Au cours d’une interview qu’il a nous accordée, hier jeudi, le maire du district de Bamako, Adama SANGARE, a déclaré que l’opération de la mairie ne souffre d’aucune irrégularité dans la zone aéroportuaire. Selon lui, le projet est exécuté en collaboration avec des services techniques. Au cours de cette entrevue, il a aussi abordé le contrat d’Ozone Mali dont la mise en œuvre est loin de satisfaire les populations. En outre, il a évoqué ses perspectives pour la capitale malienne en rappelant toujours son attachement au projet tramway.
Info-Matin : Vous rentrez d’une visite à Bordeaux en France, où vous aviez rencontré le maire Alain Juppé. Quel était l’objet de cette visite et que peuvent être les retombées pour Bamako ?
Adama SANGARE : Nous étions partis à Bordeaux dans le cadre de la coopération entre nos deux collectivités pour renouveler la convention qui existe entre la ville de Bordeaux et Bamako, depuis 1995. Bamako est la première ville de la sous-région qui a noué des accords de collaboration et de partenariats avec la ville de Bordeaux. Et cette coopération est basée sur certain nombre de points, notamment la formation des élus municipaux, des agents de voirie. Cette coopération est axée sur les échanges entre l’université de Bordeaux et les universités Bamako, pour voir dans quelle mesure on peut renforcer les capacités des ressources humaines.
Le plus gros problème de nos collectivités, c’est le problème des ressources humaines. Au niveau de Bordeaux, nous avions cherché à faire en sorte qu’il puisse y avoir des échanges entre l’université de Bordeaux et les universités Bamako. Ainsi, dans le cadre de l’aménagement du territoire avec Bamako Horizon 2030, nous sommes en train d’arriver à la création d’une agence d’urbanisme qui pourra mieux s’occuper de l’aménagement du territoire parce que Bamako s’étale.
Heureusement, nous avons pu aller en inter collectivités avec les communes urbaines de Bamako, pour que les uns et les autres comprennent que Bamako ne se développera sans elles et parallèlement, eux aussi ne peuvent pas avoir une satisfaction des besoins sociaux des populations sans un partenariat avec la capitale. A ce niveau, l’aménagement est très important et la cellule que nous avions, qui doit être transformée en agence d’urbanisme, a également reçu des experts d’urbanisme de Bordeaux afin qu’ils puissent nous accompagner dans le cadre de cet aménagement.
A Bordeaux, nous avons également rencontré le président de la chambre de commerce qui a eu le plaisir de convier des responsables d’entreprises à la rencontre. Ces chefs d’entreprises viendront à Bamako pour voir dans quelles conditions on va travailler dans le cadre de l’éclairage public, de l’assainissement et de la mise en réseau du système d’égout au Mali. A Bamako, avec le système d’évacuation des eaux, nous avons beaucoup de soucis. Et les stations d’épuration, que ce soit financé par la Banque africaine de développement (BOAD) ou avec le gouvernement, n’arrivent pas à voir le jour. C’est un gros souci. Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a souhaité que ces entreprises françaises viennent à Bamako pour voir ce qu’elles peuvent apporter à cette coopération. Enfin, nous avons renouvelé la convention avec Bordeaux pour une période de trois ans.
IM : Vous l’avez dit. L’assainissement et l’aménagement constituent de gros problèmes à Bamako. Alors, que se passe-t-il concrètement et quelle est la situation avec Ozone ?
A.S : La situation avec Ozone est stagnante. Depuis le démarrage de ce projet, nous avons eu des soucis lorsque le gouvernement nous a demandé de signer cette convention avec Ozone, parce que nous savions que l’Etat ne donne pas les subventions contrairement à l’ordonnance de création de la ville de Bamako. Cette ordonnance dispose que chaque année, Bamako doit bénéficier d’une subvention de l’Etat, à l’instar de toutes les capitales régionales dans la sous-région. Malheureusement, cela n’a jamais été fait et l’Etat s’était engagé sur cinq ans à payer les décomptes.
Nous avions créé une redevance Ozone qui, à un certain moment, va prendre le relais par rapport à l’Etat. Mais dès les trois premières années, le problème de payement a commencé. Ce qui fait aujourd’hui que nous sommes à un niveau d’impayés sincèrement très élevé. Le montant se chiffre à 17 milliards de FCFA. Je pense que ces derniers temps le gouvernement a pris le problème au sérieux.
Je pense que le gouvernement est arrivé à avoir un moratoire avec Ozone. Mais il faut reconnaître qu’à ce jour, la ville de Bamako n’a pas de satisfaction par rapport à la prestation. Donc, nous sommes en train de réfléchir pour savoir s’il faut résilier la convention ou voir quel effet le moratoire pourra faire afin de permette à Ozone de retravailler sérieusement. C’est cette situation que nous sommes en train d’examiner. Je pense que d’ici à la fin du premier trimestre 2019, l’Etat prendra une décision. Entre-temps, force est de constater que la population souffre. Et aucune autorité municipale n’est heureuse avec l’état d’insalubrité que connait la ville de Bamako.
IM : M. le maire vous venez également d’être élu, lors du sommet de Marrakech avec le maire de Séoul, à la présidence de l’Association du fond mondial de l’économie sociale et solidaire. Qu’est-ce que ça représente et qu’est-ce que ça va changer dans le quotidien de vos administrés ?
A.S : Je remercie mes pairs qui m’ont fait confiance, à travers la ville de Bamako. L’association est un magnifique outil qui servira à combattre la pauvreté, le chômage. Il va également pour permettre d’aider nos sœurs, frères et nos enfants qui, souvent à cause de la déperdition scolaire, ont une entreprise unipersonnelle, un GIE, une société, mais qui ne sont pas dans les normes.
Les gens exercent leurs activités de commerce de façon très désorganisée, mais quand nous regardons chaque entreprise, cinq à dix personnes en dépendent. Donc, ces activités sont tellement importantes que dans le cadre de l’économie sociale et solidaire, c’est voir d’une part, dans quelle mesure on peut les mettre en coopérative et comment trouver pour elles des financements plus importants. D’autre part, comment faire en sorte qu’elles puissent être dans les normes en les inscrivant soit au registre de commerce, ou un registre équivalent, afin que ces structures soient désormais saisies et qu’elles puissent créer des emplois décents.
L’avantage est que les canadiens et les coréens sont prêts à nous accompagner dans le cadre des projets de l’économie sociale et solidaire. Pour cette raison, il est possible que dans le premier trimestre de 2019, le maire de Séoul soit à Bamako pour évaluer ce que Bamako est en train de faire. Ils ont compris qu’avec l’Etat, les choses ne peuvent pas marcher comme avec les collectivités. Tout le monde ne peut aller à l’école, mais chacun peut apprendre un métier. L’économie sociale et solidaire est un outil qui nous permettra d’approcher le plus grand nombre de jeunes, de femmes, d’artisans afin de les accompagner et de les soutenir.
IM : Que peut attendre la ville Bamako de la visite du maire de Séoul ?
AS : Beaucoup de choses ! Je pense que la Corée du sud est un pays assez développé. Nous avons beaucoup à apprendre et à bénéficier de Séoul dans le cadre de la jeunesse, de l’école, de la santé. Le Mali est en apprentissage de la décentralisation. Dans ce sens, la volonté seule ne suffit pas. Des initiatives seules ne suffisent pas. Il faut un portage politique, il faut des appuis. Il faut des accompagnements qui ne viennent pas souvent de l’Etat. Ainsi, ils peuvent venir de la coopération décentralisée.
IM : Il a été question du projet de tramway, lors du sommet Africités de Marrakech. Où en sommes-nous ? Ce projet est-il abandonné ?
AS : Ce projet, c’était avec la ville de Strasbourg. Je profite de l’occasion pour transmettre au maire de cette ville toute la solidarité de la ville de Bamako, suite au douloureux événement survenu le mardi dernier.
En revenant sur le projet tramway, à l’époque avec le Président Amadou Toumani Touré, nous avons convenu de renforcer le transport public au Mali. Sans ce renforcement, il sera très difficile que la mobilité urbaine soit fluide. C’est un projet très lourd, qui ne peut être supporté difficilement par l’ensemble des collectivités Mali, sans l’accompagnement de l’Etat à forte raison une collectivité. L’initiative était avancée, son avant-projet a même été signé par une société qui était prête à engager plus 500 millions d’euros avec l’Etat.
Mais on n’a pas abandonné. Justement à Marrakech, nous avions abordé le sujet avec le Secrétaire d’Etat français qui était parti nous rendre visite. Au cours des discussions, il a promis de réexaminer le dossier afin de voir ce qu’il y a lieu de faire pour le relancer.
Je pense que nous pouvons encore compter sur ce dossier tramway, mais sans l’accompagnement de l’Etat, il va être très difficile pour la ville de Bamako de le soutenir.
IM : Avec tous ces projets, qu’est ce qui va changer à Bamako ?
AS : Nous souhaitons que beaucoup de choses changent à Bamako. Mais rien ne pourra changer sans l’adhésion de la population. Mais avant, je pense qu’il faut changer le comportement des populations. A Bamako, nous avons le souci de la mobilité qui doit changer. Dans ce sens, nous avons un projet avec la Banque mondiale afin que les gros porteurs sortent de la ville, en créant des parkings hors de Bamako. La réalisation de ce projet favorisera une mobilité très fluide.
L’assainissement nécessite aussi un changement de comportement. Bamako ne peut être assaini sans les bamakois. Il faut que chacun comprenne qu’il y a un devoir en plus d’avoir des droits. Il faut que les populations s’acquittent du paiement de leur taxe développement régional et local fixée à 3000 FCFA par an par imposable.
Malgré les difficultés, nous avons mis des poubelles dans certains endroits, mais comme toujours le geste de citoyenneté d’y mettre les déchets ou ordures manque. Les populations préfèrent jeter les déchets sur les espaces publics que les mettre dans une poubelle. Cela ne nous détournera pas de nos missions de rendre la ville propre.
Au-delà des taxes développement régional et local, il faudrait que les gens paient la redevance de collecte d’ordure parce que vivre à Bamako a également un coût. On ne peut pas vivre dans une ville comme si on était dans un village. En respectant ces principes, nous allons sentir le changement au niveau de l’assainissement, de notre environnement.
IM : M. le maire vous êtes cités par rapport au problème de morcellement de la zone aéroportuaire. Que se passe-t-il réellement ?
AS : Il se passe réellement qu’en 1999, il y a eu deux décrets, pris par le président Alpha Oumar Konaré et le Premier ministre de l’époque, Ibrahim Boubacar Keita, pour réduire la superficie de la zone aéroportuaire. Il y a pratiquement plus de 2000 hectares entres les deux décrets. Dans cette superficie, il y a des gens qui ont des champs avec des titres provisoires. Lorsque les deux décrets ont été signés, certains ont voulu transformer leurs champs en zones d’habitation parce que la ville avait atteint ces zones-là. Ils sont confondus aux concessions rurales. Je pense qu’en 1999, nous n’étions pas encore aux affaires à la mairie de Bamako. Après les événements de 2012, lorsque nos frères qui étaient au nord de notre pays, ont commencé à venir, ils ont souhaité régulariser leurs champs pour y rester.
Parallèlement à ce qui s’est passé au niveau de concessions rurales transformées en concessions d’habitation, ces propriétaires de champs nous ont approché afin d’y être. C’est dans ce cadre que nous avons essayé de voir dans quelle mesure, conformément aux lois d’urbanisation, nous pouvons transformer ces zones vétustes en zones d’habitation.
D’accord, on nous demandera si toute l’opération a été effectuée de façon légale. C’est une opération qui est en cours. Et pour la régularisation, je suis certain que ça va atteindre sa fin un moment. Mais depuis 2012, quand on va sur les lieux, on voit qu’avec toutes les opérations que la mairie de Bamako a faites, le plan initial des aéroports a été totalement protégé. Les zones d’atterrissage et de décollage des aéronefs notamment ont été respectées. Nous pensons avoir respecté le plan, avec la collaboration des services techniques. Les gens qui pensent qu’il y a des irrégularités, des désordres ne maîtrisent pas tous les dessous de cette opération. Mais avant que nous commencions, combien d’installations y avait-il dans la zone aéroportuaire ? Ces installations n’ont pas été faites par la mairie de Bamako. J’estime que ça été fait conformément à la réglementation, au regard de certains investissement dans cette zone. Rien ne se fait en catimini dans la zone aéroportuaire.
Je suis certain que ces dernières sorties médiatiques de certaines autorités ont permis au gouvernement de se saisir du dossier. Je suis certain que dans les jours à venir, on va arriver à une sortie définitive de cette crise.
IM : En attendant, il y a la grogne de certains qui se sentent lésés. Les propriétaires initiaux ou même ceux qui n’ont pas de papiers ont-ils été dédommagés ?
AS: Dans le cadre du recasement, nous avons reçu des dossiers du ministère de l’Administration territoriale. Je pense qu’il y avait des gens, regroupés en associations, qui étaient sur ces terrains depuis plus de 20 ans. Tout ce que nous avons traité dans ce cadre-là se fait conformément au dossier que nous avons reçu de ces associations qui sont en contact avec la tutelle. Quand de telle situation survienne, il y a milles associations qui se créent et chacun va essayer d’avoir le leadership. Donc, nous demandons à ces gens-là de se tourner vers l’administration territoriale, parce que nous ne traitons que les dossiers qui nous parviennent de notre tutelle. Le problème foncier est épineux à Bamako et partout au monde. Il est aussi tellement sensible que les gens en réalité ne veulent pas de la vérité. Chacun prend comme vérité la chose qui l’arrange au mieux.