Amour et sexualité : avoir 20 ans en Afrique de l’Ouest (5). Aminata Adama Keïta a recueilli le témoignage d’une jeune femme dont l’idylle a été brisée par le tabou du mariage intercaste.
Dans mon pays, le Mali, beaucoup de jeunes s’interdisent de rêver à une union avec l’élu de leur cœur ou voient leur projet de mariage avorté parce qu’ils sont issus de clans différents. Pourtant, ce système d’organisation sociale, hérité de la période médiévale, est aboli depuis longtemps. Et il n’avait pas été institué pour créer une hiérarchie de valeur des individus, comme le croient encore moult personnes aujourd’hui, mais pour organiser les devoirs des uns et des autres au sein de la société malienne.
Selon la tradition orale de mon pays, il existait trente clans : les hommes libres, les griots, les marabouts, les artisans, les forgerons, etc. Ces groupes familiaux étaient fondés sur l’appartenance à un ancêtre commun. Dans mon cas, c’est Soudjata Keïta, le premier des nobles, roi de l’empire du Mali.
Mariages prohibés
Ces clans ont été répertoriés lors de la constitution de la toute première charte de droits fondamentaux, en 1236. La charte dite de Kurukan Fuga, ou du Manden, fut établie par le roi Soundjata Keïta et un collège de généraux, de sages et de hauts dignitaires de l’empire. Un homme libre n’était guère supérieur à un griot. Les deux n’avaient tout simplement pas les mêmes fonctions sociales.
Extrait du manuscrit de la charte du Manden datant de 1236.
Extrait du manuscrit de la charte du Manden datant de 1236. CC 2.0
Le griot était la mémoire des faits passés, le réconciliateur. L’homme libre, lui, était considéré comme un valeureux guerrier, une personne qui avait la mission de défendre le territoire contre les ennemis, au prix de sa vie. Le marabout, quant à lui, facilitait la vulgarisation de l’islam et représentait l’autorité religieuse. Les artisans, eux, fabriquaient d’innombrables objets ou remplissaient différentes tâches pour satisfaire les besoins de la communauté, élevant parfois leur savoir-faire au rang d’art. Parmi ces artisans, les forgerons occupaient une place tout à fait à part.
Alors, si certains mariages interclaniques étaient prohibés, c’était pour assurer la pérennité de la structure sociale et garantir qu’un ensemble précis de responsabilités continuerait à être assuré.
Carte extraite du manuscrit de la charte du Manden datant de 1236.
Carte extraite du manuscrit de la charte du Manden datant de 1236. CC 2.0
Aujourd’hui, ces divisions sociales perdurent dans les mentalités. Et, si certaines familles sont parvenues à s’en affranchir, la majorité des Maliens s’opposent toujours aux mariages intercastes. Mariame* est de ces jeunes qui ont souffert de cet interdit. Issue d’une famille « noble », elle est tombée amoureuse d’un griot, Oumar. Elle a accepté de nous raconter son histoire. Celle d’un amour impossible.
Témoignage. Pour tout ce qui me torture le cœur, je deviens amnésique. Je doute donc que vous aurez la plénitude des faits, mais je tâcherai de rester le plus fidèle à ma mémoire.
Oumar* et moi nous sommes connus en classe de première. Il était le pote du petit ami de ma meilleure amie. On se voyait donc souvent tous les quatre au parc botanique pour papoter. Après les années de lycée, on s’est perdus de vue et voilà qu’un beau jour on se retrouve chez nos amis respectifs qui concrétisaient alors leur projet de fiançailles. Nous avons gardé contact.
Connaissant son nom de famille – Kouyaté –, je n’envisageais aucune relation. Il était fils de griot. Toujours est-il que je le portais en estime. Il était terriblement intelligent et agréable à écouter. Au fil du temps, nous avons tissé une amitié très forte qui s’est transformée en un sentiment d’affection, d’attachement mutuel qu’on peut même appeler amour. La fille sage que je suis a tout de suite décliné ses avances alors même que mon cœur brûlait d’amour. Nous avons maintenu cette relation amicale à laquelle je tenais immensément.