L’Union européenne entretienne des relations amicales et très anciennes avec le Mali où elle a injecté plusieurs milliards de Fcfa dans le cadre de l’aide au développement. Depuis 2013, L’UE a deux missions de formation des soldats maliens engagés dans la lutte contre l’insécurité. Cependant, les deux partenaires ont eu ces derniers mois des différents points de vue, notamment au sujet de la crise de migrant ou encore la dernière mission d’observation électorale de l’Union européenne Mali 2018. A Bamako, l’ambassadeur de l’Union, Alain Holleville nous a reçus longuement pour évoquer ces sujets. Interview
Nord Sud Journal : Parlez nous des missions de l’Union européenne au Mali
Alain Holleville : Depuis quelques années, nous avons fait évoluer notre forme de présence au Mali. Nous avons conservé les activités traditionnelles, c’est-à-dire l’aide au développement et l’action humanitaire. Nous sommes maintenant montés en puissance sur des sujets de politique et de sécurité. Les axes stratégiques s’organisent historiquement autour du Fonds européen de développement (FED). Nous sommes actuellement sur la mise en œuvre du 11e FED qui disposait de 615 millions d’euros (403.4 milliards de F CFA). Il faut notamment y adjoindre des projets du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique (130 milliards de F CFA de dons pour le Mali), les lignes budgétaires spécifiques, les moyens des missions CSDP (EUTM et EUCAP Sahel Mali) et tous nos appuis au G5 Sahel dont une partie revient au bénéfice du Mali.
Combien l’Union européenne investit dans ces axes ?
Dans l’utilisation qui est faite, l’ordre de grandeur annuel de ce qui a été décaissé sous forme de dons est de 120 à 130 millions d’euros, soit 85 milliards de francs CFA au Mali. Ces fonds se répartissent autour de quatre secteurs principaux. Environ la moitié de cette aide se matérialise sous forme d’aide budgétaire. Il n y a pas de conditionnalité mais il y a des indicateurs. Une partie de la somme qui est prévue (dite flexible) est liée à la satisfaction d’indicateurs qui ont été élaborés ensemble.
Justement l’un des constats est que chaque année le Mali perd une partie des moyens qui sont prévus pour lui dans la mesure où un certain nombre d’indicateurs ne sont pas satisfaits.
A la fin de l’année 2017, nous avons décaissé 71 millions d’euros (46.5 milliards de F CFA) alors que nous aurions pu décaisser 91 millions (59.9 milliards de F CFA) si tous les indicateurs avaient été satisfaits. Je pense que cette année 2018, nous allons être confrontés à la même situation sur une partie de l’aide sous forme d’aide variable. Il y a l’aide budgétaire en partie fixe (déjà décaissée) et une part variable qui est liée à la satisfaction d’indicateurs. De la même manière, une partie ne pourra pas être décaissée si ces indicateurs n’ont pas été satisfaits.
Quels sont les indicateurs qui n’ont pas été satisfaits en 2017 ?
C’était un résultat dans le domaine du suivi des rapports du Bureau du Vérificateur général et dans celui des transports (charge à l’essieu). Un autre domaine où il y a actuellement certaines attentes est celui de la sécurité où nous n’avons pas encore réussi à obtenir les données chiffrées sur la gestion des ressources humaines et des moyens au niveau de la défense et de la sécurité. Cela fait l’objet de discussions techniques régulières et très approfondies. En fait, l’approche n’est pas une approche « punitive ». L’idée c’est, à travers ces critères qui ont été définis en commun, d’aider le pays à améliorer ses propres performances et sa propre croissance dans le cadre de ses effectifs, de ces moyens, en somme, d’atteindre des résultats que le pays attend. Ce n’est pas seulement un manque de données mais également un manque de résultats.
En 2016, après le Sommet de la valette, il y a eu une polémique sur l’engagement pris par le Mali au sujet de rapatriement de ses ressortissants en Europe. C’est quoi la réalité ?
Ce qui a vraiment été signé par le Mali concernant la migration se trouve dans la convention de Cotonou et à son article 13. Le Mali s’y est engagé à reprendre ses nationaux en situation irrégulière en Europe. Ce qui a été discuté en 2016 au Sommet de la valette, c’était la lutte contre les causes profondes de la migration irrégulière, contre les passeurs et la création d’emplois. Le Mali à l’époque n’avait pas vocation à prendre des obligations juridiques nouvelles. Il ne faut pas confondre les responsabilités car les pays européens ne font qu’appliquer les règles juridiques signées déjà par les pays africains et européens sur ce sujet.
On critique le fait que l’UE prenne du temps avant de condamner le traitement esclavagiste subi par les Subsahariens qui tentent de rejoindre l’Europe.
Il va de soi que les Européens condamnent l’esclavage, condamnent la violence qui est faite aux femmes, aux enfants. Ce n’est pas seulement le rôle des États ou des ’institutions des États. C’est également aux ONG de défense des droits de l’Homme de condamner. En revanche, il faut trouver le mécanisme qui permet de régler les situations. Cela prend parfois plus de temps et demande de l’argent.
Depuis le début de l’année, combien de migrants ont été rapatriés dans leurs pays d’origine ?
Vingt-trois mille migrants sont retournés dans leur pays d’origine dont quinze mille huit cent volontaires. Au Mali, nous avons un projet qui s’appelle « Gestion des migrations » doté de 10 milliards de FCFA pour réintégrer les migrants dans leur pays d’origine à travers des projets générateurs de revenus ou de création d’emplois.
Lors de l’élection présidentielle dernière, certains membres du gouvernement maliens se sont plaints du fait que votre mission d’observation de cette élection, intervenait dans des domaines qui ne font pas partie d’une mission d’observation. A l’époque, vous-même, vous aviez été convoqué par le ministre des Affaires étrangères sur ce sujet.
Cette mission est venue à la demande des autorités maliennes et elle a fonctionné selon les règles de toute mission européenne d’observation d’élection. Quand il y a eu des observations, des points critiques qui doivent être adressés aux autorités, aux partis politiques ou à la société civile, elle l’a fait. Elle a essayé d’attirer l’attention de chacun sur ce qui parait être un dysfonctionnement ou des anomalies et toutes les demandes qui ont été formulées par la mission ont été prises en compte par le gouvernement. La mission d’observation a été dans son rôle ; il faut savoir que les missions d’observation européennes sont indépendantes, c’est-àdire elles ne sont pas sous mon autorité ou celle du siège. Votre mission d’observation a remis son rapport aux autorités maliennes.
Est-ce que vous avez espoir que ces recommandations seront prises en charge par le Mali contrairement à votre rapport sur l’élection de 2013 ?
C’est vrai que les recommandations précédentes n’ont pas été entièrement suivies, c’est tout à fait exact, et en même temps les pays sont souverains et ce n’est pas à nous d’imposer au Mali les décisions qu’il doit prendre. Nous considérons que les recommandations que nous avons faites sont une contribution équilibrée pour conforter un vrai processus démocratique. C’est aussi pour éviter que le Mali ne traite ces questions en urgence à la veille de chaque élection présidentielle que la mission va effectuer le suivi de ses recommandations. D’’ici deux ans, elle reviendra voir ce qui a été fait, ce qui reste à faire et accompagner le gouvernement dans la préparation des prochaines élections. C’est un aspect nouveau dans notre partenariat.
On dit très souvent, que ce soit au Mali ou dans d’autres pays africains, que votre mission vient pour valider la victoire d’un candidat à l’élection présidentielle.
C’est un vrai mal entendu. Nous ne sommes pas là pour valider des résultats encore moins la victoire d’un candidat. Nous n’avons pas un pouvoir juridique et si vous vous rappelez, certains partis politiques avaient demandé à la Minusma de valider les résultats, chose qui n’est pas possible. La mission est venue pour observer et faire des recommandations destinées à améliorer la crédibilité et la confiance. C’est tout.
Au Mali, l’Union européenne forme aussi des soldats et des forces de l’ordre dans le cadre d’une coopération militaire. Combien de soldats maliens avez-vous formé ?
L’EUTM, la mission de formation de miliaires maliennes, a déjà formé 15000 soldats depuis sa création en 2013 et 5700 officiers des forces de l’ordre et de sécurité ont été formés par l’EUCAP Sahel, la mission de formation consacrée à la police, la gendarmerie et la garde nationale. Ces missions ne partent pas sur les théâtres des opérations, ce qui fait qu’elles sont différentes de ce que fait Barkhane par exemple.
Cela dit, nous nous rendons également désormais dans certaines régions, pour former des soldats maliens sur place, comme par exemple, à Kayes ou à Sikasso.
Au Mali, vous formez aussi des soldats d’autres pays dans le cadre du déploiement de la force conjointe du G5 sahel.
Effectivement, c’est une évolution récente de notre mission de formation qui contribue à la montée en puissance de la force conjointe du G5Sahel. L’UE a déjà donné un appui financier de 100 millions d’euros (65.5 milliards F CFA) pour la force conjointe du G5 et 15 millions d’euros (9.8milliards de F CFA) ont été donnés par les pays membre de l’Union européenne. S’il y a un partenaire qui tient ses engagements, c’est l’Union européenne car cet argent est disponible et a d’ailleurs commencé à être utilisé.
Le Mali a entamé un projet de réorganisation territoriale qui fait beaucoup de débat actuellement. Comment vous analysez ce processus ?
Il y a là, pour simplifier, 2 questions : celle de la réorganisation territoriale administrative et celle des futures circonscriptions électorales. L’idée est de rapprocher l’État des citoyens en apportant les services attendus par la population, de favoriser la décentralisation et aussi de disposer de circonscriptions électorales équilibrées. Par un processus qui doit être inclusif, il s’agit de recréer la confiance et l’efficacité justes.