La crise politique au Mali a pris une nouvelle tournure depuis hier avec la création du Comité d’Experts pour la réforme constitutionnelle (Décret 2019-0015/PM-RM du 14 janvier 2019) et la nomination de ses membres (Décret 2019-0016/PM-RM de la même date).
Par ces deux actes, le pouvoir en place confirme une chose, à savoir une démarche unilatérale et exclusive.
En effet, si la nomination du Comité peut paraitre anodine du fait qu’il s’agit d’experts sans coloration politique, il n’en demeure pas moins que cela relève d’une démarche inopportune et dangereuse à maints égards:
1-D’abord mettre un comité d’experts au travail suppose que des Termes de Référence lui ont été prescrits. Or, qui dit Termes de Référence dit Définition des priorités et des objectifs de la réforme souhaitée. La question se pose dès lors de savoir qui a défini ces priorités?
2- Deuxièmement, une Réforme Constitutionnelle est un acte fondamental qui touche aux institutions, ciment de notre démocratie. La portée d’une Réforme constitutionnelle est plus élevée que tout acte que le législateur pourrait poser, car cela concerne le texte fondamental. Aussi parce que c’est un acte dont les incidences nous affecteront pour au moins une décennie. Ce n’est pas tous les jours que l’on entreprend une réforme constitutionnelle. Et si on fait le choix de la Réforme constitutionnelle, on doit s’arranger pour que, au-delà des exigences ponctuelles comme celles exigées par l’Accord pour la Paix et la Réconciliation Nationale, elle reflète l’évolution des choix sociétaux de manière à ne plus avoir à y recourir avant longtemps. Ces choix sociétaux sont-ils l’apanage des seuls détenteurs du pouvoir? Certainement pas! Tous les segments de la société malienne doivent se retrouver dans ces choix.
3- Il est vrai qu’il urge de mener des réformes pour lesquelles les autorités se sont engagées. Il est également vrai que le délai de six (06) mois prescrit par les Nations Unies pour voir des progrès dans la mise en œuvre de l’accord cité est très proche. Mais il faut éviter d’arracher des réformes importantes à la hussarde, d’accoucher d’une Constitution au forceps. La force de la Constitution de 1992 est loin d’être le produit d’un large consensus suite à des consultations inclusives. Elle tire également sa force de la prise en compte des insuffisances et des dérives du régime auquel elle a succédé. Sans porter un jugement sur son contenu, j’estime que la démarche adoptée à l’époque atteste de la noblesse de ses initiateurs.
4- Peut-on dire la même chose des initiateurs de la démarche d’aujourd’hui. Que non! L’ironie du sort est que se sont pourtant les mêmes acteurs!
5- Le Premier ministre, qui pourtant s’était donné la peine d’aller vers les autres acteurs politiques, est arrivé à la conclusion qu’il ne doit pas avoir la patience pour ceux dont les vues divergent des siennes. Pour preuve, les autres acteurs lui ont bien signifié, à l’occasion de ses démarches, comment ils pensent que le processus politique devrait être articulé.
Aussi bien la Coalition FSD que la Coalition CMD et celle de Modibo Sidibé ont proposé que, préalablement à toute réforme, il faut instaurer un dialogue politique inclusif entre tous les enfants de la Nation, entre toutes les sensibilités pour dépasser la crise née des élections et définir une direction stratégique nouvelle pour le pays. C’est donc leur disponibilité à participer à une gestion inclusive de la crise qu’ils ont affichée.
Quelle a été la réaction du Président face à cette offre? C’est d’exiger comme préalable à tout dialogue, que l’opposition reconnaisse qu’il est le “Président de la République élu et légitime” (discours de nouvel an devant le corps diplomatique). Il a manqué de vision. Car l’ampleur des défis et l’urgence de leur trouver des réponses adaptées requièrent que l’on dépasse son égo personnel et que l’on consente tous les sacrifices pour la Nation en danger.
Quelle a été la réaction du Premier ministre ? C’est d’affirmer par les actes que l’opposition importe peu, que lui s’en tient à son chronogramme (arrêté unilatéralement); que la majorité présidentielle suffit à elle seule pour définir les priorités de réforme (en atteste l’atelier de l’EPM sur la réforme constitutionnelle). En tout état de cause, un dialogue inclusif n’arrange pas ses ambitions personnelles. Pour lui, toute prise en compte des vues de l’opposition remettrait en cause sa stratégie propre sur le moyen terme. Il aura manqué de maturité, car à force de vouloir tout accaparer tout de suite, il court le risque de compromettre davantage une situation complexe.
6- De la petite expérience que j’ai eue en tant que Conseiller Spécial du Secrétaire Général des Nations Unies pour l’Afrique, la plupart des crises en Afrique résultent de l’autisme des dirigeants. Car, à défaut de prévenir les crises, on peut en atténuer les conséquences. Dans le cas du Mali, nous sommes déjà assaillis par une crise sécuritaire grave, une crise de gouvernance grave, une crise socioprofessionnelle grave, avec des réponses qui tardent à produire des résultats. Faudrait-il, en plus, laisser s’installer une crise politique? Que non! Il est utile de noter que la résorption de toutes les autres crises a comme préalable le règlement de la crise politique. Mais ce que je crains c’est que hélas! Cela ne soit pas la priorité du pouvoir en place.
S’il est de bonne foi, le pouvoir doit ouvrir un dialogue politique inclusif comme préalable à toutes reformes politiques. L’exécutif devra élaborer un document de dialogue basé sur les vues et préoccupations exprimées par les acteurs de tous bords, prendre le point de vue de la société civile. Un tel dialogue permettrait de recréer un climat de confiance et de procéder de manière inclusive à la refondation de l’Etat.
Toute précipitation pour obtenir des résultats vaille que vaille est vouée à l’échec.
En attendant de mener ce processus à son terme, nos partenaires pourraient être rassurés par des actions comme des progrès dans le processus DDR au Nord, le renforcement de la sécurité par le maillage des espaces abandonnés au centre, les actions humanitaires et les actions de développement à impact rapide au Nord et au Centre, le déploiement de l’administration et des services sociaux de base, toutes choses qui ne nécessitent pas de réformes politiques et institutionnelles.
Cheick Sidi Diarra,
Ancien Secrétaire Général Adjoint des Nations Unies.