Dans le village de Bagamabougoussacko, Commune de Madigassacko, cercle de Diéma, région de Kayes, Cheicknè Diarra a été battu à sang par une dizaine de jeunes. Son tort : avoir tenté de s’affranchir du joug de ses ‘’maîtres’’ Soninké.
« Quand ils tuent leurs bêtes, ils nous font appel pour le dépeçage. Qu’on soit occupé ou non, on est obligé d’exécuter l’ordre du ‘’maître’’. Dans leur mentalité nous leur appartenons ». Visage tuméfié, Cheickné Diarra, 44 ans, est encore sous le choc. Cet expatrié malien, de retour de France pour rendre visite à sa famille dans le petit village de Bagamabougoussacko, Commune de Madigassacko, cercle de Dièma, est victime de pratiques esclavagistes d’un autre âge.
Mercredi 9 janvier, l’homme a été battu à sang par une dizaine de jeunes. Ce jour-là, il était parti s’enquérir de l’état de santé d’un de ses proches, Beydi Konaté, lui aussi agressé par les mêmes personnes et alité depuis quelques jours.
« Ils étaient armés de bâton. Certains criaient ‘’tuez-le !, Tuez-le !’’. J’étais à terre, sans défense. Pendant qu’il me frappait, j’ai entendu une voix féminine les interpellés : qui voulez-vous tuer ? Ils se sont alors dispersés », raconte, Cheicknè.
Agressé dans la matinée, il est reclus à domicile, pendant plusieurs heures, sans être pris en charge par un médecin. D’après des témoins, ses agresseurs « ont bouclé tous les accès du village jusqu’à 15heures ».
Plus tard la victime réussit à se faire évacuer à Diéma en moto, pour les premiers soins. Mais au village ses agresseurs interdisent aux membres de sa famille de sortir de leur domicile.
« Ils m’ont intimé de retirer ma plainte ou ils vont tuer mon grand frère au village. Ils ont encerclé notre maison personne ne peut sortir. Je n’ai pas d’autres choix. Ces gens sont capables de tout et les autorités s’en fichent », se lamente Cheicknè Diarra.
D’après la victime tout a commencé en octobre 2018, lorsque lui et certains de ses proches ont adhéré à l’association Gambana (qui signifie en langue soninké : nous sommes tous égaux. ndlr). Présente au Mali, au Sénégal, en Gambie, et en Mauritanie, cette Association lutte contre l’esclavage.
« Si une femme soninké perd son mari, elle fait quarte mois et dix jours en veuvage. Mais nous, nos femmes font deux mois et cinq jours, soit la moitié, car nous sommes considérés comme des sous-hommes. Ce qui est contraire aux valeurs islamiques et à la loi malienne devant laquelle nous sommes égaux en droits et devoir», explique Cheickné Diarra.
« Un jour, ils nous ont interpellés pour nous demander si nous avons réellement adhéré à l’association ‘’Gambana’’. Nous avons répondu par l’affirmatif. Nous leur avons dit qu’au Mali la liberté d’association est garantie par la loi et les pratiques esclavagistes doivent cesser », ajoute-t-il.
Pour avoir tenté de s’affranchir, les autochtones Soninké imposent alors aux trois supposées familles d’esclaves (deux familles Diarra et une famille Konaté) un sévère embargo.
«Ils nous ont interdit le marché, les boutiques. On n’avait pas le droit de prendre l’eau aux puits publics du village pendant plusieurs jours. Après, le chef de village a levé ces mesures d’interdiction pour dit-il, éviter de faire souffrir les étrangers qui ne sont pas concernés », témoigne Cheicknè Diarra.
Mais aussi, le jardin collectif des trois familles a été détruit, leurs terres retirées. Avec à la clé, une menace de quitter le village.
L’indifférence du pouvoir public
Tristement dans la région de Kayes, plusieurs autres personnes portant des noms de famille bamanan : (Coulibaly, Diarra, Traoré, Sissoko etc.) et peul (Diallo, Diakité, Sidibé), sont soumises à la domination et régulièrement violentées. Toutes les tentatives d’émancipation des communautés sont durement réprimées. Et cela, sous le regard passif des autorités.
« En 2018, on devait évoquer le problème à la tribune de l’Espace d’interpellation démocratique (EID). Mais à la dernière minute, nous avons été retirés de la liste des intervenants, sous prétexte de ne pas mettre de l’huile sur le feu », déplore Me. Bintou Founé Samaké, présidente de Wildaf, une organisation de défense des droits de l’Homme.
A la Commission nationale de défense des droits de l’Homme (CNDH), une source précise que dans certains villages « des gens ont été dépouillés de leurs terres ou chassés du village ». « Nous avons déjà saisi les autorités et nous continuons à travailler sur le sujet », indique notre source.