Dans une interview qu’elle nous a accordée, la fondatrice de MADIARA KONE CABINET D’ETUDES ET DE CONSEILS dit sans détours ce qu’elle pense de la situation politico-socio -sécuritaire dans notre pays et propose des pistes de solutions.
1 -Bonjour Madame, pouvez-vous présenter ?
M.K : Je suis Madiara Koné, Juriste d’origine malienne, issue d’un milieu proche du monde diplomatique, où mon un père fut 1er Conseiller du Mali au Ghana de 1980 à 1991. J’ai effectué ma scolarité à Accra (Ghana), ensuite au lycée Liberté A de Bamako, puis des études de droit à la Faculté des Sciences juridiques et économiques au Mali de l’université du Mali. Après une maîtrise de droit privé, j’ai poursuivie des études en Commerce commercial à l’Institut Universitaire de Gestion et bien d’autres formations, notamment en gestion des projets, en partenariats publics privés de la Banque Mondiale, la Gestion des conflits, les études mondiales et la Finance islamique. J’ai une expertise de treize ans dans le secteur des projets miniers, notamment la mine de Syama. En avril 2018, j’ai été élue 3eme secrétaire aux comptes du Conseil national des professionnels du diamant au Mali. En mars 2018, membre de la FENACOM (Fédération Nationale des Consultants du Mali) en partenariat avec le Patronat du Mali. Je suis la fondatrice de MADIARA KONE CABINET D’ETUDES ET DE CONSEILS.
2- Quel regard faites-vous de la situation politique, sécuritaire au Mali
M.K : Le Sahel ne pourra sortir de la situation actuelle qu’au prix d’une révolution, dont on peut toutefois se demander si elle est encore possible. La réponse est difficile, on peut juste dire que la nécessité fera certainement loi. Le “désir d’insurrection est bien réel partout sur le continent. Il appartient à ceux qui en ont assez de la situation présente de savoir le canaliser vers le changement souhaité. Ce changement, peu de forces sont encore à l’œuvre pour le réaliser, et beaucoup d’obstacles restent à surmonter pour qu’il se fasse en dehors de la voie toute tracée aujourd’hui de la violence armée. Ceux qui veulent le réaliser doivent donc avoir à l’esprit qu’ils auront face à eux une coalition d’intérêts nationaux et internationaux habituée à user de la violence pour briser toute initiative du genre. Ils doivent aussi être conscients que la tentation de la violence est aujourd’hui, pour tout mouvement de changement politique et social, la voie royale de sa propre liquidation et de la perpétuation du système dominant. La situation politico-militaire qui prévaut dans la bande sahélo- sahélienne pose aujourd’hui un réel problème aux Etats de la sous-région et au-delà à la planète toute entière, mondialisation oblige. C’est une crise multidimensionnelle et dans cet imbroglio le Mali jusque-là a payé le prix fort par la conjugaison des évènements autant internes qu’externes.
3- Des efforts sont faits par le Gouvernement malien, la Société civile ainsi que les Partenaires techniques et financiers. Qu’en pensez-vous ?
M.K : Dans cette perspective la réponse sécuritaire qui jusque-là a été privilégiée, s’est avérée très insuffisante pour venir à bout de groupes qui recrutent en jouant sur des frustrations économiques ou communautaires auxquelles aucune solution n’est apportée. L’émergence d’organisations djihadistes et autres entités terroristes n’a pu se faire que suite à un cumul de frustrations du à des injustices sociales et des politiques politiciennes, qui ont ainsi ouvert la voie à des révoltes, brèche par laquelle les différents groupes se sont engouffrés. Donc pour remédier à cela il faut d’abord revoir de fond en comble les politiques menées jusque-là par le Gouvernement, ne pas faire table rase de tout, mais prendre assez de recul pour rectifier le tir. Ce n’est pas évident car pleins d’obstacles se dresseront pour le contrarier, qu’à cela ne tienne mais avec une bonne dose de courage politique l’opinion suivra. D’où l’importance, pour en savoir plus sur les racines de cette « guerre sans fin » du Sahel, de se tourner vers les observateurs locaux.
Vous vous intéressez beaucoup aux questions de droits humains, de paix, de sécurité, de gouvernance et vous êtes également très active dans le milieu associatif, humanitaire, des droits de l’Homme. Quelles sont les pistes de solutions que vous proposez ?
M.K : Elles sont nombreuses et les idées ne manquent point, c’est plutôt la concrétisation qui souvent fait défaut. Ce que je propose :
Un modèle de gouvernance démocratique et de développement social et économique inclusif. La particularité des contrées où ces groupes terroristes ont pu prospérer, est qu’il s’agit essentiellement de régions périphériques, bénéficiant très peu des investissements publics, et surtout livrées à l’incurie d’une administration étatique marquée par la corruption et l’absence d’une culture de respect des droits et de dialogue.
Reconstruire des liens de confiance plus étroits entre les citoyens et leurs institutions » et plus agir sur “le facteur humain et les motivations personnelles” conduisant à la radicalisation et s’attaquer aux “facteurs structurels et conjoncturels propices à l’extrémisme violent.
Consolider les avancées démocratiques enregistrées au cours des dernières décennies réduire la place prépondérante occupée par le recours à la violence dans la gestion des affaires publiques ; car, malgré les limites qu’impose l’état de droit, ainsi que les résistances de plus en plus fortes de la société elle-même, la plupart des pouvoirs africains, y compris ceux qui tirent leur légitimité des urnes, fonctionnent essentiellement sur une logique de rapports de forces.
Les initiatives en cours doivent être suffisamment ambitieuses en matière d’insertion sociale des jeunes, et de programmes d’éducation, donner aux pays les moyens de se défendre et encourager le dialogue avec certains des groupes armés. L’option d’un dialogue politique avec les groupes armés se réclamant de la mouvance djihadiste reste un tabou : personne n’ose apparemment envisager la perspective d’une ouverture du champ politique aux partisans de l’islamisme politique. La nécessité d’apporter à ce dernier une réponse plus globale, qui ne se limiterait pas aux mesures sécuritaires.
Le rôle des attentes déçues des jeunes dans le fait qu’ils sont prêts à succomber à la tentation de la révolte violente. La préoccupation centrale se résume à la question de savoir comment prévenir l’extrémisme violent au sein de la jeunesse. Autrement dit, comment empêcher que les jeunes des villes et des campagnes rejoignent les différents groupes armés.
5- Quelle place pour la Minusma, la Force Barkhane et le G5 sahel ?
M.K : L’idée qu’il n’y a pas de développement sans sécurité, et pas de sécurité sans développement fait largement débat, mais on sait quelle insécurité multi- dimensionnelle puise ses racines dans la pauvreté, la marginalisation perçue de certains groupes et l’incapacité à assurer les services de base à la population.
La présence de ces forces étrangères constitue quelque part un catalyseur de violence. D’abord par le manque d’efficacité des deux premières citées (Minusma et Barkhane), malgré un matériel de plus en plus sophistiqués et un effectif aguerri la Minusma peine à prendre son envol car repliée sur elle-même et plus prompte à défendre ses installations que de traquer les groupes djihadistes. Et de jour en jour la population victime des coups de boutade à répétition des terroristes risque de déverser sa colère sur cette institution.
Barkhane comme un peu partout dans la bande continue de ratisser le terrain et avoir des hauts et des bas. Mais une bonne partie de la population lui reproche le comportement abusif de ses éléments qui parfois se considèrent comme en terres conquises.
Le G5 Sahel qui sous peu doit être opérationnelle sera aussi une nouvelle entité qu’il faut incorporer dans ce schéma sécuritaire. Dans ce partenariat sécuritaire le Mali se doit de faire de sorte que le G5 soit le principal acteur de la zone et que les autres ne soient-là qu’en soutien.
En un mot revoir les attributions de la Minusma et de la Force Barkhane autorisées qui doivent aussi prendre en compte les nombreuses attentes de la population malienne, diverses, parfois en concurrence, mais affectées à maints égards par l’insécurité dont ils perçoivent de différentes manières. Ne pas tout miser sur le volet sécurité.
6- Votre mot de la fin
M.K : Les investissements les plus notables par l’Etat ont été consacrés à des interventions sécuritaires, des programmes qui visent à rétablir la stabilité en soutenant le secteur de la sécurité et sont plus visibles que les investissements dans le développement économique, même lorsque ces derniers sont concrets et importants. Il faut aussi penser à des stratégies qui orientent les efforts sur les deux fronts, celui du développement économique et celui de la sécurité, et qui relient développement à long terme et la consolidation de la paix.