traduit également le couronnement de l’engagement des hautes autorités maliennes, soutenues par la hiérarchie militaire, à stabiliser le Centre du pays en vue du retour de L’Etat et des services sociaux de base.
En visite dans le Centre en février 2018, le Premier ministre M. Soumeylou Boubèye MAIGA avait en effet déclaré la ferme détermination de l’Etat à mener une lutte sans merci contre les groupes terroristes et à les traquer partout où ils se trouvent : « Ceux qui troublent la paix et la quiétude des populations en créant la pagaille sont nos ennemis.
Nous allons les combattre et nous irons les chercher partout où ils se cachent » avait prévenu M. MAIGA.
« Nous sommes prêts à augmenter les effectifs jusqu’à dix mille hommes, s’il le faut, dans le Centre du pays » avait notamment déclaré M. Soumeylou Boubèye MAIGA en mars 2018, lors d’un périple qui lui a fait visiter 5 des 8 cercles de la région de Mopti (Mopti, Badiangara, Bankass, Koro et Djenné)’’.
L’efficacité des FAMas
A croire l’état-major français, Barkhane a plutôt brillé par sa présence dans le domaine aérien. En effet l’état-major des armées françaises détaille : ‘’cette opération, dans la région de Mopti, « a combiné l’action de nombreux moyens aériens: avions Mirage 2000, hélicoptères Tigre et Gazelle appuyés par des drones Reaper, ravitailleur C135 et hélicoptères de manœuvre. Des frappes aériennes ont permis de réaliser un effet de sidération sur l’objectif’’.
Dans une parfaite répartition des rôles, les FAMa ont constitué l’infanterie. Ceci explique cela : pendant que Florence PARLY, la ministre française des armées parlait de mort ‘’probable’’ ; le ministère malien de la Défense et des anciens combattants se montrait ferme quant à la mise hors de combat de Amadou KOUFFA. Une source militaire a confirmé à l’AFP : « après l’opération militaire (des armées malienne et française), le terroriste Koufa était gravement blessé. Il a été transporté par ses proches, avant de décéder après ».
Cependant, rapportent des sources bien informées, c’est sur le terrain du renseignement que la contribution des FAMa à ce succès a été des plus appréciables. Grâce à un travail de fourmi, apprend-t-on, nos services ont constitué une mine d’informations dont l’exploration a scellé le sort du terroriste Amadou KOUFFA et de plusieurs de ses combattants.
Détaillant la préparation de l’opération, le général CISSE a indiqué à l’AFP que « depuis des mois, les services de renseignements militaires du Mali ont collecté une masse d’informations précises qu’ils ont partagées avec les partenaires, dont la France ». La préparation de l’opération, apprend-on, a également porté sur le renforcement de la logistique.
Dès lors, on comprend aisément le sens de la reconnaissance du ministre de la Défense et des anciens combattants : ‘’il (Ndlr : le ministre de la Défense) remercie les populations et les invite à apporter davantage leur soutien aux FAMa et à leurs partenaires’’.
Le scepticisme
Alors que certains, tel le Gouverneur de la région de Mopti, Sidi Alassane TOURE, affichent un enthousiasme débordant en expliquant que ‘’la mort de Hamadoun Kouffa aura forcément des retombées positives. Au final, le seul problème qu’il y a avait entre les Peuls et les Dogons, c’était le terrorisme’’, certains compatriotes ne cachent pas leur scepticisme. C’est un doute raisonnable qui peut être, par ailleurs, soutenu par les multiples morts de Mokhtar Belmokhtar.
Ce scepticisme prend également racine dans la mort présumée ou réelle de Oussama Ben Laden que certains continuent d’ailleurs à nier.
Le dénominateur commun à tous ces contestataires est que personne n’a jamais vu les corps des victimes.
Ce à quoi les Forces de sécurité rétorquent que l’objectif est la neutralisation de la cible et non de l’exhiber.
Il faut aussi dire que les actions militaires découlent d’une décision politique. Du coup, fait-on savoir, la mort d’un chef terroriste a nécessairement des implications politiques. L’on avance qu’en présentant le corps, il va falloir le rendre ensuite à la famille pour l’inhumation. C’est la porte ouverte à tous les désordres dès lors que la tombe d’un psychopathe peut se transformer en lieu de pèlerinage et ce qui peut s’en suivre.
Il s’agit d’arguments qui valent ce qu’ils valent.
Mais dans le cas d’Amadou KOUFFA, il y a les communiqués de la Primature et du ministère de la Défense et des anciens combattants qui certifient sa mort. Il s’agit d’autorités nationales qui mesurent le pour et le contre de ce qu’elles avancent et dont les communiqués sont crédibles.
Les autorités françaises ne disent pas le contraire de que ce soutiennent leurs homologues maliennes.
En doutant de toutes ces autorités, qui faut-il alors croire ?