Amnesty International demande aux autorités maliennes de se garder d’adopter une nouvelle loi susceptible de permettre aux personnes ayant perpétré des homicides, des actes de torture et d’autres atrocités d’échapper à la justice.
Jeudi 13 décembre, l’Assemblée nationale du Mali examinera la Loi d’entente nationale, qui contient des dispositions rédigées en termes vagues. Ce texte pourrait mener à « l’exonération de poursuites de tous ceux impliqués dans une rébellion armée, mais qui n’ont pas de sang sur les mains », selon le message adressé à la nation par le président malien le 31 décembre 2017.
Il est à craindre que des membres des forces de sécurité responsables d’atteintes aux droits humains et des membres de groupes armés ayant commis de terribles violations de ces droits ne soient jamais traduits en justice si ce projet de loi est adopté
Samira Daoud, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International
« Il est à craindre que des membres des forces de sécurité responsables d’atteintes aux droits humains et des membres de groupes armés ayant commis de terribles violations de ces droits ne soient jamais traduits en justice si ce projet de loi est adopté », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale adjointe pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnesty International.
« Adopter cette loi serait un affront aux milliers de victimes du conflit en cours au Mali. Cela constituerait par ailleurs une grave atteinte à l’obligation qui est faite au Mali d’enquêter sur les crimes de droit international, notamment les homicides extrajudiciaires, les actes de torture et les disparitions forcées, et de poursuivre leurs auteurs présumés. La lutte contre l’impunité doit être la priorité des autorités maliennes. »
L’analyse de ce projet de loi par Amnesty International a permis d’établir que ce texte ne respecte pas les obligations du Mali aux termes du droit international, et notamment du Statut de Rome, de la Convention des Nations unies contre la torture, et de la Convention internationale des Nations unies pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.
L’article 4 du projet de loi précise que les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de viols et d’autres crimes imprescriptibles ne pourront pas se soustraire à la justice. Cette disposition n’empêche cependant pas l’octroi d’amnisties pour d’autres crimes de droit international tels que la torture et les disparitions forcées. Il est également possible que les auteurs d’autres graves infractions en vertu du droit malien, comme le meurtre, la torture, les violences contre les personnes et les enlèvements, entre autres, bénéficient d’une immunité de poursuites.
La Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées indique en outre : « Les auteurs et les auteurs présumés d’actes conduisant à des disparitions forcées ne peuvent bénéficier d’aucune loi d’amnistie spéciale ni d’autres mesures analogues qui auraient pour effet de les exonérer de toute poursuite ou sanction pénale. »
Ce projet de loi, s’il est adopté, pourrait avoir pour effet de priver de vérité et de justice les victimes et les familles de victimes de crimes de droit international et de violations des droits fondamentaux.
Confirmant les craintes exprimées par des organisations de la société civile dans une lettre conjointe en mars 2018, ce projet de loi, s’il est adopté, pourrait avoir pour effet de priver de vérité et de justice les victimes et les familles de victimes de crimes de droit international et de violations des droits fondamentaux.
Le Mali est en proie depuis plus de six ans à un conflit armé dans le contexte duquel des centaines de personnes ont été tuées, et des dizaines d’affaires de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires ou de torture ont été signalées. Les autorités maliennes se sont largement gardées d’enquêter sur les violations des droits humains commises tant par les groupes armés que par les forces gouvernementales de sécurité depuis le début du conflit en 2012.
En 2017, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali a recensé 252 cas de violations des droits humains par les forces de sécurité et les groupes armés, concernant plus de 650 victimes. Elle a notamment relevé 21 exécutions extrajudiciaires et homicides délibérés et arbitraires, 12 cas de disparition forcée et 31 cas de torture et autres formes de mauvais traitements.
Au lieu de prévenir de futures violations en traduisant en justice les auteurs de violations du droit international humanitaire et du droit international en matière de droits humains, ce projet de loi risque de renforcer la culture de l’impunité.
Amnesty International demande aux autorités maliennes de modifier le projet de loi, et en particulier son article 4, de sorte que des enquêtes exhaustives puissent être menées sur les crimes de droit international et les violations des droits humains attribués aux groupes armés et aux forces maliennes de sécurité. Le projet de loi doit être réécrit conformément aux obligations du Mali en vertu du droit international.
Complément d’information
En décembre 2017, Ibrahim Boubacar Keita, le président malien, a annoncé le projet de Loi d’entente nationale. Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Amnesty International, ont écrit au président afin de demander à le rencontrer et à lui faire part de leurs préoccupations au sujet de cette annonce. Les autorités n’ont toujours pas répondu à cette requête. Le 31 mai 2018, le projet de loi a été adopté par le conseil des ministres.
En mars 2018, Amnesty International a diffusé des informations sur la découverte d’un charnier dans le centre du Mali. Des habitants du village de Dogo ont identifié six corps comme étant ceux de personnes qui avaient été arrêtées par l’armée trois jours auparavant.
Par ailleurs, Amnesty International a constaté une multiplication des attaques lancées contre des civils par des groupes armés, notamment Ansar Dine et le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), et a pu vérifier que 65 personnes, dont des enfants, avaient été tuées par des explosifs improvisés depuis le début de l’année. L’insécurité et les manœuvres d’intimidation orchestrées par des groupes armés contre des enseignants ont contraint 715 écoles du centre et du nord du pays à fermer ; elles accueillaient plus de 214 000 élèves.